Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

François Pichon, le meunier assassin de Spézet

Publié le 1 Janvier 2019 par ECLF in Histoire de Bretagne

François Pichon, le meunier assassin de Spézet

 

En 1843, à Spézet, le propriétaire de Menez Kamm est tué lors d’une altercation avec son meunier, François Pichon. Crime ou accident ? Ce barde réputé est condamné à quinze ans de bagne, mais l’intervention de La Villemarqué et de la fameuse madame Récamier lui permette d’obtenir la grâce de Napoléon III.

Ce 2 mai 1843, vers 14 heures, des cris, puis un coup de feu retentissent dans les bois de Louabou, à Spézet. Des bûcherons se précipitent et découvrent le cadavre d’Hector Halma, propriétaire de Menez Kamm. Quelques témoins voient aussi François Pichon sortir des bois. Ce meunier part trouver le maire de Spézet. Il lui explique qu’il s’agit d’un accident. François Pichon était parti à la recherche de sangliers qui avaient ravagé ses cultures, lorsqu’il a rencontré Halma. Ce dernier lui a violemment reproché de chasser sur ses terres. Halma aurait ensuite saisi son fusil et aurait voulu le briser sur une roche lorsque le coup est parti. Après avoir retranscrit sa confession, le maire lui conseille de se constituer prisonnier auprès du juge de Carhaix.

 

Le négrier et le meunier

Qui est la victime ? C’est en 1836 qu’Hector Halma a acheté le domaine de Menez Kamm d’une surface de 258 hectares dont douze sont alors en culture. L’homme se présente comme ancien capitaine au long cours, mais on murmure que ce Nantais est surtout un ancien négrier. Il se lance dans d’ambitieux travaux de défrichage sur son domaine, mais paye mal ses ouvriers, et beaucoup préfèrent aller trouver de l’embauche ailleurs. Il s’attire également l’hostilité des Spézétois en interdisant la chasse sur ses terres et d’y prélever du bois. François Pichon a d’ailleurs eu des démêlés à ce sujet avec Halma, ainsi que sur des questions de grain à moudre.

François Pichon, quant à lui, est né en 1802. « Un gars de petite taille, assez vif et belliqueux », raconte Ronan Broustal qui a enquêté sur cette affaire et retrouvé les lieux du drame. Le rapport d’intégration au bagne signale qu’il a eu « les oreilles percées » et qu’il possède « des jambes très velues ». Ancien militaire, marié et père de plusieurs enfants, c’est également un barde reconnu qui chante régulièrement en breton dans les noces et les pardons. Il est l’un des informateurs de Théodore Hersart de La Villemarqué qui rencontre un énorme succès littéraire avec son Barzaz Breiz dont la première édition est parue en 1839.

 

Condamné au bagne

François Pichon comparaît devant la cour d’assises de Quimper. Les conclusions du juge de Carhaix lui sont plutôt favorables, mais la famille Halma présente des pièces qui lui sont hostiles. « Il y a eu plusieurs témoignages à charge plutôt bizarres, indique Ronan Broustal. Des gens qui auraient vu la scène, mais qui se trouvaient en fait très loin. Ou des ragots et des témoignages indirects. »

Mais le doute va profiter au prévenu. « Il a eu de la chance, constate Ronan Broustal. Le prévenu, avant lui, avait été condamné à la peine capitale, et la justice ne plaisantait pas à l’époque… » La cour de Quimper le condamne pour homicide, mais reconnaît des circonstances atténuantes. Il écope quand même de quinze ans de bagne, et il est envoyé à Brest.

 

Célèbres soutiens

La Villemarqué lui fait une visite. Quelque temps plus tard, lors d’un voyage à Paris, il raconte l’affaire dans le salon de la célèbre madame Récamier. La muse de Chateaubriand est captivée. Le lendemain, elle demande à l’auteur du Barzaz Breiz de coucher l’histoire par écrit. Elle-même prend la plume pour plaider la cause du barde des Montagnes Noires qui avait déjà reçu le soutien du maire et du recteur de Spézet, comme ceux du comte de Laz, d’Henry de Courcy ou de Victor Villiers de l’Isle-Adam. Ce dernier rappelle au procureur que le père de François Pichon aurait rendu de nombreux services pendant la Terreur.

Femme d’influence, madame Récamier sollicite sans succès le garde des Sceaux. En 1851, le procureur de la République rend un avis défavorable. Il faut attendre l’année suivante pour que l’empereur Napoléon III, le 11 août, ne lui accorde sa grâce. « Par un curieux hasard, souligne Ronan Broustal, madame Récamier est morte quelque temps plus tard, et Pichon n’a jamais pu la rencontrer ni la remercier. »

Après neuf ans de bagne, Pichon retrouve sa famille et se réinstalle dans un autre moulin à Spézet. C’est probablement là qu’il compose l’une de ses plus célèbres chansons, An Amzer tremenet (« Le Temps passé »). Coïncidence, le moulin appartient aujourd’hui à un autre chanteur de kan ha diskan, Jean-Claude Talec, qui l’interprète toujours. À Spézet, on dit donc que les fantômes du capitaine Halma et du barde François Pichon continuent de hanter les bois et les landes. Si le temps passe, dans les Montagnes Noires de Bretagne, les histoires restent.

 

Le manoir de Menez Kamm

En 1908, la comtesse régionaliste Vefa de Saint-Pierre vend une partie de ses riches terres du Goëlo pour acquérir le domaine de Menez Kamm, « la montagne boiteuse », un relais de chasse, dans les Montagnes Noires, avec ses bois, ses tourbières et ses collines escarpées. Comme le souligne Claire Arlaux, auteure de la biographie de référence sur Vefa de Saint-Pierre, c’est un cauchemar pour l’agriculture, mais un paradis pour la chasse et la pêche. Elle l’achète pour 180 000 francs de l’époque au marquis de Plœuc qui l’avait lui-même acquis auprès d’un personnage, tout aussi original, sir Henry Moulton. Ce peintre américain, installé en Europe, était également un passionné de chasse. Suivant la volonté de Vefa de Saint-Pierre, Menez Kamm devient un foyer culturel dans les années 1970. Plusieurs artistes, comme Glenmor ou Youenn Gwernig s’y produisent régulièrement. Cogérant du lieu, Yann Goasdoué y fonde Coop Breizh.

 

Commenter cet article