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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Aristide Briand, l'autre père la victoire

Publié le 24 Mai 2014 par ECLF in Histoire de Bretagne

Aristide Briand, l'autre père la victoire

Nantais d’origine et resté attaché à sa Bretagne natale, Aristide Briand a connu une carrière politique exceptionnelle dans la première moitié du XXe siècle. A la tête du gouvernement pendant une partie de la Première Guerre mondiale, il a ensuite œuvré pour instaurer une paix durable en Europe, ce qui lui vaudra d’être le premier Breton à recevoir un prix Nobel.

Dans l’histoire des républiques françaises, le fait est suffisamment rare pour être souligné : Aristide Briand, qui a été onze fois président du conseil et a multiplié les portefeuilles ministériels sous la Troisième république, était un authentique enfant du peuple, issu d’un milieu modeste et prolétaire. Il était né à Nantes, le 28 mars 1862.

Homme du peuple

Ses parents tiennent alors un estaminet que fréquentent les ouvriers et les marins. En 1864, la famille déménage vers Saint-Nazaire alors en pleine expansion. On y donne parfois des spectacles de cabaret ce qui fera dire, plus tard, à l’écrivain d’extrême droite Léon Daudet qu’Aristide Briand avait grandi « sur les genoux des prostituées ». Les attaques étaient souvent d’une rare violence sous une Troisième république qui ne connaissait pas le délit de diffamation.

Pendant toute sa carrière, Aristide Briand a fait figure de bête noire des ultranationalistes français comme des membres d’une certaine oligarchie réactionnaire. Ce qui ne le perturbait guère, lui qui ne nia jamais ses origines modestes. Toute sa vie, il cultivera une image bohême et populaire, arborant de larges moustaches baccantes, négligeant volontiers son apparence extérieure et méprisant les conventions bourgeoises, même lorsqu’il sera appelé aux plus hautes fonctions. Président du conseil, de gauche, il ne s’est jamais marié et a entretenu plusieurs relations, dont une avec une comédienne parisienne.

Aux côtés de Jaurès

Élève doué, il fait son droit à Nantes avant de s’installer comme avocat à Saint-Nazaire. Politiquement, il est alors à l’extrême gauche, tendance libertaire. Sa liaison avec une femme mariée provoque un scandale et le force à quitter les bords de la Loire. Il rejoint Jean Jaurès à Paris en 1893 et il travaille, à ses côtés, à unifier les socialistes français. Il est alors un collaborateur régulier de L’Humanité, journal qu’il soutient financièrement et où il conservera longtemps des parts.

Avocat éloquent, doté d’une « voix de violoncelle », il défend – souvent à fonds perdus – des causes syndicales, ce qui lui vaut une réelle popularité dans la gauche française. Mais Briand est aussi un pragmatique et se sent de plus en plus attiré par une carrière parlementaire, voire ministérielle. En 1902, il est élu député pour la première fois et monte défendre avec passion les positions du bloc des gauches à l’Assemblée.

Séparation de l’Eglise et de l’Etat

C’est durant cette période qu’il devient rapporteur de l’un des plus importants projets politiques de la Troisième république : la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Grâce à ses talents de conciliateur, à sa capacité à écouter les différents protagonistes, de la hiérarchie catholique aux partisans d’une laïcité intransigeante, un compromis finit par émerger. Il en résulte un « monument législatif », la loi de séparation de 1905, toujours en vigueur.

Cette loi a rendu Briand célèbre. Son nom est désormais célèbre dans toute la France. Il rompt alors avec Jaurès et les socialistes, opposés à toute participation à un « gouvernement bourgeois » et il entame une carrière ministérielle brillante. En 1906, il obtient son premier portefeuille, celui de l’Instruction publique et des cultes. Il sera par la suite ministre à vingt-trois reprises ! Dès 1907, Clemenceau lui confie, en sus, le ministère de la Justice. L’ancien avocat tente de faire voter l’abolition de la peine de mort en 1908, en vain, celle-ci n’étant supprimée qu’en 1981.

