Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Le Tro Breizh, randonnée historique et religieuse

Publié le 25 Mai 2014 par ECLF in Histoire de Bretagne

Le Tro Breizh, randonnée historique et religieuse

Depuis vingt ans, le Tro Breizh (le « tour de Bretagne ») renaît grâce à une dynamique association. Ce chemin de la foi est l’un des plus vieux d’Europe, à l’instar de ceux de Compostelle, Rome ou Saint-Michel. Il constitue un itinéraire culturel au cœur de l’histoire et du patrimoine de la Bretagne. Grâce au guide de Bernard Rio (editions Coop Breizh, mai 2014), on peut désormais le faire en individuel et toute l'année.

Ethymologiquement, pèlerinage vient du latin peregrinus, « étranger » et consiste en voyage vers un ou plusieurs lieux sacrés. Le pèlerin serait donc un « étranger », un « exilé » de la foi qui, un jour, choisit de quitter son lieu de vie quotidien pour partir vers un sanctuaire, lointain ou non, sa déambulation sanctionnant tout à la fois une quête de sacré, une réalisation de soi et une découverte du monde extérieur.

Une constante de l’anthropologie religieuse

Le pèlerinage est une constante de l’anthropologie religieuse et existe dans la plupart des cultures humaines. Au Néolithique, certains sites mégalithiques ont sans doute fait l’objet de pèlerinage, en premier lieu desquels le plus célèbre : Stonehenge en Angleterre. Le christianisme propose plusieurs itinéraires sacrés balisés depuis le Moyen Âge : Jérusalem, Rome, bien entendu, mais également Saint-Jacques de Compostelle ou le Mont-Saint-Michel dont certains chemins parcourent la Bretagne.

Contrairement à une idée répandue, les pèlerinages médiévaux sont rarement des phénomènes de masse. Ils mettent en action des individus ou des petites groupes de pèlerins. Ces individus voyagent par piété, mais également dans une optique de rupture avec un milieu familial ou professionnel, voir un désir de découverte « touristique » de nouveaux horizons. Si les pèlerins médiévaux peuvent bénéficier d’actes de solidarité (notamment pour le gîte dans les couvents), les pèlerinages lointains, « au long cours », semblent alors réservés à ceux qui disposent de moyens importants.

Le culte sept saints

La Bretagne propose un itinéraire sacré des plus originaux, puisque reliant sept sanctuaires à travers la péninsule et format une boucle de près de mille kilomètres. S’il est attesté depuis le XIIIe siècle, ce « Tro Breiz » remonte aux origines de la Bretagne, à la fin de l’Antiquité, lorsque des moines gallois et irlandais ont traversé la mer pour évangéliser cette péninsule armoricaine en pleine mutation.Sept d’entre eux (saint Pol-Aurélien, saint Tugdual, saint Brieuc, saint Malo, saint Samson, saint Patern et saint Corentin) sont considérés comme les fondateurs des sept premiers évêchés de Bretagne.

Au Moyen Âge se développe un culte qui n’est pas propre à chaque saint, mais aux sept considérés comme les « fondateurs » de la Bretagne et auquel la tradition populaire prête un grand nombre de miracles intervenus notamment autour des sept tombeaux. Il est vrai que de toute Antiquité, le nombre sept a eu une forte valeur symbolique, notamment dans la tradition judéo-chrétienne. La Menorah, le grand chandelier du temple de Jérusalem, possédait ainsi sept branches. De même, l’Apocalypse fourmille de référence au nombre sept : « les sept anges qui sont devant Dieu », les sept archanges », les « sept sceaux du livre », les sept tonnerres et les sept fléaux et les « sept Églises ». Mais ce nombre est également très présent dans d’autres traditions, notamment dans les pays celtiques et elle est inspirée par les observations astronomiques. On remarquera ainsi que la constellation de la Grande Ourse comporte sept étoiles, formant un chariot tournant autour de l’étoile polaire.

