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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Emile Cloarec relance le théâtre populaire breton en 1898

Publié le 14 Janvier 2017 par ECLF in Histoire de Bretagne

Emile Cloarec relance le théâtre populaire breton en 1898

 

En août 1898, Ploujean connaît une activité culturelle sans précédent avec une représentation théâtrale en breton attirant plusieurs milliers de personnes et la presse du monde entier. Maire de Ploujean et futur député radical, Émile Cloarec faisait également partie des fondateurs de l’Union régionaliste bretonne quelques jours plus tard à Morlaix.

En ce 14 août ensoleillé 1898, la commune de Ploujean s’apprête à vivre une journée extraordinaire à bien des égards. Plusieurs milliers de personnes - entre 3 et 4 000 selon la presse - s’agglutinent dans un vaste espace, près du cimetière, où les soldats du 118e de ligne assurent le service d’ordre. Les officiels sont arrivés en longeant la rivière de Morlaix : autorités civiles, religieuses et militaires, notables et hommes politiques régionaux, célébrités diverses. « On se serait cru à une première d’un théâtre à Paris», écrit le correspondant de La Dépêche de Brest. Il est loin d’être le seul journaliste puisqu’on compte nombre de représentants de la presse parisienne, anglophone, allemande, italienne et même égyptienne.

 

Vie de saint Gwénolé

Tous ces visiteurs sont venus assister à la représentation de la « Vie de saint Gwénolé » par la troupe locale des Paotred Plouiann, une « œuvre patriotique bretonne » pour le préfet du Finistère et l’évêque de Quimper qui ont apporté leur patronage. L’écrivain Anatole Le Braz monte sur scène pour lire le prologue en français. S’ensuivent les cinq actes, joués en breton par douze acteurs qui tiennent chacun plusieurs rôles, dont certains féminins… Les scènes se succèdent: vie du roi Gradlon, débauche de Dahut, submersion de la ville d’Ys. Le célèbre chansonnier Théodore Botrel vient chanter lors des entractes. Le spectacle est un triomphe et les articles sont dithyrambiques, y compris dans L’Illustration et Le Monde Illustré. Les observateurs venus de loin sont ravis: ils ont côtoyé pendant quelques heures l’âme de la Bretagne, cette «terre étrange et pittoresque» comme le rapporte un journaliste de L’Écho de Paris.

 

Renouveau du théâtre populaire

Le succès de cette journée est dû à une conjonction de facteurs. Autrefois très populaire, la pratique du théâtre en breton est moribonde en cette fin de XIXe siècle. Elle ne concerne plus que le Trégor et une partie du Vannetais. Une représentation du « Mystère de sainte Triphine », à Morlaix en 1888, a ainsi tourné au fiasco du fait de l’amateurisme des acteurs. Dix ans plus tard, l’écrivain Anatole Le Braz s’alarme de cette situation, alors qu’il entame une thèse de doctorat sur le sujet. En septembre­1897, à l’occasion de l’inauguration de la statue du corsaire Cornic, à Morlaix, Le Braz déjeune avec l’écrivain Charles Le Goffic, le maire de Ploujean, Émile Cloarec et son adjoint, Thomas Parc, surnommé « Parkik ». Ces deux derniers leur font part de leur intention d’organiser une nouvelle représentation, l’été suivant, à Ploujean, ce qui provoque l’enthousiasme des hommes de lettres. Pendant plusieurs mois, Le Braz et Le Goffic vont mettre leur réputation et leurs relations au service du projet. Ils mobilisent notamment les Bretons de Paris et lancent, en avril 1898, un comité de patronage avec des membres très prestigieux. On y trouve notamment plusieurs académiciens, des intellectuels, des députés bretons, l’évêque et le préfet du Finistère… Plusieurs artistes de renom sont également recrutés. C’est ainsi que le sculpteur Ludovic Durand, tout juste revenu de New York, construit la scène du théâtre. Le peintre nantais, Maxime Mauffra réalise les décors et Ary Renan (le fils d’Ernest) crée les costumes. Quant aux comédiens, menés d’une main de maître par Thomas Parc, ils répètent la pièce pendant plus de six mois. Émile Cloarec assure l’intendance, y compris sur ses deniers personnels.

 

Naissance du régionalisme

La représentation du 14 août s’inscrit aussi dans une perspective plus large, puisque, dans la foulée, se tient le congrès fondateur de l’Union régionaliste bretonne (URB) à Morlaix. L’URB demande une décentralisation économique, politique et culturelle et rassemble alors des notables de tous bords, avant que la plupart républicains, dont Cloarec, ne la quittent en 1902. Après son succès initial, la troupe des Paotred Plouiann continue ses représentations sous le patronage d’Émile Cloarec qui devient député en 1901. Il obtient même une importante subvention du ministère des Beaux-Arts. L’initiative fait aussi des émules, notamment dans les organisations catholiques. Mais la troupe de Ploujean se distingue par son engagement républicain. Elle se produit ainsi en septembre 1903, lors de l’inauguration de la statue d’Ernest Renan à Tréguier, un événement qui provoque de vives tensions avec les catholiques. Les Paotred Plouiann jouent neuf pièces jusqu’en 1914, année de la mort d’Émile Cloarec et du début de la Première Guerre mondiale qui met un terme à nombre d’initiatives culturelles.

 

Émile Cloarec, un Républicain régionaliste

La cheville ouvrière du renouveau du théâtre populaire breton a été, sans conteste, Émile Cloarec, républicain radical et régionaliste affirmé. Né en 1869, il suit des études de droit et devient avocat à Morlaix en 1881, ville dont son père, Armand, est maire républicain. Quelques années plus tard, il s’installe à Ploujean et emporte la mairie en 1892. Cette victoire n’avait rien d’une sinécure dans une commune où l’on comptait 17 châteaux et manoirs, ainsi que des notables plutôt conservateurs et cléricaux.

Défenseur de la langue bretonne

Émile Cloarec est fermement anticlérical et, élu député en 1901, il devient un fidèle partisan d’Émile Combes, président du conseil en 1902, qui engage les démarches pour la séparation de l’Église et de l’État. Mais, si Cloarec est favorable à cette dernière, il se désolidarise de certaines mesures, comme l’interdiction des prêches en breton. Avec 32 députés sur 35 des cinq départements bretons, en janvier 1903, il vote contre la circulaire Combes à propos de cette mesure qu’il juge néfaste pour la langue bretonne. Son engagement pour la langue bretonne est constant. En 1909, des députés de gauche, le groupe « Guyesse-Cloarec » demandent que le breton soit enseigné dans les écoles publiques. Réélu sans problème jusqu’en 1914, Émile Cloarec est un bon exemple de ces notables radicaux de la Troisième République assez clientélistes, à la grande fureur de ses adversaires de droite ou socialistes. Il intervient ainsi pour pourvoir des emplois publics à des fidèles, obtient des décorations pour ses administrés, inaugure beaucoup et banquette souvent. Son action en faveur du développement de l’éducation et de l’instruction dans sa circonscription est notable.

 

A lire :

Patrick Gourlay, Le Renouveau du théâtre populaire breton, Emile Cloarec, un républicain régionaliste à la Belle Epoque, Coop Breizh, Spézet, 2016.

Emile Cloarec relance le théâtre populaire breton en 1898
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