En 1909, c’est la consécration puisqu’il devient président du Conseil pour la première fois. Jusqu’aux années 1930, il dirigera dix autres cabinets gouvernementaux, dont celui d’union nationale, entre 1915 et 1917, en pleine guerre mondiale.

Président d’un gouvernement de combat

Si Clemenceau a été surnommé le « père la Victoire » et s’est approprié la gloire de la victoire sur l’empire allemand, Aristide Briand a joué également un rôle de premier plan dans le conflit. Entre 1915 et 1917, il dirige en effet le gouvernement « d’Union sacrée » aux heures les plus difficiles. L’une de ses principales décisions est l’organisation de l’expédition des Dardanelles, en collaboration avec le premier lord de l’Amirauté, Winston Churchill. Cette opération doit permettre d’ouvrir un second front, en Orient, de vaincre la Turquie, alliée des Allemands et de rétablir des liaisons maritimes avec la Russie. Ce nouveau front doit également permettre de soulager le principal théâtre des opérations, dans le nord et l’est de la France. Les Dardanelles sont un échec, mais elle débouche sur plusieurs campagnes dans les Balkans. Avec Aristide Briand, l’alliance avec la Grande-Bretagne se renforce. Il est vrai que le Royaume-Uni est alors dirigé par Lloyd George. Entre le Breton et le Gallois, une relation privilégiée s’installe, parfois teinté d’humour. En 1916, à Lloyd George qui lui fait remarquer que les régiments bretons se sont particulièrement distingués à Verdun, Aristide Briand aurait rétorqué : « C’est parce qu’ils croyaient se battre contre des Anglais… » En mars 1917, usé, le gouvernement Briand est renversé et Clemenceau, qui ne l’aimait guère, le remplace. Le « Tigre » va éclipser les mérites d’une Aristide Briand qui aura pourtant dirigé le pays durant les heures les plus sombres de son histoire et contribué, lui aussi largement, à la victoire sur les empires centraux.

Aristide Briand qui s’est régulièrement illustré aux Affaires étrangères, va y exceller après le conflit. Il va tout mettre en œuvre pour normaliser les relations internationales et contribue à la création de la Société des nations. Il est aussi l’une des chevilles ouvrières du traité de Locarno, en 1925, visant à améliorer les relations avec l’Allemagne.

Pacifiste, Aristide Briand est un Européen convaincu qui milite pour des « Etats-Unis d’Europe ». Il explique ainsi : « Nous avons parlé européen, c’est une langue nouvelle qu’il faudra qu’on apprenne. » Aristide Briand est considéré comme l’un des pères fondateurs de la pensée européenne moderne, annonçant les traités d’unification du continent après la Seconde Guerre mondiale.

Il reste à la postérité pour le pacte Briand-Kellog, rédigé avec un sénateur américain et qui vise à déclarer la « guerre hors la loi ». En 1926, pour son action internationale, il reçoit le prix Nobel de la paix.

Attaches bretonnes

Tout au long de sa carrière, Aristide Briand a conservé des liens avec sa Bretagne natale et il a plusieurs fois été élu député de Saint-Nazaire. Il passe également de fréquents séjours dans la péninsule, comme en 1907, au début de sa liaison avec la comédienne Berthe Cerny. L’un de ses dernières aventures amoureuses le liera à Louise Jourdan qui possédait l’île Miliau à Trébeurden. L’homme d’Etat se rend ainsi à de nombreuses reprises dans le Trégor, de 1919 à sa mort en 1932. Son ancienne maîtresse fera fait ensuite construire un petit monument à sa gloire, sur la corniche de Trébeurden. Une phrase y est gravée : « il voulut pour nous la paix ». Hélas, les années 1930 et 1940 firent peu de cas de cette belle épitaphe.

Pour en savoir plus :

Gérard Unger, Aristide Briand, le ferme conciliateur, Éditions Fayard, Paris, 2005.

Collectif, Toute l’Histoire de Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix, 2012.

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