Au XVIIIe siècle, la France et l’Angleterre sont en état de conflit permanent. La suprématie navale des Britanniques leur permet de monter régulièrement des expéditions sur les côtes bretonnes. Le siège de Lorient et la bataille de Saint-Cast demeurent parmi les plus fameuses de ces « descentes » anglaises.
Depuis le Moyen Âge, les Anglais ont régulièrement mené des opérations militaires, des « descentes » sur les côtes bretonnes. En retour, plusieurs ports anglais ont également été attaqués comme Bristol, ravagé par Jean de Coatanlem en 1484. Ces opérations vont s’accentuer lors de la « seconde guerre de Cent Ans » entre 1688 et 1815. Pour les Britanniques, il s’agit de maintenir sous pression la flotte française et de fixer des troupes sur les côtes atlantiques qui pourraient combattre sur d’autres fronts.
Le siège de Lorient
Dans le cadre de la guerre de Succession d’Autriche, une importante opération est ainsi lancée contre Lorient du 29 septembre au 10 octobre 1746. Les Anglais restent au large pendant quelques jours sans parvenir à débarquer leurs 4500 homes de troupes, ce qui laisse le temps aux défenseurs de s’organiser. Divisés en deux colonnes, les Anglais arrivent ensuite par l’ouest. Ils prennent et pillent Ploemeur.
Espérant une reddition rapide, les Anglais ne bombardent la ville que le 5 octobre. Les canons sont trop loin et manquent de munitions. On ne compte que six morts lorientais et deux maisons brûlées… Les pertes comme la médiocrité des ingénieurs britanniques poussent le commandant anglais à la retraite. Des prostituées et des fuyards l’auraient aussi induits en erreur en le convainquant que Lorient était défendu par vingt mille hommes… Ironie de l’histoire, le commandement français s’apprêtait à sans doute à se rendre, la ville étant mal défendue par des troupes hétéroclites.
Le siège de Lorient aura pour conséquence le renforcement des défenses du littoral de la Bretagne sud. On compose aussi des chansons pour se moquer des Anglais et le culte marial se développe. Une statue de Notre-Dame de la victoire est ainsi consacrée. Enfin, concernant la narration de l’événement, une polémique oppose Voltaire et David Hume par ouvrages interposés.
Bataille de Saint Cast
Une décennie plus tard, pendant la guerre de Sept ans (1756-1763) une autre descente anglaise va marquer la mémoire bretonne. Il s’agit cette fois d’une attaque contre Saint-Malo en 1758. Pour défendre les côtes de Bretagne, le gouverneur d’Aiguillon peut compter sur plusieurs régiments professionnels et sur des milliers de miliciens et de gardes-côtes dont l’encadrement est en partie assuré par les nobles locaux. Mais depuis quelque temps, le duc d’Aiguillon est en conflit larvé avec une partie de la noblesse bretonne.
C’est dans ce contexte que, le 3 septembre 1758, une flotte britannique débarque près de 10 000 hommes commandés par le général Bligh sur la plage de Saint-Briac. Mais le vent et le mauvais temps obligent les navires de la Royal Navy à trouver refuge à Saint-Cast. Les troupes au sol se heurtent à l’artillerie des forts défendant Saint-Malo. Sans appui de la flotte, Bligh décide de se retirer vers l’ouest, dévastant les campagnes parcourues.
Défaite anglaise
Les 8 et 9 septembre, des gardes-côtes et des miliciens bretons opposent une forte résistance au Guildo, au passage de l’Arguenon. L’objectif de la centaine de Bretons, commandés par un bourgeois de Matignon, Rioust des Villes-Andrain, est de gagner du temps jusqu’à l’arrivée des troupes du duc d’Aiguillon. Le 11 septembre, les Britanniques tentent de rembarquer sur la plage de Saint-Cast, soumis au feu des régiments du duc d’Aiguillon et des milices bretonnes. Pour empêcher les canons anglais de tirer sur la plage, des nobles bretons se lancent au contact de l’ennemi sur le sable. Les combats sont acharnés et prennent fin vers midi. Les Britanniques laissent près de 2000 morts et 740 prisonniers.
