Pendant plus de deux mille ans, les hommes du Néolithique ont exploité les carrières de Quelfenec, à Plussulien en centre Bretagne, pour en extraire des blocs de métadolérite, une roche dure, idéale pour fabriquer des haches de pierre polie. Des millions de pièces ont été produites ici et on a retrouvé des haches de Plussulien jusqu’en Angleterre, en Belgique et dans le sud de la France.
Émergeant des champs et des bois, une importante masse rocheuse occupe le sommet de la colline de Quelfenec, à Plussulien, au centre des Côtes-d’Armor. Calme, situé dans cette zone très rurale, rien n’indique qu’il y a plusieurs milliers d’années, cet endroit bruissait d’activité et de vie. Menée par l’archéologue Charles-Tanguy Le Roux, des fouilles ont en effet montré qu’il s’agissait d’un des plus grands sites européens de production de lames de haches en pierre polies, une production qu’on retrouve ensuite disséminée dans toute l’Europe occidentale.
Dans le sud de la Bretagne, au cinquième millénaire avant Jésus Christ, apparaissent les premières traces d’activités agricoles. Ces paysans vont radicalement bouleverser le paysage de notre région en défrichant et en déboisant de nombreuses étendues pour en faire des champs. La forêt recule, remplacée par des pâturages et des landes. Des groupes humains remplacent peu à peu les anciens groupes de chasseurs et vont se sédentariser sur des territoires précis.
Pour cette œuvre de défrichage, les paysans du Néolithique se dotent de nouveaux outils : des haches et des herminettes en pierre polies utilisées pour abattre les arbres. Ils prospectent et cherchent donc les meilleurs gisements. Ils ont trouvé à Plussulien un site très intéressant : un affleurement facile d’accès et directement exploitable. Surtout, il s’agit d’un gisement de métadolérite, une roche éruptive particulièrement dense et dure, parfaite pour les haches.
Le site que l’on peut voir aujourd’hui – en cours d’acquisition par le Conseil général, il devrait faire l’objet d’une mise en valeur dans les prochaines années -, ne représente qu’une petite partie du gisement de métadolérite qui couvrait à l’origine plus d’une dizaine d’hectares. Il a été exploité pratiquement jusqu’à épuisement et a été recouvert par les déchets de la carrière.
Les premières traces d’activité humaine remontent vers 4200 avant Jésus-Christ. Les exploitants se contentent alors d’extraire des blocs de roche déjà en partie détachés et entourée d’argile. Les carriers s’attaquent ensuite à de gros blocs qu’ils devaient extraire grâce à des leviers de bois, puis qu’ils devaient faire rouler avant de les débiter.
Charles-Tanguy Le Roux, l’archéologue qui a fouillé le site, estime que « une évolution décisive dut intervenir quand on découvrit que cette roche, fortement chauffée, devenait très fragile mais que, si on la laissait refroidir avec précaution, elle recouvrait ses qualités initiales. ». Les carriers vont donc faire de grands brasiers pour détacher plus facilement de gros blocs.
À la fin du troisième millénaire avant Jésus-Christ, la carrière est de moins en moins exploitée. Les haches de pierre polie ne semblent n’être plus utilisées que pour un usage religieux. On les trouve encore dans les tombes de cette région. Les haches de pierre sont en effet remplacées par de nouveaux outils, les premiers fabriqués en métal, qui étaient plus durs et plus efficaces.
« On estime à deux ou trois millions le nombre de haches produites à Plussulien, indique Charles Tanguy Le Roux. Ce qui correspond à un millier de haches produites ans les années de pleine activité. Il fallait compter une journée de travail pour chaque pièce ». Les chercheurs avancent deux hypothèses : soit une activité continue avec trois ou quatre travailleurs, soit des équipes de dix à vingt ouvriers venant travailler plus épisodiquement, lors de la saison creuse.
Une fois extraits, les blocs de métadolérite étaient taillés en ébauche de haches, à l’aide de percuteurs de la même roche. Ils étaient ensuite bouchardés pour écraser les arêtes. Ces opérations comportaient une perte de matière très importante, de l’ordre de 90 %. Ceci explique le fait que le site ait été littéralement submergé sous les déchets lithiques. Les archéologues ont d’ailleurs pu reconstituer l’activité de la carrière et de l’atelier de taille, grâce à ces déchets, aux pièces ratées et aux outils abandonnés.
La finition et le polissage des haches étaient en revanche moins consommateur de matériel. Il nécessitait d’importantes quantités d’eau. « On peut penser que l’essentiel de la production quittait le site à l’état d’ébauche, estime Charles Tanguy Le Roux. Il est probable que les acquéreurs façonnaient ensuite l’outil à leur guise et ajustaient la lame à son support ».
Les découvertes archéologiques permettent de prendre conscience de l’ampleur de la production de haches venant de Plussulien. Plus de la moitié des haches de pierre polie, trouvées dans la péninsule armoricaine proviennent des carrières de Quelfenec. Et elles représentent une grande partie de celles découvertes dans l’ouest de la France.
Au-delà, elles deviennent moins nombreuses, mais on en trouve jusque dans la région toulousaine, la vallée du Rhône, le nord de la Belgique et le sud de l’Angleterre, indices des échanges et des déplacements que pouvaient effectuer les hommes du néolithique.
Solides, facilement afutables, les haches de Plussulien auront donc contribué à la grande révolution du Néolithique en Bretagne, lorsque les agriculteurs prennent la place des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique. Peu à peu, le milieu naturel et la forêt originelle sont remplacés par un nouveau paysage, créé par l’homme : la campagne. Les habitants du Néolithique ont aussi marqué les territoires qu’ils ont défrichés. Ils construisent d’imposantes maisons collectives, bâties en bois et en terre, dont les archéologues mettent à jour les fondations. Mais les traces les plus impressionnantes, que les paysans du néolithique ont laissées en Bretagne resteront bien sûr les monuments mégalithiques. À proximité de Plussulien on retrouve d’ailleurs un certain nombre de menhirs, dont un des plus grands de Bretagne, à Glomel, qui mesure 8,6 m et pèse 130 tonnes ! On trouve aussi un certain nombre de dolmens et d’allées couvertes, qui servaient de tombes et où furent quelques fois découvertes, comme à Plélauff, des haches de Plussulien, laissées là en dépôt funéraire.
Pratique :
L’accès aux carrières de Quelfenec est fléché depuis le centre de Plussulien. Elles sont situées à 2 km au sud du bourg, en contrebas du hameau de Keregan où il convient de laisser sa voiture. Un petit sentier, traversant les sous-bois jusqu’au sommet de la colline permet enfin d’accéder au site.
Pour en savoir plus :
Charles-Tanguy Le Roux, Des milliers de haches pour « manger » la forêt », catalogue de l’exposition « 20 ans de recherches archéologiques en Côtes d’Armor », Château de la Roche-Jagu, 1999.