C’est un des épisodes les plus marquants de l’histoire, pourtant mouvementée, de la guerre de la ligue en Bretagne, à la fin du quinzième siècle. Conscients de leur puissance financière, abrités derrière leurs remparts et habitués à commercer avec le monde de l’époque, et notamment les cités libres d’Europe du nord, les Malouins n’hésitèrent pas à s’ériger en république pendant quatre ans, gardant un rôle d’arbitres entre les belligérants.
Au milieu des années 1580, les périls s’amoncellent peu à peu sur une Bretagne relativement épargnée jusque-là par les guerres de religion. L’emprise de la Sainte ligue, le parti ultra-catholique, représenté dans la province par le duc de Mercœur, se fait de plus en plus forte dans une région où le protestantisme est très faible et qui se défie du rapprochement entre le roi Henri III et Henri de Navarre, le huguenot. Toutes les villes bretonnes sont en proie à une forte agitation. À Saint-Malo, le 12 avril 1585, les habitants de la ville élisent un conseil de douze conservateurs de la ville et du château. Très vite, les relations se dégradent avec le gouverneur royal Breuil des Fontaines. Le 7 avril 1589, le conseil des conservateurs passe à dix-huit membres et s’octroie de nouveaux pouvoirs.
En 1589, les choses se précipitent. L’assassinat d’Henri III, le 1er août, a pour conséquence l’accession au trône d’Henri IV de Navarre. Sans totalement suivre les consignes de la Ligue, les Malouins refusent de reconnaître ce roi de religion protestante. Les bourgeois de Saint-Malo apprennent que le gouverneur est prêt à ouvrir les portes de la ville au roi qui se trouve alors à Laval. Dans la nuit du 11 mars 1590, une cinquantaine d’entre eux, commandés par Frotet de la Bardelière et Pépin de la Bélinaye passent à l’assaut. Le gouverneur de Breil est tué. Le conseil prend toutes les dispositions pour s’autogouverner jusqu’à l’accession d’un roi catholique sur le trône.
Les Malouins s’érigent donc en république. La communauté de la ville devient un sénat présidé par Picot de la Gicquelais. Pour autant, entre les ligueurs de Mercœur et les royaux, les Malouins restent fidèles à leur devise : « Ni français, ni breton, malouin suis ». La république malouine lève des impôts et commence à nouer des liens avec d’autres cités bretonnes : Roscoff, Morlaix et Tréguier.
Très vite, les Malouins se trouvèrent gênés par plusieurs forteresses dans leur arrière-pays. Une expédition, à Pâques 1590, fut organisée pour régler le cas du château de Guémadeuc, à Pléneuf, qui commandait la route de Saint-Brieuc. Trois cents hommes, accompagnés des deux plus grosses pièces d’artillerie de la ville, arrivèrent devant la forteresse. Commandés par Frotet de la Bardelière, ils firent une brèche dans le logis. Après plusieurs heures de résistance, les assiégés se rendirent à condition d’avoir la vie sauve.
Les Malouins attaquèrent ensuite, avec l’aide de troupes venues de Dol et de Dinan, le seigneur royaliste De Guébriant, à Pleurtuit. Ce dernier résista longtemps et songea à faire sauter son château ; mais une blessure l’en empêcha et il dut se rendre. Les Malouins le firent emprisonner au Guildo.
Tout au long du Moyen Âge, Saint-Malo avait souvent eu des relations tumultueuses avec son évêque. Ce dernier ne représentait pas seulement la puissance spirituelle, il avait de nombreux pouvoirs temporels et civils sur la cité. Aussi, lorsque les Malouins virent débarquer Charles de Bourneuf, leur évêque qui revenait de Rome, ils l’arrêtèrent sur-le-champ. Il fut ensuite longtemps retenu prisonnier dans son manoir. Mécontent de certains prédicateurs qui critiquaient son attitude à l’encontre de l’évêque, le sénat les expulsa de la cathédrale de Saint-Malo et les remplaça par des prêtres venus d’ailleurs.
Tout en s’en méfiant, les Malouins soutinrent militairement Mercœur, notamment lorsqu’il assiégea Pontorson. Puis, les relations se firent plus froides, le gouverneur de Bretagne reprochant leur programme républicain opposé à la royauté française et du, selon lui, « à l’avarice d’une douzaine de factieux que les habitants avaient eu le malheur de suivre ». Les Malouins rusèrent alors avec dextérité. Ils rappelèrent que la république n’était que provisoire dans l’attente d’un souverain catholique. Ils votèrent à l’unanimité que seul Mayenne, chef suprême de la Ligue, pouvait leur donner un gouverneur. Ennemi de Mercœur, bien que du même parti, ce dernier présentait l’avantage de se trouver très loin de Bretagne. Il ne risquait donc d’influer de trop près dans leur affaire.
Parallèlement, la république malouine envoie des ambassades dans toute l’Europe, notamment en Espagne, en Hollande et en Italie. Elle est reconnue par les puissances d’alors. Les Malouins se permettent même d’entrer en conflit direct avec l’Angleterre et de prendre à celle-ci l’île de Bréhat, en 1591.
Un autre événement allait influer dans l’histoire de la jeune république. Anne de Breil, la veuve du gouverneur, avait déposé une plainte auprès du parlement de Bretagne. La cinquantaine d’accusés, dont de nombreuses femmes, ne se présenta évidemment pas à Rennes. Ils furent condamnés par défaut « à être amenés à l’exécuteur, la corde au col, en chemise, pieds nus, un cierge de deux livres de cire ardente à la main. » Ils devaient ensuite être traînés sur une claie dans Rennes, puis subir le supplice de la roue. Quant aux femmes, elles devaient être pendues et étranglées.
Cette sentence eue pour effet immédiat de renforcer les Malouins dans leur désir d’indépendance et de couper toute relation avec le parlement de Bretagne, acquis à la cause du roi. Pour échapper à la sentence, le sénat sollicita auprès de Philippe II d’Espagne, la faveur de devenir sujet du souverain ibérique.
La fin de la république malouine
Mis au courant, Henri IV, s’évertua à discréditer le roi d’Espagne auprès des Malouins. De plus, le 14 août 1594, il abjurait le protestantisme et devenait catholique. Plus rien ne s’opposait à la réintégration de Saint-Malo au royaume de France. Au moi d’octobre 1594 fut proclamé, en ce sens, l’édit de rédiction dans lequel « le roi embrasse les Malouins d’une paternelle affection. » La peine de mort encouru par les dirigeants et insurgés malouins est abolie. La République malouine avait vécu. Ses promoteurs devinrent alors les fidèles soutiens d’Henri IV et se retournèrent contre leurs anciens alliés. Ce sont eux qui prirent Dinan aux ligueurs en 1597.