Cozan : “Il faudra des actes forts, une rupture pour obtenir la réunification”
En 2005, j’avais écrit un livre d’entretiens avec Jean-Yves Cozan qui venait d’achever un mandat - relativement tonitruant - de vice-président du conseil régional de Bretagne. L’élu d’Ouessant s’y livrait et expliquait ses engagements avec une pointe d’humour et de provocation devenue rare dans le personnel politique aujourd’hui. En la matière, “l’homme à l’écharpe blanche” n’a rien perdu de sa verve comme l’illustre cette nouvelle interview réalisée le 28 février à propos des projets de réforme des collectivités territoriales.
Vous avez été député, vice-président du conseil général du Finistère puis du conseil régional de Bretagne. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Après trente ans de mandats, je viens d’être réélu conseiller général du canton d’Ouessant. Je pense être élu pendant trente ans encore. J’aurais alors 99 ans, c’est un bon âge pour arrêter.
Justement, on parle de supprimer les cantons ?
À mon sens, les cantons vont subsister, car ils sont la base des départements qui ne vont pas être supprimés tout de suite. Ils sont une structure pratique pour l’État en matière de maintien de l’ordre. Je me considère comme régionaliste, autonomiste voire indépendantiste breton, mais je constate qu’en deux siècles, certains départements ont une histoire, et qu’ils continuent à être des structures de proximité. Devoir se rendre à Rennes pour traiter de différents dossiers serait problématique pour les Finistériens ! D’autre part, on a donné aux départements une compétence, l’action sociale, dont personne ne veut et qui va continuer à être gérée par cette structure. Enfin, je suis attaché au département du Finistère parce qu’il est beau.
Et la proposition de transformer les conseillers généraux et régionaux en conseils territoriaux ?
J’ai entendu qu’il y avait trop d’élus locaux. C’est n’importe quoi et antidémocratique ! Les élus locaux sont des relais, notamment pour les personnes les plus fragiles. Ils contribuent au tissu social, et ils constituent un maillage précieux pour répondre aux besoins de proximité. Comme tous les élus, je vois tous les jours des personnes qui viennent me demander de résoudre des problèmes, et je peux vous dire que nous ne sommes pas de trop vu l’état actuel de la société !
Vous pensez donc que le département est toujours pertinent ?
Historiquement, je constate que la France n’a jamais réussi à mettre en place des structures administratives qui répondent aux attentes des populations. On a toujours ajouté des échelons, et on n’en a jamais supprimé… Les départements risquent donc de durer encore ! Pour paraphraser Stendhal, je dirai que les habitudes priment sur les sentiments. Les gens ont peur du changement, c’est pour cela que l’on voit autant d’hostilité envers le rapport Balladur, alors que personne ne l’a encore lu, et qu’il contient sûrement des choses intéressantes.
Quel regard portez-vous sur l’évolution des institutions régionales ?
Je rappelle qu’il existe une loi de 1871 qui permet aux départements de s’unir pour lancer des politiques d’investissement. Par le passé, on aurait pu imaginer qu’il aurait été possible de créer une conférence interdépartementale entre les cinq départements bretons, mais cela ne s’est jamais fait, car les intérêts locaux et particuliers ont toujours pris le dessus. Ensuite, il y a eu les CODER dans les années 1960. C’était une hypocrisie totale, car ils étaient totalement manipulés par l’administration française. On a aussi créé des régions sans âme, dont les Pays-de-la-Loire sont un exemple parfait…
La région Bretagne n’est pas sans âme ni fonds historique et culturel ?
Certes, mais il faut voir qui dirige et qui siège au conseil régional. La plupart des conseillers régionaux sont des recyclés des partis politiques, des gens qui n’ont pas réussi à se faire élire ailleurs et qu’on envoie là, alors qu’ils n’ont guère d’idées pour faire avancer la Bretagne. Pas tous bien sûr, mais la médiocrité de pas mal d’élus régionaux pose un réel problème.
D’autre part, dans les années 1970 et 1980, la région Bretagne a été dirigée par des hommes politiques d’envergure, avec une rotation entre les départements : on a eu Pleven, Marcellin, Colin puis Bourges. On peut en penser ce qu’on veut, mais c’était des images de la vie politique bretonne, de vraies personnalités.
Puis, on a eu Josselin de Rohan qui était nettement en dessous.