Il faut également sans doute voir une forme de patriotisme, dans la profonde dévotion des Bretons à leurs saints fondateurs, membres d’une église celtique à bien des égards originale. Toujours est-il que leur culte perdure toujours. Surtout, les anciens évêchés de Bretagne continue de structurer la géographie de la péninsule, et ce malgré la création des départements il y a deux siècles. Trégor, Léon, Vannetais ou Cornouaille sont toujours des réalités pour un grand nombre de Bretons.

Le tour de Bretagne

Historiquement désigné sous le nom de pèlerinage des sept saints ou Circuitus Britanniae (tour de Bretagne), le Tro Breizh a la particularité d’être un pèlerinage circulaire, reliant les villes fondées par les saints fondateurs de la Bretagne : Quimper, Saint-Pol-de-Léon, Tréguier, Saint-Brieuc, Saint-Malo, Dol et Vannes. Ce « tour de Bretagne », long de plusieurs centaines de kilomètres peut s’effectuer par étape ou en une seule fois.

Certains historiens, dont le médiéviste récemment disparu, Jean-Christophe Cassard, ont d’ailleurs remis en cause le caractère historique du Tro Breizh en tant que pèlerinage de masse. Selon lui, il s’agit avant tout d’une invention des romantiques au XIXe siècle, qui auraient « inventé » cet itinéraire sacré, en faisant une sorte de pardon géant. Même si des individus ont pu déambuler sur ces chemins. On parle aussi de tro Breizh pour évoquer le voyage de la duchesse Anne, devenue reine de France, à travers la péninsule en 1505.

Il est certain que plusieurs folkloristes du XIXe siècle ont évoqué ce pèlerinage, rapportant notamment cette légende qui affirmait que les Bretons qui n’avaient pas effectué leur Tro Breizh étaient condamnés à le faire dans l’Au-delà, à raison de la longueur de leur cercueil une fois tous les sept ans… Et concourrant à faire du Tro Breizh l’un des chemins du paradis, ce qui peut se concevoir en raison de l’extraordinaire richesse de paysages et de monuments que l’on peut apprécier en marchant le long de la Bretagne

La renaissance du Tro Breizh

Le Tro Breizh semble avoir connu une certaine désaffection à partir du XVIe siècle, même si son souvenir et, surtout, le culte des sept saints ont perduré. Le pèlerinage connaît un surcroît de notoriété avec les écrivains-folkloristes du XIXe siècle. L’expression « faire son tro Breizh », c’est-à-dire parcourir la Bretagne s’ancre dans la mémoire collective et devient courante au siècle suivant. Si certains écrivains et artistes arpentent régulièrement la péninsule, le pèlerinage, sous forme organisée, ne redémarre qu’en 1994, grâce à une association de passionnés qui organise, chaque année, une marche entre deux cathédrales. Le succès a été immédiat et des milliers de personnes se sont mis à reprendre des chemins du Tro Breizh de mieux en mieux balisés. Un phénomène a mettre en parallèle avec le succès des grands pèlerinages européens comme Compostelle, alors que la pratique religieuse traditionnelle est en baisse. Auteur du premier guide officiel de randonnée en 2014 sur les chemins du Tro Breizh – qui permet d’effectuer le trajet en individuel sur 47 étapes -, Brernard Rio souligne l’extraordinaire concentration de monuments religieux et de paysages naturels traversés lors de cette boucle de près de mille kilomètres. Des hébergements sont désormais de mieux en mieux référencés et un diplôme est attribué aux marcheurs ayant bouclé le tour des sept saints fondateurs. De quoi inscrire le Tro Breizh comme l’un des grands chemins de la foi et l’un des principaux itinéraires culturels en Europe.

Pour en savoir plus

Bernard Rio et l’association des chemins du tro Breiz, Guide du tro Breiz, le tout de Bretagne en 47 étapes, Coop Breizh, Spézet, 2014.

Commenter cet article