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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Le laténium de Neuchâtel

Publié le 9 Février 2009 par Erwan Chartier-Le Floch in Hauts lieux de la civilisation celtique

 


Situé à proximité de la ville et du lac de Neuchâtel, en Suisse, le Laténium est l’un des musées d’archéologie les plus modernes d’Europe. On peut y admirer des collections d’objets celtiques exceptionnelles, notamment ceux découverts sur le site voisin de La Tène, qui a donné son nom au second âge du Fer, du ve au ier siècle avant J.C.

Au iie siècle avant notre ère, à son extension maximale, le domaine celtique couvrait la majeure partie de l’Europe. Des îles Britanniques aux plateaux d’Anatolie, du Danube à la péninsule Ibérique, les Celtes partageaient des traits culturels communs, sans cependant avoir formé un ensemble homogène ou un empire centralisé. On l’oublie parfois, un bon nombre de grandes métropoles européennes - Londres, Paris, Budapest, Milan ou Belgrade par exemple -, a été fondée par les Celtes et une vingtaine d’États contemporains peuvent se prévaloir d’un passé antique celtique. L’archéologie permet régulièrement de mettre en lumière cet héritage commun.

C’est précisément le cas en Suisse, dont le territoire correspond en grande partie à celui des Helvètes, un des peuples gaulois de l’Antiquité. Depuis quelques décennies, l’archéologie préventive – organisée ici par canton - a permis d’y faire progresser la recherche. “De nombreuses autoroutes ont été construites dans notre pays entre 1970 et 2000, explique Denis Ramseyer, universitaire et conservateur adjoint du Laténium de Neuchâtel. Il y a eu des chantiers en permanence, qui ont entraîné des découvertes extraordinaires, particulièrement au bord des lacs que longent plusieurs de ces nouveaux axes routiers.” La fouille de sites lacustres a en effet entraîné la mise au jour d’objets très bien conservés, notamment dans le canton de Neuchâtel. “La région des trois lacs, souligne Denis Ramseyer, représente par exemple la plus importante concentration de pirogues préhistoriques et protohistoriques découvertes dans le monde. Par ailleurs, pour toutes les époques, nous avons mis au jour des objets de bois ou de cuir et des restes organiques.” Les lacs représentent un milieu particulièrement propice pour la conservation d’objets anciens, en raison de l’absence de courant, des couches de sédiments qui protègent de la lumière et la présence d’eau douce.

 

La Tène, un site de référence

Les lacs suisses ont conservé les vestiges de nombreux villages du Néolithique et de la Protohistoire. Les premières découvertes ont eu lieu au xixe siècle, et elles ont été à l’origine d’une véritable “fièvre lacustre”, non dénuée d’arrières pensées politiques. En effet, ces peuples lacustres ont été promus au rang d’ancêtres historiques des Suisses, de la même manière qu’en France, on glorifiait alors “nos ancêtres les Gaulois”. Ces premières fouilles sont également intervenues alors que l’archéologie moderne n’en était qu’à ses premiers balbutiements. La Préhistoire et la Protohistoire demeuraient mal connues, mais les savants commençaient à classer les objets mis au jour et à élaborer les premières chronologies.

C’est dans ce contexte qu’une découverte effectuée en 1857, sur les rives du lac de Neuchâtel, eut un énorme retentissement international. Par une froide journée de novembre, Hans Kopp, un pêcheur travaillant également pour l’érudit et antiquaire biennois, Friedrich Schwab, découvre une série de pieux de bois au lieu-dit de La Tène. Kopp remue la vase et, en moins d’une heure, découvre une quarantaine d’objets en fer, dont d’impressionnantes épées et lances. Un an plus tard, lorsque le professeur suisse Edouard Desor, fondateur du Congrès international d’archéologie, examine ces objets, il prend aussitôt conscience de l’importance de la découverte et comprend qu’il s’agit vraisemblablement d’un site de l’époque celtique. De nouvelles campagnes de fouilles sont alors organisées. Elles vont permettre la mise au jour de dizaines d’objets. Ces derniers sont présentés dans toute l’Europe. Ainsi, en 1867, les pièces de La Tène font sensation à l’Exposition universelle de Paris et sont notamment comparées avec les trouvailles d’Alise-Sainte-Reine, en Bourgogne, le lieu supposé de la bataille d’Alésia.

