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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Parachutages et politique en Bretagne

Publié le 26 Mai 2014 par ECLF

L’année 2014 a été marquée par plusieurs échéances électorales, municipales et européennes qui sont en général l’occasion de parachutages de personnalités dans des villes ou des régions qu’ils ne connaissent guère. En Bretagne, d’une manière générale, le parachutage semble difficile, même si notre histoire politique ne manque pas d’exemples parfois étonnants.

En sport, le parachutisme se définit comme un art de la chute ; en politique, le parachutage correspond à une tentative d’implantation dans un territoire par une personnalité halogène. Avec tous les risques de réception périlleuse que l’opération implique, particulièrement dans une péninsule armoricaine, réputée pour sa propre identité, un farouche esprit d’indépendance et quelques champs d’ajoncs peu accueillants lors des atterrissages.

D’ailleurs ou d’ici

Le parachutisme politique n’a rien d’illégitime ou d’illégal. Si, pour être candidat dans une commune, il faut y être domicilié ou y payer des impôts, ces contraintes ne s’appliquent pas aux élections législatives. Dans la culture constitutionnelle française, un parlementaire n’est pas l’élu d’un territoire ou du peuple, mais de la nation, entité politique abstraite à laquelle et à elle seule il a des comptes à rendre. Cette conception se heurte bien entendu à quelques solides réalités, car si un élu n’est pas un député de sa circonscription, il est choisi par des électeurs qui sont eux bien implantés géographiquement.

Ces réalités obligent les candidats parachutés à se justifier pour s’opposer aux « enfants du pays » qui jouent sur leur proximité. Quoique la naissance ne soit pas forcément le gage d’un ancrage territorial. Comme le souligne Jean Guiffan, auteur d’un ouvrage de référence sur la question : « est aussi généralement considéré comme parachuté par les électeurs tout candidat qui, après une longue absence et un parcours politique ou professionnel loin de sa circonscription, vient tardivement s’y présenter sous prétexte qu’il y a vu le jour ou qu’il y a jadis fait des études ou exercé une activité quelconque. » Nombre de parachutés se proclament plus « breton que les Bretons » et font assaut d’hommages appuyés à leur nouveau pays et à sa culture.

Parachutages sous la troisième République

C’est dans les années 1950 que le terme de « parachutage politique » s’impose, conséquence probable mais surprenante de l’usage intensif de cette arme pendant la Seconde Guerre mondiale et les conflits coloniaux qui suivirent. Le phénomène est cependant plus ancien et était même courant sous la troisième république. L’un des poids lourds de la vie politique française du début du xxe siècle, le Nantais Aristide Briand, se fait ainsi élire dans la Loire, tout en étant inscrit au barreau de Pontoise. De 1876 à 1893, Albert de Mun, résidant à Paris et sans attaches bretonnes, se fait élire député de Pontivy, puis de Morlaix jusqu’en 1914…

La Bretagne devient alors une terre d’accueil pour des candidats conservateurs et réactionnaires, attirés par sa réputation de terre cléricale et chouanne. De même, les groupes d’extrême gauche envoient aux élections des militants dont le rôle tient plus du kamikaze (une autre figure de l’histoire de l’aviation) que du parachutiste… Il s’agit ici plus de porter « la bonne parole » que de faire un bon score.

Parachutés de droite

Les quatrièmes et cinquième Républiques offrent également de beaux exemples de parachutages, à commencer par plusieurs présidents de la République, auparavant élus dans des circonscriptions où ils n’avaient guère d’attaches à l’origine. Ainsi, François Mitterrand sera longtemps député de la Nièvre, tandis que Jacques Chirac ou François Hollande se sont taillés des fiefs en Corrèze. La Bretagne de l’après-guerre offre également des exemples d’atterrissages réussis pour des personnalités, souvent de droite. Olivier Guichard, d’origine bordelaise, se fait élire en Loire-Atlantique. Tandis que Yvon Bourges s’installe à Dinard.

