Margueritte Le Boulc’h, alias « Fréhel » a été une énorme star de la chanson française du début du XXe siècle. L’interprète de la Java Bleu, actrice inoubliable dans « Pépé le Moko » reste aussi célèbre pour ses excès.
« Joey Starr, l’épouvantail des bonnes gens ? Et bien, à côté de Fréhel, c’est une sorte de Jacques Chazot poudré, un minet du XVIe arrondissement ! », estime Bertrand Dicale dans son ouvrage « La Chanson française pour les nuls ». Comparaison n’est pas raison, mais force est de constater que la vie de Margueritte Le Boulc’h, devenue Fréhel sur scène, fut très rock ‘n roll, et ce bien avant l’invention du genre.
Origines à Primel
C’est dans ce Paris populaire, qu’elle n’a cessé de chanter, qu’elle voit le jour, le 13 juillet 1891. Ses parents ont profité d’une permission du père, marin de la Royale, pour séjourner dans la capitale française. Ils ont 18 ans et n’ont pas désiré cet enfant arrivé trop tôt. Ils retournent rapidement dans leur Bretagne natale, à Primel-Trégastel, où le bébé est confié à la grand-mère. La mère repart pour Paris, le père sur ses bateaux.
Cinq ans plus tard, il met définitivement pied à terre et vient chercher sa fille. Il a trouvé un emploi d’aiguilleur des chemins de fer et emmène l’enfant à « Paname ». Mais Margueritte conservera toujours un bon souvenir de son enfance trégorroise. Elle expliquait ainsi : « Mon pays, c’est Primel-Trégastel, un petit port de pêche du Finistère, aux hivers doux et tristes, quand la tempête ne fait pas gémir et tirer sur leurs amarres les vieux langoustiers noirs. »
Artiste précoce
Dès ses cinq ans, la fillette montre qu’elle a du caractère et monte volontiers sur les tables pour chanter. A 14 ans, elle décroche un premier contrat de chanteuse, dans une brasserie de la rue de Wagram. Elle se fait alors appeler la « môme pervenche ».
La jeune Margueritte a aussi du chien. Et une voix puissante, envoutante... Elle attire le regard des hommes, dont un certain Robert Hollard. Il l’épouse à 17 ans, alors qu’elle vient de tomber enceinte. Le bébé meurt prématurément. Le couple ne dure pas, mais c’est Robert qui lui aurait conseillé de prendre un nom de scène breton. Elle choisit « Fréhel », ce cap de la côte nord de la Bretagne, constamment battu par les embruns et les tempêtes. Comme une allégorie de sa vie.
Coco et java
En attendant, elle rencontre le succès et se construit un répertoire plutôt dramatique. Réaliste. Sombre, parfois, mais avec « une voix chaude et brisée » comme l’a décrite le jeune Maurice Chevalier. Il devient son amant. Leur liaison est passionnée, mais brève, car Fréhel est plutôt du genre volage et elle aime brûler la chandelle par les deux bouts, multipliant les amours comme les ivresses, nourries à l’alcool, à l’absinthe et, déjà, à la cocaïne. Elle a même chanté cette dernière « Donnez-moi de la coco/pour troubler mon cerveau » dans une chanson intitulée « La Coco », un tube des années folles.
Fréhel est la star française de la fin de la Belle Epoque, lorsque l’Europe jusque-là insouciante, se fracasse dans la Première Guerre mondiale. Fréhel n’est pas vraiment du genre à soutenir l’effort de guerre. En 1913, elle est partie en Russie, à l’invitation de la grande duchesse Anastasia, une « groupie ». Elle passe aussi plusieurs mois en Roumanie, auprès d’un jeune officier dont elle est tombée follement amoureuse. Mais il meurt à la guerre.
Il aura été l’un de ses grands amours et elle ne s’en remet pas. On la retrouve à Istanbul. Elle sombre. Sa consommation de drogue devient effrénée. Des amis parviennent à la persuader de rentrer, en 1923. Elle n’a que 32 ans, mais elle a complètement changé physiquement. « où sont mes amants/ Tous ceux qui m’aimaient tant / Jadis quand j’étais belle / Adieu les infidèles »… chante-t-elle. Elle incarne aussi la « Java bleu », autre énorme succès qui a énormément contribué à la légende de celle qui a interprété plus de trois cent titres.
Pépé le Moko
Bouffie, empâtée, la Fréhel de l’entre-deux-guerres devient pourtant une vedette de cinéma. Elle tourne dans une vingtaine de films, dont l’inoubliable « Pépé Le Moko ». Elle y donne la réplique à un Gabin visiblement ému. « Quand j’ai trop le cafard, je change d’époque ! », proclame-t-elle. Elle apparaît également dans La Maison du Maltais, un autre succès.
Les rôles comme les dates se font ensuite de plus en plus rares. Passée la guerre, Fréhel tombe dans la misère. Elle décède en 1951, dans une chambre d’hôtel, à Pigalle. L’histoire veut qu’on l’a habillée en costume breton, avant de la conduire au cimetière de Pantin. Il n’y a pas foule. Deux guerres sont passées et elle est déjà un peu oubliée. Pourtant, Fréhel est toujours considérée comme l’une des grandes chanteuses réalistes du XXe siècle et demeure l’une des artistes bretonnes les plus connues de son époque en témoigne sa riche discographie et filmographie. Et sans doute toujours, la plus « ROK » !
Erwan Chartier-le Floch