Du Moyen Âge au XIXe siècle, les Bretons se sont distingués dans la guerre de course, consistant à armer officiellement un navire civil pour attaquer les bateaux ennemis, particulièrement les bâtiments marchands. Certains ports sont ainsi devenus de véritables « nids » de corsaires, comme Saint-Malo à laquelle demeurent attachés les noms célèbres de Duguay-Trouin et Surcouf.
Le mot « corsaire » a été emprunté à l’italien corsare, lui-même dérivé du latin cursus, « course ». Il désigne en effet un membre de l’équipage d’un navire civil, autorisé à participer à des actions de guerre grâce à une lettre de course (ou lettre de marque), un document officiel délivré par son gouvernement, ce qui permet de distinguer les corsaires des pirates. Capturés, les corsaires avaient d’ailleurs droit à un statut de prisonniers de guerre.
Au Moyen Âge, les principaux ports corsaires bretons semblent avoir été Guérande et le Croisic. On en compte aussi beaucoup à Roscoff. Les Corsaires sont alors utilisés par les ducs au gré des guerres contre leurs puissants voisins, anglais ou français. Disposant d’une flotte marchande importante, les Bretons peuvent en effet porter des coups durs au commerce français ou anglais en armant des navires civils. L’un des plus fameux corsaires bretons du XVe siècle est le Morlaisien Jean Coatanlem. En 1484, il défait trois navires anglais, puis monte une expédition contre Bristol qu’il ravage ce qui provoque la colère du duc François II. Exilé au Portugal, il finira grand amiral du pays. Son neveu Nicolas Coatanlem fera construire le célèbre navire La Cordelière.
La baie de Morlaix et le fort du Taureau.
Pendant les guerres de la Ligue (1588-1598), de nombreux corsaires vont profiter des troubles qui s’installent. Les Royaux, favorables au futur Henri IV, tentent de perturber les liens entre l’Espagne et les Ligueurs, des ultra-catholiques rassemblés autour du duc de Mercoeur. Ces derniers s’affrontent avec les corsaires anglais ou huguenots du port de La Rochelle. Les Malouins se sont quant à eux érigés en république indépendante et ont leurs propres corsaires. Certains chefs de guerre indépendants arment aussi des navires corsaires, à l’instar du célèbre La Fontenelle qui possède plusieurs bâtiments relâchant devant sa forteresse de l’île Tristan.
La Bretagne en première ligne
En 1689, le prince Guillaume d’Orange, souverain de Hollande, ennemi farouche des Français et champion du protestantisme en Europe, monte sur le trône britannique. Il fait basculer le Royaume-Uni – et sa puissante flotte de guerre ! – dans le camp de ligue d’Augsbourg qui fédère déjà une grande partie de l’Europe contre Louis XIV. La Bretagne se retrouve en première ligne d’un conflit qui va perdurer pendant plus d’un siècle, au point que certains historiens évoquent une seconde guerre de Cent ans.
Le roi envoie son meilleur architecte, le célèbre Vauban, pour assurer la défense du littoral breton. Vauban va notamment fortifier Saint-Malo, dont il entrevoit l'importance pour la guerre de course. Ce grand stratège a en effet rédigé un Mémoire sur la Caprerie (les corsaires) où il estime que si les Anglais et leurs alliés hollandais possèdent des flottes supérieures aux escadres françaises, leurs principales ressources proviennent du commerce maritime. D'où l'importance de le perturber grâce à la guerre de course « qui est une guerre de mer subtile et dérobée, dont les coups seront d'autant plus à craindre pour eux qu'ils vont droit à leur couper le nerf de la guerre. »
Les défenses de Vauban ne seront pas de trop à Saint-Malo qui subira plusieurs attaques, toutes repoussées, des Britanniques. Il est vrai que la ville est un véritable nid de corsaires. Entre 1688 et 1713, on compte ainsi plus de neuf cents navires corsaires armés à Saint-Malo ! Les prises pouvaient également être très importantes. En 1707, Duguay-Trouin s’empare d’un convoi espagnol de deux cents voiles, escortées par six navires de guerre…
Les navires corsaires sont souvent de bâtiments de petite taille, rapides et faciles à manœuvrer comme les cotres et les flûtes. Ils peuvent facilement aborder les lourds navires marchands. Malgré des récits épiques des exploits de corsaires, la plupart des abordages n’avaient pas lieu après une bataille rangée. Les prises se faisaient grâce à la surprise, la ruse et, surtout la peur. Les corsaires savaient ainsi jouer de l’arme psychologique que leur conférait leur terrible réputation. L’appréhension de subir un abordage brutal et meurtrier faisait que nombre de navires marchands préféraient baisser pavillon avant de se lancer dans un combat hasardeux. Une reddition était souvent plus sûre. Les règles de la guerre de course imposaient en effet aux corsaires de respecter la vie des prisonniers. De même, si la cargaison constituait le butin, il leur était interdit de toucher aux effets personnels des marins et des passagers capturés.
