Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Max Jacob, l’enchanteur

Publié le 26 Mai 2014 par ECLF

Max Jacob, l’enchanteur

Resté très attaché à sa ville natale de Quimper, Max Jacob meurt au camp de Drancy, en mars 1944, au terme d’une vie marquée par une certaine exubérance et un parcours artistique étonnant. Il allait être déporté vers les camps de la mort nazis.

Venue d’Allemagne et de confession juive, la famille de Max Jacob s’installe à Quimper dans les années 1850. Son grand-père Samuel Alexander ouvre un atelier de confection et de tailleur sur les quais de l’Odet. Il développe également une boutique bretonne d’antiquités et faïence et recrute des brodeurs locaux pour confectionner les habits d’apparat des notables du pays glazik, dont la mode – la giz - est alors en pleine essor. Max-Jacob Alexandre naît le 12 juillet 1876. Il passe son enfance rue du Parc où la famille possède une jolie demeure. En 1888, la famille adopte le patronyme de Jacob.

Un brillant jeune homme

Elève brillant, Max Jacob se sent cependant différent et parfois exclus. Son grand-père l’a initié à une culture juive, mais la famille Jacob ne pratique pas. Il cherche à retenir l’affection de sa mère qui le moque volontiers. Le jeune Max montre un certain intérêt pour les grandes cérémonies catholiques, notamment les processions à la cathédrale qu’il suit de sa chambre. Sa santé est précaire, en 1891, il est envoyé à Paris auprès d’un neurologue, le professeur Charcot, une « année de vacances » qu’il apprécie énormément. Revenu à Quimper pour faire son lycée, le jeune Max devient un boulimique de lecture et d’expériences artistiques.

Il se lie d’amitié avec les frères Bolloré, ainsi qu’Abel et René Villard. Max Jacob ne se départira jamais d’une certaine nostalgie pour sa jeunesse bretonne. Plusieurs décennies plus tard, René Villard dira : « J’ai connu Max Jacob depuis toujours. Nous n’avons pas eu la même nourrice, mais nous avons eu la même mère, la Bretagne. » En 1894, Max Jacob est acclamé au lycée de Quimper, après que, grâce à lui, l’établissement a reçu la première nomination au concours général. Un avenir des plus brillants s’ouvre à lui.

« Tu es poète, vis en poète »

Max Jacob intègre l’école coloniale, mais il est réformé au service militaire pour insuffisance pulmonaire. Il démissionne, rentre à Quimper où il mène une existence désoeuvrée. Sa famille s’inquiète et se désole. Son homosexualité comme ses ambitions artistiques s’accommodent mal de la tranquille vie quimpéroise. Il part finalement à Paris, en 1897, et devient critique d’art sous le pseudonyme de Léon David.

En juin 1898, il découvre et s’enthousiasme pour un jeune peintre espagnol, Pablo Picasso. La rencontre entre les deux hommes est légendaire et fulgurante. Il s’ensuit une relation d’amitié complexe entre les deux artistes. Max Jacob admire le génie de Picasso, mais ce dernier va sans doute écraser le talent du Quimpérois, notamment en matière picturale. Peut-être complexé par son ami, Max Jacob restera un « peintre inavoué », selon l’expression d’André Cariou. Max Jacob commence à écrire et publie un premier conte pour enfant. Il est employé de commerce quelques mois, mais se fait renvoyer. Picasso lui lance : « tu es poète, vis en poète ».

Commence une période bohème, où il rencontre les avant-gardes artistiques de Paris et échange notamment avec Apollinaire. Max Jacob noircit des cahiers de recherches poétiques et picturales, de projets de romans ou de poèmes. Il s’installe à Montmartre. Volontiers exubérant – il passe pour le « fou de Picasso » -, Max Jacob anime les soirées et les nuits de la colonie d’artistes aux situations souvent précaires, mais aux talents fous. Une période d’effervescence créatrice devenue fameuse.

Créativité et désillusions

Vers 1909 surviennent ses premières crises mystiques. Max Jacob se passionne pour la cabale et les grands textes chrétiens. Il entame une conversion au catholicisme. Entre 1910 et 1912, il revient passer la moitié de son temps à Quimper où il est pris d’une frénésie créatrice. Il écrit des romans, des poèmes et des pièces de théâtre, pour la plupart publiés. Il fréquente la bibliothèque municipale et commence à se faire un nom littéraire.