En 1874, au septième Congrès international d’archéologie à Stockholm, le nom de La Tène est choisi pour désigner le second âge du Fer, correspondant à la grande expansion celtique entre le ve et le ier siècle avant J.C. Durant le congrès, un autre site exceptionnel, Hallstatt en Autriche, est retenu pour qualifier le premier âge du Fer (du viiie au vie siècles avant J.C.). Grâce à l’important ensemble d’objets découverts à La Tène, les archéologues vont donc effectuer des comparaisons avec d’autres sites celtiques européens et, désormais, le terme “laténien” en est venu à désigner, du point de vue archéologique, la civilisation gauloise antique.

 

Les mystères de La Tène

Fouillé entre 1854 et 1917, le site de La Tène conserve pourtant bien des mystères. En effet, les techniques de l’époque ne sont plus celles d’aujourd’hui et, alors qu’autrefois on s’attachait surtout aux objets trouvés, l’étude des structures et de l’environnement prédomine aujourd’hui. Ce qui permet de comprendre la signification et le fonctionnement d’un site. Paradoxalement, si La Tène est connu internationalement, notamment parce qu’il a servi à nommer le second âge du Fer, le site lui-même n’a jamais été complètement étudié. Une partie des collections est exposée au musée Schwab de Bienne et au Laténium de Neuchâtel, mais de nombreux objets ont été confiés à des musées dans le monde entier. “Pour les cent cinquante ans de la découverte, en 2007, un important programme de recherche a été lancé, explique Denis Ramseyer. Des fouilles ont également été effectuées sur le site dont on s’est aperçu qu’il avait encore beaucoup de choses à nous apprendre. Grâce aux mesures de datation modernes, nous avons ainsi appris que les deux ponts découverts sur le site dataient en fait de la période de Hallstatt et de l’époque romaine, pour l’un et pour l’autre. Le site gaulois a donc fonctionné entre la construction de ces ponts et n’est pas lié à eux, comme on avait pu le penser autrefois.”

Le site de La Tène était situé à proximité d’une voie qui suivait les berges du lac. Les premiers archéologues qui l’ont étudié y ont vu un entrepôt fortifié, une sorte d’arsenal. Une hypothèse aujourd’hui abandonnée. La civilisation laténienne était dominée par la caste guerrière, qui structurait la société et autour de laquelle étaient organisées des pratiques cultuelles. La Tène est donc peut-être un lieu rituel, un sanctuaire guerrier dont on a quelques exemples dans le monde celtique, comme à Gournay-sur-Aronde. Des armes et des dépouilles de combattants (plusieurs squelettes retrouvés là portent des traces de traumatismes et de coups violents) y auraient été exposées, en souvenir de combats. Des sacrifices d’animaux, notamment d’équidés, auraient pu y être pratiqués. Mais on ignore encore beaucoup de choses sur le fonctionnement du site ainsi que sur son environnement. “En l’état, écrivent les archéologues Géraldine Delley et Marc-Antoine Kaeser, cette interprétation [un sanctuaire guerrier] pose encore quelques problèmes notables. Ainsi, comment expliquer aux côtés des armes, la présence d’outils (haches, faux, ciseaux), qu’on rattacherait a priori davantage à un contexte artisanal et domestique ? Quant à l’hypothèse des pratiques sacrificielles, elle demeure tributaire d’une analyse des traces de découpes laissées sur les ossements humains et animaux. Il n’en demeure pas moins que selon des inflexions variables, les interprétations rituelles et culturelles se sont peu à peu imposées au sein de la communauté archéologique.”

 



Un musée du xxie siècle

Cela expliquerait aussi l’abondance du mobilier guerrier retrouvé sur place, dont de magnifiques épées et des lances. “Nous avons lancé une opération de recensement des objets disséminés dans les autres musées, explique Denis Ramseyer. Curieusement, ils n’avaient jamais été étudiés dans leur ensemble.” Le Laténium de Neuchâtel conserve plus de deux mille objets, soit la moitié du matériel retrouvé à La Tène. Les plus belles pièces sont exposées dans le musée, et le reste se trouve dans le “dépôt visitable”. Il s’agit d’un espace accessible aux chercheurs, où les pièces d’un même site sont installées dans des vitrines. Leur étude ne nécessite donc pas des manipulations et des déplacements comme cela demeure le cas dans les dépôts de fouilles classiques. “Le Laténium est un véritable centre de recherches archéologiques, souligne Denis Ramseyer. Nous avons la particularité d’être à la fois un musée, un centre universitaire, où sont dispensés des cours d’archéologie, et nous accueillons le service cantonal de l’archéologie. Nous disposons aussi de laboratoires de datation, de restauration et de consolidation des objets. Toutes les différentes entités travaillent en synergie.”

