De passage au festival interceltique de Lorient, lundi 7 août, l’ancien premier ministre écossais (entre 2007 et 2014), Alex Salmond, a donné une conférence sur l’histoire et l’actualité de son pays. Désormais animateur radio après sa défaite aux dernières législatives, il a échangé de manière très décontractée avec un public conquis…
Il y avait foule, ce lundi 7 Août 2017, dans le salon VIP du stade du Moustoir, non pour l’arrivée d’un nouveau joueur au FCL, mais pour une conférence de l’ancien premier ministre écossais, Alex Salmond, celui qui a porté le referendum sur l’indépendance en 2014. Le directeur du festival, Lisardo Lombardia, a d’ailleurs très justement rappelé en introduction que le FIL « n’était pas qu’un évènement musical, mais aussi un lieu d’échanges le plus ouvert possible, notamment dans les domaines intellectuels, culturels et économiques ».
En homme politique d’expérience et en orateur confirmé, Alex Salmond a pris la parole en français pour faire part de sa surprise d’avoir pu apprécier, la vieille, la qualité du whisky breton. De quoi se mettre le public dans sa poche, avant d’embrayer sur une conférence-plaidoyer pour l’indépendance écossaise et une Europe des peuples.
Force progressiste et pro-européenne
Alex Salmond a ainsi exposé quelques éléments historiques concernant l’attachement de l’Ecosse à l’Europe. Le nationalisme écossais porte généralement aux nues, parfois de manière excessive, les batailles médiévales contre les Anglais et la geste de Braverheart. Avec un humour assez réjouissant, Alex Salmond a rappelé qu’après leurs victoires, William Wallace et Robert Bruce se sont avant tout préoccupés de renouer les liens commerciaux avec le reste de l’Europe, particulièrement la Ligue hanséatique. Il aussi rappelé l’apport de l’Ecosse au débat intellectuel depuis le XVIIIe siècle, lorsqu’Edimbourg était surnommée l’Athènes du Nord, lorsque Adam Smith et David Hume bouleversaient la philosophie et l’économie.
Il a enfin évoqué les sacrifices des soldats écossais durant la Première Guerre mondiale qui ont payé le prix du sang sur les champs de batailles du continent. « Donc s’entendre dire que, malgré la volonté exprimée du peuple écossais, ces liens avec l’Europe allaient être réduits, suspendus ou supprimés, que nous allions être réduits au simple rôle de spectateur, est juste démocratiquement inacceptable, c’est un affront à notre propre histoire. C’est inacceptable pour l’Ecosse, c’est inacceptable pour l’Europe. »
Le parti nationaliste écossais, le SNP est en effet aujourd’hui la principale force progressiste (son programme social est plus à gauche que les travaillistes anglais) et pro-européenne de Grande-Bretagne. Néanmoins, Alex Salmond n’a pas caché une certaine déception de ne pas être plus entendu par les instances bruxelloises. « Nous avons conscience des liens historiques qui unissent l’Ecosse à l’Europe, particulièrement avec l’arc celtique. Nous ne voulons pas d’un retour des frontières. Exprimée avec calme, nos revendications démocratiques ne sont pas écoutées, alors que l’Europe fait face à la montée des populismes et ou de dérives autoritaristes en Pologne et en Hongrie. »
Plus largement, il a plaidé pour une plus large autonomie, le Home-rule, pour tous les peuples au sein d’une Europe unie et protectrice. « Cependant, tous les défis que rencontre l’Europe illustrent de façon assez cruelle son propre échec depuis les années 1990 quand les travailleurs se tournaient vers Bruxelles pour mieux défendre leurs droits, quand les nations sans Etat voyait en Bruxelles un allié pour contrer le centralisme des gouvernements dominants ou quand les Européens de l’Est, tout juste libérés de l’emprise communiste, voyaient leur salut dans les européennes. »
L’indépendance dans quelques années
L’Ecosse possède aujourd’hui le statut d’autonomie le plus étendu du continent, mais elle ne pèse guère devant une commission entièrement contrôlée par les structures étatiques. Les Ecossais ont très largement voté contre la sortie de l’Union européenne, au contraire de leurs voisins anglais. « Theresa May avait promis de consulter les Ecossais lors du déclenchement de l’article 50, lançant le début du brexit. Mais, entretemps, le SNP a perdu des sièges à Westminster, tout en restant largement majoritaire en Ecosse. Désormais, elle refuse de recevoir la première ministre écossaise. » Pour lui, le mépris du gouvernement britannique ne fait que nourrir et attiser le sentiment indépendantiste. La perspective des graves problèmes que pourrait rencontrer la Grande-Bretagne pousse le gouvernement écossais à vouloir négocier un accord de libre-échange séparé ou à organiser un nouveau référendum sur l’indépendance.
Avec le brexit et pour paraphraser les Irlandais, « difficultés des Anglais sont les opportunités des Ecossais » et, Alex Salmond en est persuadé, l’Ecosse pourrait être indépendante d’ici quelques années. « L’indépendance est quelque chose de bien plus important que le brexit, précise-t-il. Elle est un espoir, celui d’un meilleur futur pour les Ecossais. Elle pose la question de savoir s’ils veulent décider et disposer d’eux-mêmes pour construire leur pays. »
Etre pragmatique et imaginatif
Alex Salmond a rappelé que le succès de son parti résidait aussi dans son pragmatisme. « Au début, nous pensions convaincre les élus des partis traditionnels, mais cela n’a pas marché. Alors, nous avons bâti une force alternative et pragmatique pour faire évoluer la situation, pour créer de nouveaux rapports de force politique. Pour que les gens vous suivent, il faut des propositions viables, pragmatiques et gagnables. Il faut procéder par étapes. C’est progressivement que l’on obtient des victoires et qu’on fait évoluer la situation. Sinon, il y a un risque découragement. »
Lena Louarn, vice-présidente du conseil régional a demandé à Alex Salmond quelle avait été sa politique en faveur du gaélique. Rappelons qu’en Ecosse, la question linguistique est complexe. Le gaélique n’a été pratiqué que dans le nord-ouest du pays, essentiellement les îles, le sud du pays parlant picte ou breton jusqu’au haut Moyen Âge. Il n’a jamais été considéré comme l’un des fondements de l’identité écossaise, dont la principale langue régionale reste le scots, célébrée par Robert Burns et reconnue également en Irlande du Nord. Le nombre de locuteurs de gaélique tourne autour de 80 000, celui du scots à un million et demi.
Alex Salmond a d’ailleurs reconnu que, contre l’avis d’un certain nombre de ses parlementaires et de ses hauts fonctionnaires, il avait beaucoup donné pour le gaélique. D’abord pour la chaîne de télévision BBC Alba, puis pour Sabhal Mòr Ostaig, un établissement universitaire sur l’île de Skye. « A chaque fois qu’ils m’invitaient, c’était dans une salle avec une vue magnifique sur le paysage. Rien que pour en profiter, je leur accordais tout ! J’invite donc les militants pour les langues minoritaires à être particulièrement créatifs et imaginatifs… »
Le président de l’Institut culturel de Bretagne, Patrick Malrieux, a remis une médaille à Alex Salmond, et rappelé combien l’Ecosse pouvait constituer un exemple stimulant pour la Bretagne. Auparavant, Alex Salmond avait appelé tous les démocrates et progressistes européens à soutenir les Ecossais, avant d’aller signer son ouvrage Notre rêve ne mourra jamais qui vient d’être publié en français par les éditions Yoran (Fouesnant).