Pendant près d’un demi-siècle, le maire de Carhaix, Ferdinand Lancien a été l’un des poids lourds politiques du Poher et du Finistère, cumulant les postes et cultivant ses réseaux bien au-delà des frontières bretonnes. Son parcours illustre combien la Troisième république a été un régime de notables.
Fernand, qui préfère ensuite se faire appeler Ferdinand, voit le jour le 18 août 1874 dans une famille solidement implantée dans le Poher. Originaire de Callac, son père est notaire et conseiller municipal à Carhaix. Sa mère, Marie Nouët, appartient à la bourgeoisie carhaisienne, puisque son père était déjà conseiller municipal au début de la Troisième république et que son grand-père, Thomas Nouët, avait lui-même été maire de Carhaix sous la Restauration et la Monarchie de juillet, entre 1824 et 1837. Des liens familiaux étroits unissent en effet les vieilles familles carhaisiennes, comme l’a mis en lumière l’historien Jean-Yves Michel.
Son frère faisant des études de droit pour reprendre l’étude notariale, Ferdinand Lancien opte pour la médecine. Il étudie à Paris et soutient sa thèse en 1902, avant de revenir en Bretagne. Il épouse la fille d’Yves Riou, député des Côtes-du-Nord. Le couple s’installe à Carhaix et Ferdinand ne tarde pas à être, lui aussi, atteint par le virus de la politique. En 1904, il se présente aux cantonales et bat Anthoine, le maire de Carhaix. Il se déclare alors comme libéral ; plutôt à droite. Sa famille est en effet cléricale et soutient de nombreuses œuvres chrétiennes.
Maire de Carhaix entre 1906 à 1944
En 1906, Ferdinand Lancien remporte cette fois la mairie de Carhaix et penche désormais plutôt à gauche. Il se rapproche ainsi des Républicains socialistes, une formation dont l’historien Jean-Marie Mayeur explique qu’elle « réunit des hommes de centre gauche qui répugnent à une discipline de parti, à qui leur rôle d’appoint dans une majorité assure une remarquable fortune ministérielle ». De fait, tout au long de sa carrière, Ferdinand Lancien a fait montre d’une grande souplesse idéologique.
Le nouveau maire de Carhaix sait avant tout cultiver ses réseaux. En 1910, il adhère au comité Mascuraud. Ce puissant organisme de lobbying républicain, proche des radicaux, lui ouvre les portes de l’Assemblée. Devenu député, il développe ses relations parisiennes. On le retrouve également dans un grand nombre d’associations, de sociétés et d’organismes dans sa circonscription. Un étroit maillage dans le monde agricole lui permet de renforcer sa notoriété et sa clientèle politique et qui constitue, selon Ronan Lollier, un « véritable système ».
Décoré en Roumanie
Mobilisé pendant la Première Guerre mondiale, il reçoit la croix de guerre en 1915 pour son courage sur le front d’Artois. En octobre 1916, il part soigner des blessés en Roumanie, ce qui lui vaut d’être à nouveau décoré par la reine de ce pays. Dans les derniers mois de la guerre, il travaille auprès des brûlés à l’hôpital d’Issy-les-Moulineaux, continue son activité de parlementaire et écrit dans le Matin… Démobilisé avec le grade de lieutenant-colonel, il a reçu la Légion d’honneur à titre militaire.
Battu aux élections législatives, Ferdinand Lancien rebondit rapidement en se faisant élire au Sénat en 1921. Il y sera réélu en 1929 et 1938. Il siège dans différentes commissions, particulièrement sur les questions d’hygiène, mais il s’intéresse aussi à la Marine, à l’aviation et aux colonies. En 1926, il est nommé questeur de la haute assemblée. A Carhaix, il lance plusieurs chantiers, notamment pour l’électrification de la ville qui est aussi dotée d’adductions d’eau en 1924.
Dans l’entre-deux-guerres, Ferdinand Lancien s’impose comme l’un des poids lourds politiques de la région, même s’il ne deviendra jamais ministre. Conseiller général, vice-président en 1922, il est élu président du conseil général du Finistère en 1936 après le décès d’Albert Louppe. Il est également, dans les années 1930, à la tête de la société hippique ou de la caisse régionale du crédit agricole.
En 1940, il vote les pleins pouvoirs à Pétain. Vichy le maintient dans ses fonctions de maire, mais pas au conseil départemental en 1943. Sans s’engager dans la résistance, Ferdinand Lancien ne cache pas son opposition à l’occupant. Il est même soupçonné d’avoir caché des aviateurs alliés et il est emprisonné par les Allemands pendant huit semaines. Ecarté à la libération, il monte une liste de droite aux élections de 1945 à l’issue desquelles il est battu à plate couture et met un terme à sa carrière politique. Retiré à Carantec, il s’éteint à l’âge de 81 ans, après avoir fortement marqué la vie politique du Poher.
Le château rouge
Outre son implication dans la vie politique locale, la famille Lancien a marqué l’architecture carhaisienne avec la construction d’un imposant bâtiment, le Château Rouge, baptisé ainsi en raison de ses proportions et de sa façade en briques. Il abrite aujourd’hui la médiathèque de la ville. C’est le père de Ferdinand, Constant Lancien, qui confie la construction de cette imposante bâtisse à Le Guerranic, l’architecte diocésain des Côtes-du-Nord. Constant Lancien voulait une nouvelle demeure digne de son épouse et de sa fortune. Le château comporte un parc et des dépendances, mais son bâtisseur n’en profitera guère, puisqu’il décède en 1903, à l’âge de 66 ans. Pendant la guerre, le Château Rouge est réquisitionné par l’occupant et plusieurs résistants sont torturés dans les caves. En 1956, après le décès de Ferdinand Lancien, la commune achète le domaine. Il abrite d’abord les impôts, avant d’être dédié à la culture.