La belle meunière
Bien que vainqueur sur le terrain, le duc d’Aiguillon se voit reprocher d’avoir trop tardé pour porter des coups encore plus sévères aux Britanniques. Ayant installé son état-major dans un moulin, on l’accuse « s’être couvert de farine plus que de gloire » et d’avoir tenté d’abuser des charmes de la meunière… Le duc d’Aiguillon traînait en effet une solide réputation d’homme à femmes. On compose des chansons pour se moquer d’un gouverneur dont une partie des élites bretonnes ont intérêt à discréditer. A noter que cette anecdote a donné son nom à la principale pâtisserie de Saint-Cast, baptisée « la Belle meunière ».
Rapidement, la bataille de Saint-Cast va devenir un enjeu de mémoire, les élites bretonnes mettant en valeur le rôle de la noblesse et des milices de la province. D’autant qu’à partir de 1763 débute l’affaire de Bretagne, ou affaire La Chalotais qui voit une partie des parlementaires bretons emprisonnés ou exilés en raison de leur opposition à Louis XV. Un siècle plus tard, en 1856, le centenaire de la bataille donne l’occasion aux aristocrates bretons de réaffirmer leur rôle politique face à un régime, le second Empire, qu’ils jugent illégitime. A Saint-Cast, un monument est élévé en hommage à des soldats bretons présentés à la fois comme les héros de l’affrontement contre les Anglais mais également les défenseurs des libertés bretonnes face à l’absolutisme et au centralisme royal.
La tour dorée de Camaret
La Tour dorée de Camaret est liée à une autre descente des Anglais, renforcés de Hollandais, en 1694. Elle est l’un des rares monuments bretons classés au patrimoine mondial de l’Humanité, établi par l’Unesco. Conçue par Vauban, il s’agit d’un ouvrage polygonal, édifié sur le sillon du port de Camaret. Les travaux débutent en 1689 et Vauban a imaginé une batterie de onze canons pour croiser les feux avec les batteries de la pointe du Gouin et empêcher tout débarquement sur les plages. Le rez-de-chaussée a été conçu pour particulièrement bien résister aux bombardements de navires de guerre. Côté mer, la tour est protégée par un puissant bastion. Les autres étages sont percés de meurtrières. Vauban a aussi placé un four à boulets rouges, permettant de chauffer intensément les boulets avant de les tirer. Assez dangereuse, la manœuvre permet cependant d’obtenir des projectiles particulièrement redoutables contre les navires de bois. Haute de dix-huit mètres, la Tour dorée n’est pas achevée alors que débute la bataille de 1694. Elle ne le sera qu’en 1696. Elle est endommagée par plusieurs tirs dont les impacts sont encore visibles. La victoire de Camaret en 1694 vaudra à la ville d’être exempté de fouages, une forme de taxe, jusqu’à la Révolution française. La Tour Vauban, reconnaissable à son enduit rouge, fait de tuiles pilées qui le rendent étanche, participe longtemps à la défense de la rade de Brest. À l’intérieur, on peut y découvrir une exposition sur le système défensif mis en place par Vauban à la pointe Bretagne ainsi que des uniformes et des armes d’époque.
A lire
La bataille de Saint Cast (Bretagne 11 septembre 1758). Entre Histoire et mémoire.
Yann Lagadec, Stéphane Perréon, David Hopkin, PUR, Rennes, 2009.
Très documenté, cet ouvrage croise les sources françaises et britanniques sur la bataille de Saint-Cast. Il le replace également dans son contexte et revient sur les autres descentes anglaises en Bretagne comme sur l’histoire militaire de la Manche au XVIIIe siècle. Enfin, il s’intéresse et analyse longuement les enjeux de mémoire liés à cet événement, particulièrement dans le mouvement régionaliste du XIXe siècle.