Introuvable depuis quelques années, la commune de Carhaix nous a demandé de rééditer la monographie consacrée à l’histoire étonnante de cette ville. Depuis quelques jours, elle est disponible en librairie avec une nouvelle maquette et une iconographie renouvelée.
Carhaix, 2000 ans d’Histoire, (Erwan Chartier-Le Floch, dir.), Coop Breizh, 208 pages.
En avant-goût, voici la conclusion :
Carrefour de la Bretagne, la riche histoire de Carhaix nous apprend qu’elle a toujours fondé sa prospérité sur sa position centrale et qu’elle a décliné lorsqu’elle s’est retrouvée coupée des grands axes de la péninsule. Explications.
$Il est peu de villes en Bretagne qui peuvent se prévaloir d’un passé aussi singulier que Carhaix. Une histoire qui court sur deux mille ans, alternant phases d’expansion et de repli avec une constante : si la prospérité de la ville est liée à sa centralité géographique, celle-ci ne s’épanouit que lorsque les moyens de communication lui permettent de rayonner dans toute la Bretagne.
En choisissant ce vaste plateau surplombant la vallée de l’Hyères pour y implanter une nouvelle ville, les conquérants romains ne laissaient en effet rien au hasard. Ils savaient que Vorgium, dont ils voulaient faire une vitrine du monde romain, était située au cœur du territoire osisme, cette tribu gauloise occupant l’ouest de la péninsule. Le lieu était situé à proximité d’anciens centres de pouvoir (l’oppidum d’Huelgoat, la forteresse de Paule) et sans doute d’un réseau bien établi de routes gauloises que les nouveaux arrivants vont développer. La cité s’étend dans les premiers siècles de notre ère, qui correspond à une période d’essor économique pour toute la péninsule armoricaine. On y construit des temples, des édifices publics et même un aqueduc, un ouvrage très coûteux qui permet d’acheminer de l’eau sur plus d’une vingtaine de kilomètres afin d’alimenter les fontaines et les thermes de l’agglomération. Centre politique et administratif, la ville est aussi un centre commercial vers où convergent de vastes voies romaines. Les archéologues estiment à près de quinze mille le nombre d’habitants lors de l’apogée du Vorgium gallo-romain, ce qui en fait l’une des plus importantes agglomérations de la Gaule de l’ouest.
Cette prospérité ne va pas durer : les difficultés débutent à la fin du IIIe siècle et vont se poursuivre jusqu’au début du Moyen Age. Les décennies qui suivent voient de profonds bouleversements en Armorique. L’empire romain s’effondre, les troubles mettent un terme au développement économique, les villes périclitent. L’Armorique devient la Bretagne et Vorgium se transforme en Carafes puis Carhaix, le « carrefour ». Un carrefour encore fréquenté, même s’il est entouré de ruines romaines. Certes, au haut Moyen Age, les centres politiques et militaires semblent se déplacer vers d’autres lieux, mais la ville garde un certain prestige ou, du moins, une aura symbolique dans la région. C’est en tout cas là que se rend, en 818, l’empereur Louis Le Pieux, venu soumettre la turbulente Bretagne. C’est aussi à Carhaix que viennent par la suite plusieurs ducs de Bretagne. Certaines voies romaines semblent toujours en fonction. La chanson d’Aiquin, composée au xii e siècle, nous livre une légende selon laquelle c’est la femme du seigneur Hoès qui les fit construire : « Elle fit faire un grand chemin empierré par lequel on pût aller à Paris la cité, car le pays était tout entier planté de forêts. A Carhaix, sachez-le bien, le chemin fut commencé et fondé. » Car pour beaucoup, à l’époque, Carhaix est Kerhaes, la ville d’Haes, princesse du légendaire breton.
Au Moyen Age, la ville redevient un centre économique. Jusqu’à l’époque moderne, les foires de Carhaix attirent les chalands et les marchands de basse Bretagne ou de plus loin. Plusieurs établissements religieux témoignent d’une certaine prospérité retrouvée. A la veille de la Révolution française, Carhaix est une ville d’une relative importance, même si sa population est inférieure à deux mille habitants. Elle est l’un des centres administratifs de la Bretagne intérieure. On y trouve une maîtrise des eaux, bois et forêts, une direction des Devoirs, un bureau pour la distribution des eaux de vie et la vente des vins de la ferme générale, un entrepôt des tabacs. Sa mairie envoie des députés aux états de Bretagne.
La tourmente révolutionnaire va bouleverser la vie de la petite cité. La départementalisation la projette aux confins du Finistère en 1790 et Carhaix ne deviendra jamais la sous-préfecture qu’elle ambitionnait d’être, celle-ci étant établie, quelques années plus tard, à Châteaulin. La cité est en déclin économique, les routes sont mal entretenues et délaissées. Le centre Bretagne est considéré comme un pays étranger, réputé difficile d’accès.
Il faut attendre le milieu du xix e siècle pour que les choses évoluent. Le percement du canal de Nantes à Brest va entraîner un essor économique dans toute la région. Grâce à lui, des engrais et des amendements sont acheminés depuis la côte et entraînent un nouveau développement de l’agriculture. Le canal offre aussi aux produits centre bretons de trouver de nouveaux débouchés. A la fin du xix e siècle, un autre mode de transport donne un nouvel élan à Carhaix : le train. La capitale du Poher se retrouve au centre d’un réseau de voies métriques qui irriguent tout l’ouest de la Bretagne. Il permet de transporter les voyageurs ou les marchandises. Pour accueillir les cheminots et leurs familles, un nouveau quartier s’élève autour de la gare de Carhaix.
Les dernières décennies donnent un bilan contrasté pour Carhaix. La cité a gagné des habitants depuis la Libération, notamment avec l’exode rural engendré par les profondes transformations de l’agriculture bretonne. Mais l’agroalimentaire n’a pas permis de faire véritablement “décoller” l’agglomération. Si la ligne Guingamp-Carhaix a été maintenue, le réseau feroviaire breton a désormais disparu. Le réseau routier a connu des améliorations notables, mais malgré les promesses, la mise à 2 x 2 voies de l’axe central entre Châteaulin et Rennes n’est toujours pas terminée.
Malgré ses handicaps, les motifs d’espoir ne manquent pas. Le premier réside dans la prise de conscience des Carhaisiens et des centres Bretons que leur destin est entre leurs mains. La création du Pays de centre ouest Bretagne, dans les années 1990, a permis de dépasser certaines frontières administratives pour jeter les bases d’un territoire plus cohérent, dont Carhaix constitue l’un des principaux pôles. La centralité de la ville, à une heure de route des grandes villes de basse Bretagne et de la côte, est désormais mise en avant pour favoriser l’installation d’entreprises ou développer un tourisme de qualité. Enfin, en misant sur la culture, un phénomène illustré par le succès des Vieilles Charrues, Carhaix a prouvé qu’en plus d’être un carrefour, elle pouvait être aussi un rendez-vous.