Un Malouin prend Rio
La Course est une guerre menée par des civils sous autorisation officielle, mais qui ne sont pas soumis à l’autorité d’un État-major. Les corsaires ne sont donc pas soumis aux règles de discipline très dures de la marine de guerre de l’époque. Ils agissent sur des coups de main et font volontiers preuve d’indépendance et d’opportunisme afin de déstabiliser les lignes de ravitaillement ennemies. Ils peuvent également être engagés dans de grandes opérations combinées, comme lors de la prise de Rio de Janeiro, au Brésil, par l’un des plus célèbres corsaires malouins : Duguay-Trouin. En 1711, avec une flotte de plusieurs navires et des milliers d’hommes, il parvient à forcer les défenses côtières de la baie de Rio. Puis, il fait le siège de la ville qui tombe au bout de onze jours. L’expédition lui permet de libérer un millier de marins français et d’obtenir une lourde rançon.
Dans les débuts de la guerre d’Indépendance américaine, les ports bretons accueillent avec sympathie les corsaires américains qui tentent d’empêcher le ravitaillement outre Atlantique des Britanniques. Les corsaires bretons vont ensuite reprendre du service pendant la Révolution. La marine française se retrouve en effet très affaiblie par la mort ou l’exil d’une grande partie des officiers de marine qui étaient auparavant recrutés dans l’aristocratie. Les défaites infligées par la navy britannique à Aboukir et à Trafalgar déciment aussi la flotte française. Par contre, les corsaires vont se révéler terriblement efficaces contre les Britanniques.
Il est vrai que la guerre de course est très avantageuse pour la France. Elle permet de mobiliser d’importants moyens navals à moindre frais, puisque le poids financier de l’équipement du corsaire est à la charge de l’armateur et que le gouvernement touche une part de la revente des prises. Et les corsaires sont terriblement motivés dans leur combat car, même s’ils sont considérés comme des prisonniers de guerre, ils savent que s’ils sont capturés, ils finiront sur les tristement célèbres « pontons », des navires désarmés et transformés en prison par les Britanniques. Les conditions de vie s’y révèlent très dures.
Surcouf, roi des corsaires
Robert-Charles Surcouf naît à Saint-Malo le 12 décembre 1773. Il s’engage à treize ans comme volontaire sur l’Aurore. Nommé capitaine à vingt ans, il va s’engager dans la guerre de course qui va lui permettre de faire fortune. On raconte qu’il a choisi cette voie pour contenter le père d’une jeune malouine qu’il souhaitait épouser et qui lui avait dit qui accorderait la main de sa fille lorsqu’il reviendrait riche… Ce qu’il fit en 1801. Naviguant auparavant dans l’océan indien, il inflige de lourdes pertes aux navires britanniques. Il entre dans la légende en 1796 en s’emparant avec cent quatre-vingt-dix hommes du Kent, un navire trois fois plus gros que le sien. Rentré à Saint-Malo en 1801, Napoléon lui propose deux ans plus tard de prendre le commandement d’une escadre. Surcouf refuse, n’ayant guère de goût pour la discipline militaire. Il continue son activité de corsaire et il était considéré par les Britanniques comme l’un de leurs plus redoutables ennemis. La paix revenue, il se consacre au commerce. Sa fortune était considérable lorsqu’il s’éteignit le 8 juillet 1827 à Saint-Servan.
La fin des corsaires ?
La course a été abolie par le Traité de Paris en 1856. Mais elle a fortement marqué l’imaginaire et les ports du littoral breton, dont Saint-Malo surnommée désormais la « cité corsaire ». À noter que tous les pays n’ont pas renoncé aux corsaires, comme les États-Unis qui n’ont jamais ratifié le traité de 1856 et ont accordé une lettre de marque en 2007, pour armer un navire chargé de traquer les pirates dans le golfe d’Aden.
Armel de Wismes, Corsaires et aventuriers bretons, Yoran Embanner, Fouesnant, réédition 2007
Olivier et Patrick Poivre-d’Arvor, Pirates et corsaires, le Livre de Poche, Paris, 2005.
Louis Garneray, Corsaire de la république, Phébus, Paris, 2001