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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Aristide Briand, un grand-père de l’Europe

Publié le 4 Avril 2009 par Erwan Chartier-Le Floch in Histoire contemporaine

On connaît l’Histoire : dans les années 1920 et 1930, les fascistes en Italie puis les nazis en Allemagne arrivent  au pouvoir. Franco gagne la guerre d’Espagne. Les tensions internationales vont entraîner une guerre qui mettra le continent européen à genoux. Puis, au sortir du conflit, les dirigeants des démocraties d’Europe occidentale, qui ont pris conscience du danger à revivre une telle situation, jettent les bases de l’unification européenne. De traités en traités, le processus a abouti à l’actuelle Union européenne.


 

Un autre Breton a pesé dans les débats de l’époque : Aristide Briand (1862-1932). Un front large, une moustache broussailleuse, des cheveux souvent coiffés à la diable, la cravate fréquemment desserrée : en, apparence, l’homme ne payait guère de mine. Il est vrai qu’il cultivait volontiers un aspect « bohême », voire débraillé, en opposition aux modèles bourgeois qu’il méprisait. Cet authentique fils du peuple – et la chose n’est pas si fréquente dans les cénacles des républiques françaises si “ monarchiques ” -, aimait à rappeler ses origines modestes.

Etonnant destin que celui de ce fils de cabaretiers nantais, devenu avocat socialiste – et un temps très proche des révolutionnaires tendance libertaire -, puis homme d’Etat pragmatique avant de se muer en apôtre des relations internationale et de la paix, après la boucherie de 14-18. On lui doit également la loi de séparation de l’église et de l’Etat en 1905 et de grandes avancées contre la peine de mort, même s’il n’obtiendra pas son abolition.

Pas une ville de Bretagne qui n’ait sa rue ou sa place Aristide Briand, et pourtant qui se souvient de l’œuvre de ce Nantais, seul Breton à ce jour à avoir reçu un prix Nobel ? Sans évoquer ici toute sa carrière politique (onze fois président du conseil et vingt-cinq fois ministre), il semblait opportun de revenir ici sur, sa militance pour la constitution des “ Etats-Unis d’Europe ”, dans les années 1920 et 1930.



Ecomusée de Saint-Nazaire


D’où lui vient cet engagement, cette conviction ?

Sans doute des années 1890 où, avec Jaurès dont il est alors proche, il fonde le parti socialiste français et l’Humanité. Il a été un des délégués français dans l’Internationale socialiste, dont la stérilité de certains débats l’exaspérait parfois. De son expérience d’homme d’Etat certainement, notamment pendant la Première Guerre mondiale durant laquelle il a été président du conseil entre 1915 et 1917, avant d’être éclipsé par son ennemi Clemenceau. Il a dirigé la France dans les périodes les plus sombres, comme au moment de la bataille de Verdun, pendant lesquelles des centaines de milliers d’hommes sont morts. Clemenceau l’écartera des discussions du traité de Versailles.

De son expérience de président du conseil pendant la guerre, il a développé une relation privilégiée avec les Britanniques, particulièrement le premier ministre d’origine galloise Lloyd Georges. Briand sera un des piliers de l’alliance franco-britannique dans les années 1920. Après guerre, revenu aux affaires, Aristide comprend aussi que la stabilité sur le continent ne se fera pas en humiliant l’Allemagne à tout va et que la France ne doit pas rester isolée. Pacifiste, Briand est donc un européen convaincu qui milite pour des “ Etats-Unis d’Europe ”. “ Nous avons parlé l’européen, c’est une langue nouvelle qu’il faudra que l’on apprenne ”, déclare-t-il.

En 1925, il a retrouvé le Quai d’Orsay. Alors que, faute de solutions aux problèmes économiques, la droite hurle “ L’Allemagne paiera ”, il lance un rapprochement avec la jeune république de Weimar. Il sera ainsi un des principaux négociateurs du traité de Locarno. A Luther, le chef de la délégation allemande, il déclare : “ Vous êtes un Allemand, et je suis un Français. Mais je puis être français et un bon Européen. Et vous pouvez être allemand et bon européen. Deux bons Européens doivent pouvoir s’entendre. ” En octobre, les traités signés garantissent des accords de non-agression entre les différents pays d’Europe occidentale, un pas de géant dans le dégel des relations intercontinentales. Pour son action, il reçoit le prix Nobel de la paix en 1926. Dans le prolongement de ses efforts pour la paix, en 1928, avec le sénateur américain, il est l’auteur du fameux pacte Briand-Kellog, selon lequel les Nations doivent déclarer la guerre hors la loi.

Son sacerdoce ne s’arrête pas à l’Europe. En 1924, il désigné délégué à l’assemblée générale de la jeune Société des nations et plaide pour l’instauration d’un véritable droit des relations internationales. En 1926, il déclare à la tribune de la Société, à Genève : “ Plus de guerres, plus de solutions brutales et sanglantes à nos différends ! Certes, ils n’ont pas disparu, mais désormais, c’est le juge qui dira le droit. Comme les individus, qui s’en vont régler leurs différends devant le magistrat, nous aussi, nous réglerons les nôtres par des procédures pacifiques. […] Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons : place à la conciliation, à l’arbitrage, à la paix. ” Grâce à son action, et selon son biographe Gérard Unger, “ Il réussira à créer une véritable mystique de la SDN pour quelques années. ”

Tout au long de sa carrière, Briand a conservé des liens avec sa Bretagne natale. Il sera, à de nombreuses reprises, élu député de Saint-Nazaire. Il y passe aussi de fréquents séjours, comme en 1907, au début de sa liaison avec la comédienne Berthe Cerny. Esprit libre, Aristide Briand ne s’est en effet jamais marié. Une de ses dernières aventures amoureuses le liera à Lucie Jourdan qui possédait l’île Milliau, à Trébeurden. L’homme d’Etat se rend alors régulièrement sur la côte trégoroise, de 1919 jusqu’à sa mort, en 1932. Son ancienne maîtresse fera bâtir à sa gloire le monument de granit rose qui surplombe l’actuel port. Il y est gravé “ Il voulut pour nous la paix ”. Hélas, les années 1930 et 1940 firent peu de cas de cette épitaphe.

 

 

L'île Millau, à Trebeurden

Monument à la mémoire d'Aristide Briand


La réflexion des pères de l’Europe des années 1940 et 1950 n’avait pourtant rien de spontanée. Elle était même au centre des débats politiques de l’autre Après-guerre. Si le fascisme, le nazisme et le franquisme l’ont emporté dans trois des principaux pays européens ; si l’extrême-droite a eu une influence énorme dans des démocraties comme la France et la Belgique de l’Entre-deux-guerres ; il convient de ne pas oublier que le fédéralisme, le pacifisme et l’idée européenne étaient également au cœur des débats intellectuels de la période. L’internationalisme faisait encore partie du vocabulaire de la gauche française. En Bretagne, dans les colonnes du Breiz Atao des années 1920, Morvan Duhamel, Morvan Lebesque, Goulven Mazéas et Philippe Lamour (avocat parisien qui s’engagera ensuite pour les Républicains espagnols et la Résistance française avant de créer la DATAR après la Seconde guerre mondiale) ne cessent de promouvoir l’idée d’un fédéralisme européen.
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