Réformé, Max Jacob reste éloigné du front. Il soutient les Arméniens et dénonce leur génocide par les Turcs. Après guerre, Max Jacob continue de fréquenter les milieux artistiques parisiens. Il fait de fréquents séjours à Saint-Benoit-sur-Loire où l’abbé Fleureau devient son directeur de cosncience.

Max Jacob continue à publier dans l’entre-deux-guerres, faisant preuve d’une incroyable inventivité, en témoigne l’abondante correspondance qu’il a laissée. Reconnu pour son œuvre littéraire ou ses talents de conférencier, Max Jacob n’en mène pas moins une existence précaire. Il accepte de nombreux travaux « alimentaires » et se désespère de ne pouvoir vivre de sa peinture.

En 1929, après un accident de voiture avec son ami Pierre Colle, il reste en convalescence en Bretagne, notamment à Bénodet et Tréboul. Les séjours se font plus espacés à Quimper, où son roman, Le Terrain Bouchaballe a provoqué quelques grincements dans la bourgeoisie locale. La mort de sa mère, avec lequel il entretenait une relation complexe, le démoralise. A la fin des années 1930, il se retire à Saint-Benoit-sur-Loire qu’il refuse de quitter pendant l’Occupation. Il y est soumis à diverses vexations en tant que juif. Son frère Gaston meurt à Auschwitz en 1943. Déporté en 1944, Max Jacob meurt au camp de Drancy, dans la nuit du 5 au 6 mars.

Sur les traces de Max Jacob

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Max Jacob réunit tous ses livres pour créer un fonds à son nom à la bibliothèque de Quimper. Une partie se trouve aujourd’hui dans les pièces qui lui est dédiées, avec des manuscrits et des œuvres publiées et illustrées, au musée des beaux-arts de sa ville natale. Il a joliment décrit Quimper dans un roman et une pièce intitulés Le Terrain Bouchaballe. Il y narre les aléas de la construction d’un théâtre, inspirés d’une histoire vraie, celle de Urbain Couchouren qui fit don à la ville d’un terrain le long de l’Odet pour construire un hospice, alors que le maire voulait un établissement artistique. Finalement, Quimper eut son théâtre qui, en 1998, est devenu le théâtre Max Jacob. Un bel hommage de sa cité natale, dont il reste l’un des plus grands noms et qu’il considérait comme « l’une des villes les plus sympathiques de l’univers ». Sa maison familiale est devenue un restaurant couru et judicieusement baptisé « Chez Max ». Elle est située sur les quais de l’Odet qu’il aimait tant arpenter au point que Per-Jakez Hélias le surnomma « le piéton de Quimper ». Douarnenez lui a également consacré une statue à Tréboul où il a séjourné au début des années 1930. Mais c’est dans son œuvre qu’on trouvera de nombreuses références à la Bretagne. Sa première exposition de gouaches, en 1920, est pour moitié inspirée par le cubisme, l’autre par la Bretagne. Plusieurs de ses romans sont inspirés par la région, notamment La Côte et Morven Le Gaélique. Quant au Cornet à dés, il fut en partie rédigé à Quimper. « Donnez-moi, écrivait-il à Jean Grenier, le reflet des paysages chéris par mon enfance ardente, le reflet du très aimé pays breton…où nous avons couru pieds nus dans les champs nouvellement moissonnés, dans les fougères en forêts minuscules, les cerisiers, les pommiers sauvages ; les aubépines, les coudriers formant des îles limoneuses au milieu du torrent verdoyant. Oui, ces paysages-là, je voudrais y vivre à jamais, sans cesser de les contempler en présence des anges et des saints. »

Pour en savoir plus

André Cariou, Max Jacob, le peintre inachevé, Coop Breizh, 1994.

Pierre Andreu, Vie et mort de Max Jacob, La Table ronde, 1982.

Hélène Henry, Max Jacob – Jean Caveng, éditions Bargain, 1994.

Max Jacob, l’enchanteur
Commenter cet article