Depuis, on a Le Drian que j’estime et qui fait ce qu’il peut. Ainsi, en matière culturelle, il y a de bonnes choses. Je vois que certaines structures que j’avais contribuées à mettre en place entre 1998 et 2004, continuent à bien fonctionner comme, par exemple, l’office de la langue bretonne. Cela étant, on peut se demander s’il s’agit de la politique culturelle d’une collectivité bretonne ou française. Doit-on faire comme dans les autres régions françaises ? Bien sûr que non.
Le conseil régional dépend des hommes qui le constituent. S’il n’y a pas d’ambition, la Bretagne ne bougera pas.
Vous ne semblez guère croire à une évolution des collectivités territoriales telle que semble l’annoncer la commission Balladur…
Dans ma carrière, j’ai remarqué qu’il y avait un moyen imparable pour faire échouer un dossier, c’était de dire publiquement que le projet était très bon et qu’il serait adopté sous réserve - j’insiste sur l’expression « sous réserve » - de son approbation par la commune, la communauté de commune, le conseil général, le conseil régional et les services de l’État. Lorsqu’on voulait être vicieux, on rajoutait les fonds européens… En attendant que tout ce petit monde se mette d’accord, le dossier était enterré pour vingt ans !
Balladur dit qu’aucun changement territorial ne sera effectué sans l’accord des différentes assemblées concernées… Je vous laisse en tirer les conclusions que vous voulez.
Vous n’êtes guère optimiste donc pour une éventuelle réunification de la Bretagne ?
Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. Sur cette question, je vois beaucoup d’hypocrisie. Les hommes politiques trichent souvent et je suis certain que des personnalités qui se déclarent aujourd’hui publiquement pour la réunification y sont beaucoup moins favorables que çà en leur fort intérieur. Sans compter les blocages des administrations qui veulent que rien ne change. Lorsque j’étais à la région, je me souviens du sabotage de différentes initiatives en faveur d’un dialogue avec mes homologues des Pays-de-la-Loire par les propres services du conseil régional…
Que faire alors ?
Il faut faire des choses ! Avancer, bousculer, multiplier les initiatives, aller aux manifestations et, surtout, réapprendre à se connaître entre Bretons de haute et de basse Bretagne, du littoral et de l’intérieur, de Nantes et de Brest. En se connaissant, en voyageant en Bretagne, nous ferons émerger une véritable conscience collective. Et çà, le système en a peur. Cela viendra des gens, pas des élus.
Cela ne suffira sans doute pas. Je ne pense pas que les choses se fassent naturellement, et que le bon sens s’impose tranquillement. Mon expérience m’apprend qu’il faut parfois y aller fort pour obtenir certaines choses. Ce qui se passe aux Antilles en ce moment l’illustre bien !
La réforme territoriale et la réunification de la Bretagne sont de bonnes initiatives, et je les soutiens. Mais, pour les obtenir, il faudra passer par des actes symboliques forts et prophétiques. Je ne pense pas qu’une évolution douce soit possible, il va falloir une rupture.
Qu’entendez-vous par rupture ? Des actes sortant de l’illégalité ?
Ici, il faut d’abord être clair : le droit n’est que le résultat d’un rapport de force social. Et que dire de la violence institutionnelle, celle de l’État, de la misère sociale, du chômage… Pour obtenir des choses, il ne faut pas hésiter à aller loin. C’est parce que les agriculteurs bretons ont pris une sous-préfecture d’assaut qu’on a obtenu des routes et un port à Roscoff, non ? La Bretagne est respectée parce qu’on sait que les Bretons sont parfois prêts à revendiquer, à « gueuler » et à dépasser certaines « limites ».
Pour obtenir la réunification, il faut donc passer à des actes forts qui recueillent l’approbation d’une large part de la population. Par exemple, les forces de l’ordre ne craignent qu’une chose, les occupations de bâtiment parce que c’est très difficile à gérer et à faire évacuer. Je dis donc qu’il n’y a qu’à s’installer un vendredi soir à la préfecture de région de Nantes et au conseil régional des Pays-de-la-Loire et prendre en otage quelques jours le préfet… À mon avis, cela devrait débloquer les choses !
Rien que çà !
On ne frappe que les chiens qui se couchent, pas ceux qui mordent !
Cozan, l'homme à l'écharpe blanche
Patrick Mareschal et la réunification de la Bretagne