Pilier du gaullisme, Raymond Marcellin constitue un exemple frappant de ces parachutés de droite en Bretagne. Originaire de la Marne et ancien fonctionnaire de Vichy, il rejoint les gaullistes après la guerre. Chargé d’organiser ces derniers dans le Morbihan en 1946, il se fait élire député. Jusque dans les années 1990, il exercera de nombreux mandats en Bretagne, tout en résidant à Paris, où il occupe régulièrement des postes gouvernementaux. À noter que les parachutages peuvent parfois être périlleux, comme la tentative ratée de Pierre Mesmer à Lorient en 1966.

Un terrain d’atterrissage plus difficile

Le long basculement actuel de la Bretagne à gauche semble avoir rendu plus difficile le parachutage de personnalités extérieures, notamment à droite. La gauche s’est en effet imposée avec des candidats de terrain, bien implantés dans leur circonscription. L’affirmation de l’identité régionale depuis les années 1970 a sans doute également pu jouer, renforcée par, selon Jean Guiffan, « cette sourde hostilité que l’on rencontre souvent en Province contre tout ce qui vient de Paris, point de départ de la plupart des parachutés politiques en Bretagne. » D’Isabelle Thomas à Saint-Malo à François Guéant à Ploërmel, force est de constater qu’en effet, le parachutage de personnalités extérieures est devenue difficile en Bretagne depuis quelques années. Les prochaines élections devraient en apporter quelques nouveaux exemples et l’époque de l’élection de hauts fonctionnaires ou de ministres venus de Paris sur les terres armoricaines semble désormais révolu.

Pour en savoir plus :

Guiffan, Jean, Parachutages politiques en Bretagne (1870-2012), Terre de Brume, 2012.

Chartier-Le Floch Erwan, Le Nigen Valérie, Gouerou Christian, Nono, Un modèle politique breton ?, Coop Breizh, 2014.

Collectif, Toute l’histoire de Bretagne, Skol Vreizh, 2012.

Les parachutés de Dieu

Le catholicisme a longtemps conservé une forte influence sur la vie politique bretonne, particulièrement dans ses fiefs du Léon et du Vannetais. Cette prégnance religieuse explique les tentatives – souvent réussies – de candidats cléricaux avec l’aide de l’église locale. Dans les débuts de la troisième République, plusieurs dirigeants monarchistes vont ainsi se faire élire en Bretagne, dans des circonscriptions « sûres ». C’est notamment le cas d’Albert de Mun à Pontivy en 1876. Plus étonnant, le parachutage d’ecclésiastiques est régulier dans la troisième circonscription de Brest, de 1880 à 1914. Ce territoire, couvrant le nord-ouest du Léon, constituait un bastion clérical, la « terre des prêtres ». Logiquement, le clergé choisissait dans l’Eglise, le candidat qui avait le plus de chance de l’emporter. Mais, il préférait aller chercher des personnalités extérieures plutôt que dans ses propres rangs, parfois divisés… C’est un Alsacien, par ailleurs évêque d’Angers, Monseigneur Freppel, qui est désigné en 1880. Et ce malgré les réticences de l’évêque de Quimper… Monseigneur Freppel est élu triomphalement le 6 juin et ne visite sa circonscription que le 18 juin… Il sera réélu en 1881, 1885, 1889. Lors des obsèques de Freppel, en 1891, Monseigneur d’Hulst, recteur de l’université catholique de Paris est désigné comme le nouveau candidat. Il est élu jusqu’à son décès en 1896. C’est un autre abbé parisien, l’abbé Gayraud, qui est cette fois choisi. Dans l’entre-deux guerre, une nouvelle force politique, la démocratie chrétienne, s’implante en Bretagne grâce à une série de parachutages. Une réussite puisque aujourd’hui, le centrisme qui en est l’héritier, demeurre solidement ancré dans la péninsule. Le dernier ecclésiastique parlementaire élu en Bretagne, l’abbé Laudrin, était quant à lui un vrai enfant du pays…

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