Au XIXe siècle, la paix s’installe entre la Grande-Bretagne et la France, favorisant un nouveau développement du commerce maritime entre les deux rives de la Manche. C’est notamment le cas à partir de la fin du siècle, lorsque les navires vont chercher le charbon gallois nécessaire à l’industrie, tout en ouvrant des débouchés à l’agriculture bretonne.
Attestées dès le Moyen Âge, les mines de charbon gallois vont connaître une spectaculaire exploitation à partir du XVIIIe siècle avec les débuts de la révolution industrielle. De très bonne qualité – il encrasse moins les machines que d’autres variétés - , il va être rapidement exporté. Plusieurs ports vont connaître une croissance extraordinaire, à l’instar de Cardiff, petite bourgade vers 1800, devenu le plus grand port charbonnier du monde un siècle plus tard. Cardiff est aujourd’hui la capitale du pays de Galles.
La demande de charbon explose
La consommation de charbon en Bretagne et en France explose parallèlement à la révolution industrielle. Ainsi, dans l’Hexagone, elle passe de 2,2 millions de tonnes en 1827 à 32,4 millions en 1883. Les mines françaises de l’est et du nord ne peuvent couvrir la totalité des besoins du pays, d’où le recours massif au charbon gallois et anglais. Ce combustible va notamment être envoyé en Bretagne par voie maritime. Il intéresse les grands sites industriels, particulièrement ceux de l’estuaire de la Loire, mais aussi la marine française qui va l’utiliser plusieurs années avant la Royal Navy, cette dernière préférant d’abord le charbon de Newcastle pourtant moins performant.
Gérés par les départements ou les chambres de commerce, les ports, particulièrement sur la côte nord, vont profiter du trafic charbonnier. De nombreux investissements vont d’ailleurs être réalisés pour améliorer les infrastructures portuaires : phares, balisages, nouveaux quais, môles…. Saint-Malo et Brest sont alors les deux plus importants ports du littoral septentrional. La cité corsaires voit ainsi transiter 700 000 tonnes de charbon en 1914.
Mais d’autres ports, plus modestes, alimentent ce trafic. C’est par exemple le cas du port de Portrieux. En 1857, on y recense ainsi près de 70 navires armés pour la cabotage, contre 25 pour la pêche. Le trafic se développe avec le transport de houille galloise depuis le port de Cardiff. En 1913, plus de 2200 tonnes de charbon sont débarquées à Portrieux avec notamment les compagnies Noix Océan ou Mesvel. Jusqu’aux années 1950, on y trouve un sloop, l’Eugénie, rebaptisé Bleimor, qui pouvait transporter 30 tonnes de charbon. Ce caboteur a été également utilisé pour transporter du granit pour la reconstruction de Saint-Malo. Paimpol, Pontrieux, Pleubian, Tréguier, Lannion, Morlaix ou Landerneau accueillent également de nombreux navires charbonniers.
Pour l’industrie, l’énergie, le train
En 1860, un accord douanier franco-britannique va encore multiplier les échanges de charbon.
Au nord de la Bretagne, il va servir à alimenter les premières centrales électriques qui sont construites à proximité des ports, comme au Légué, près de Saint-Brieuc. Les forges et laminoirs locaux sont également consommateurs. Le charbon sert également à achalander les nouvelles gares, le train à vapeur arrivant à la pointe Bretagne dans les années 1860. De nombreuses lignes secondaires vont ensuite être bâties pour relier les ports secondaires au réseau, comme la ligne Morlaix-Roscoff ou Guingamp-Paimpol.
En retour, les Bretons exportent notamment du bois pour la construction des galeries de mines galloises. De nombreux produits agricoles prennent également le chemin du nord de la Manche, le plus emblématique d’entre eux étant l’oignon du Léon, commercialisé par les fameux Johnies. Les Bretons importent également, mais dans une mesure moindre, du kaolin de Cornouailles. Ils rapportent aussi de grandes quantités de tuiles, particulièrement dans le Trégor littoral où l’on trouve de nombreux toits « rouges » à côté des traditionnelles toitures en ardoises.
Un déclin progressif
La Première Guerre mondiale va porter un sérieux coup à ce commerce. La Bretagne se retrouve en première ligne dans un conflit qui est aussi maritime. Les marins doivent faire face aux sous-marins allemands qui s’attaquent aux navires de pêche et de commerce lorsqu’en avril 1915, l’amiral Von Pohl déclare « zone de guerre » les eaux entourant la Grande-Bretagne. Cela va fortement perturber le trafic transmanche, les navires devant désormais évoluer en convois escortés par les marines de Guerre.
Si la Première Guerre mondiale a constitué un frein pour le cabotage, son déclin ultérieur est du à des raisons structurelles. Outre la demande moins importante de charbon, aucun armateur important n’émerge, particulièrement dans les Côtes-du-Nord. Depuis le début du XXe siècle, le trafic transmanche était d’ailleurs en grande partie assuré par des navires britanniques. Faute de modernisation, les productions agricoles bretonnes stagnent dans les années 1920 et la crise des années 1930 voit le marché britannique se restreindre.
Durant l’entre-deux-guerres, seul le charbon britannique permet de maintenir un volume significatif de marchandises dans les petits ports de la côte nord. Mais la Seconde Guerre mondiale et ses destructions vont mettre un terme presque définitif à ce commerce charbonnier.
Aujourd’hui, alors que le cabotage et le trafic maritime connaissent un renouveau dans plusieurs régions du Monde et qu’ils constituent une alternative intéressante à la route, les petits ports bretons avec leurs infrastructures héritées du XIXe et du XXe siècle pourraient peut être connaître un certain renouveau.
Erwan Chartier-Le Floch