Vingt-trois ans de négociations auront été nécessaires avant que ce projet ne voie le jour, mais son aboutissement est remarquable. Le Laténium est aujourd’hui l’un des musées d’archéologie les plus modernes et les plus pédagogiques d’Europe. Il a été édifié sur un parc de trois hectares, constitué de remblais issus de la construction des autoroutes du canton. Ouvert au public, ce parc accueille par exemple des reconstitutions d’habitats préhistoriques et un pont celte. Le musée lui-même est un vaste bâtiment de béton et de bois qui se fond dans le paysage. À l’intérieur, la visite s’effectue suivant une chronologie inversée. Elle débute par les espaces consacrés aux Moyen Âge et à l’époque romaine. Très pédagogique, la muséographie comporte des éléments multimédias et des maquettes. Le visiteur est aussi invité à toucher un certain nombre d’objets. “C’est très intéressant lorsque nous accueillons des malvoyants”, explique Denis Ramseyer. Parmi les plus impressionnantes pièces exposées figure une barque de la fin du iie siècle après J.C. Longue de plusieurs mètres, elle a été construite suivant des traditions celtiques. Elle servait au transport de marchandises sur le lac.

À l’étage, on peut découvrir les collections d’objets de La Tène, dont le moulage en plâtre des parties d’un char celte. “Il a été découvert au début du xxe siècle et on ne savait pas encore conserver ce genre d’objets après leur mise au jour. Heureusement, les archéologues de l’époque en ont fait des moulages qui nous permettent de les étudier et de connaître les dimensions de ces pièces.” On peut aussi y admirer différentes armes et équipements militaires celtiques qui témoignent de l’extraordinaire dextérité des artisans celtes, particulièrement des forgerons. À travers la large baie vitrée, on peut apercevoir le site de La Tène, distant de quelque kilomètres, ainsi que le mont Vully, qui a abrité un vaste oppidum du iie siècle à la seconde moitié du ier siècle avant J.C. “Les fouilles de ce site, indique Denis Ramseyer, ont démontré qu’il a été incendié en – 58 avant J.C., ce qui correspond au texte de César expliquant que les Helvètes avaient détruit leurs villes avant d’entreprendre leur migration vers l’Atlantique, épisode qui est à l’origine de la guerre des Gaules.” L’espace consacré à l’âge du Fer comporte également une vitrine consacrée au site de Cormaux. “Il s’agit d’un ancien pont celte qui s’est effondré en tuant une vingtaine de personnes. Les archéologues les ont retrouvées presque intactes, il restait même les cerveaux à l’intérieur des crânes ! Surtout, ils avaient encore sur eux tous les objets de leur quotidien, ainsi que les marchandises qu’ils véhiculaient. Cela a constitué une découverte extraordinaire !”




Les autres salles sont consacrées à l’âge du Bronze et à la Préhistoire. Elles comprennent également des pièces exceptionnelles, dont l’une des plus vieilles roues découvertes au monde et qui date de 3000 ans avant notre ère. On peut y découvrir que le Jura suisse est aussi une terre de mégalithes, dont témoignent des menhirs dressés au ve millénaire avant notre ère. On peut enfin visiter un campement du Magdalénien (-15000 ans avant J.C), où ont été découverts de minuscules Vénus de pierre noire et des ossements de chien, une espèce qui était déjà domestiquée au Paléolithique. Ces époques très anciennes sont bien sûr évoquées avec pédagogie. “Pour la conception du musée, nous avons beaucoup travaillé avec des designers, note Denis Ramseyer. Cela plaît beaucoup au public, même si cela déroute parfois les spécialistes.” Preuve de ce succès, le Laténium accueille quarante mille visiteurs par an. Son financement est assuré par le canton de Neuchâtel, mais les grandes expositions annuelles, d’intérêt international font appel au mécénat.

La moisson d’objets recueillis par les archéologues suisses illustre combien cette région a été au cœur des échanges entre le nord et le sud de l’Europe depuis la Préhistoire. Située entre le Rhin et le Rhône, elle a également constitué un des axes autour duquel la civilisation celtique s’est épanouie dans l’Antiquité. Les collections du Laténium de Neuchâtel en témoignent et constituent une formidable vitrine pour comprendre cette culture.

 

Renseignements : Laténium, parc et musée archéologique, CH-2068 Hauterive. Tél. 00 41 32 889 69 10. Site internet : www.latenium.ch

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