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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

les Bretons du Pays basque

Publié le 24 Mai 2014 par ECLF in Histoire contemporaine

les Bretons du Pays basque

Un article paru en septembre 2011 sur les relations pas toujours si amicales entre Bretons et Basques...

Peuples de l’Atlantique, Bretons et Basques se fréquentent depuis des siècles. Très présents en Aquitaine et dans toute la péninsule ibérique à la fin du Moyen Âge, les marins bretons ont fréquenté intensément les ports de Biscaye, de Guipuscoa ou du Labourd dès cette époque. Au xvie siècle, Basques et Bretons fréquentent les mêmes zones de pêche dans l’Atlantique nord. La population de Saint-Pierre-et-Miquelon est d’ailleurs essentiellement constituée de descendants de Basques, de Bretons et de Normands. Dès la fin du xviiie siècle, ces relations prennent une dimension culturelle, avec par exemple, Malo Coret de la Tour d’Auvergne. Engagé dans les armées de la République, ce Carhaisien passe quelque temps en garnison à Bayonne, où il étudie la langue basque. La Tour d’Auvergne est alors l’une des figures de proue de la celtomanie, un courant de pensée qui présente le celte comme la langue primitive de l’Humanité. C’est à Bayonne qu’il publie l’un de ses principaux ouvrages, Origines gauloises, tout en dissociant le basque des langues celtiques. La Tour d’Auvergne, inhumé au Panthéon, s’est distingué dans les armées d’une république qui pourtant ne goûtait guère les langues régionales. On se souvient de Barrère déclarant à l’Assemblée nationale : “Le fédéralisme et la superstition parlent bas breton, le fanatisme parle basque. […] Il vaut mieux instruire que traduire, comme si c’était à nous à maintenir ces jargons barbares et ces idiomes grossiers qui ne peuvent plus servir que le fanatisme et les contre-révolutionnaires.”

Bretons et Bretonnes de Ciboure

C’est encore la mer qui va servir de lien entre les deux pays, au xxe siècle, lorsque de petites communautés bretonnes s’installent au Pays basque nord. En effet, avec l’invention de la conserve, la pêche entre dans une dimension industrielle sur tout le littoral atlantique. En 1917, la famille Chancerelle, de Douarnenez, installe une conserverie à Ciboure. D’autres usines fleurissent dans la région de Saint-Jean-de-Luz. Elles peinent à recruter dans la population locale, aussi est-il rapidement fait appel à une main-d’œuvre qualifiée venant de Bretagne. Des dizaines de jeunes femmes venant de Douarnenez, d’Audierne, du Pays bigouden ou de la région lorientaise prennent le train pour le Pays basque. Elles viennent souvent en hiver, saison pendant laquelle la pêche à la sardine est ralentie en Bretagne.

Les conditions de vie sont dures, la paye modeste. Comme au pays, elles portent la coiffe et chantent les chansons en breton pendant le travail. Les moments de détente sont donc rares, avec parfois des fêtes bretonnes importées. Interrogée par Herle Denez, Madame Le Saün se souvient de fêtes des Gras organisés dans les années 1920, avec un den Paolig jeté dans le port de Ciboure. De nombreux marins bretons viennent aussi mouiller à l’époque dans les ports basques. “Les Bretons sont arrivés ici il y a très longtemps, avec la baleine et la morue, explique Mikel Epalza, l’aumônier des marins, responsable de la mission de la mer de Socoa. Au début du xxe siècle, l’arrivée du chalut a changé les choses, des compagnies se sont formées. Avec le boom de la sardine, plus de Bretons sont arrivés pour pêcher ou faire tourner les usines.”

Bagarres à Saint-Jean-de-Luz

Les choses ne se passent pas toujours bien passées, en témoigne la “triste journée” du 3 novembre 1926. Inquiets que les matelots basques ne demandent les mêmes salaires et les mêmes conditions de travail que les Bretons, mieux organisés syndicalement, les armateurs locaux attisent un sentiment xénophobe. Le 3 novembre 1926, après l’échec d’un mouvement social initié par les Bretons, Pascal Elissalt, chef des sardiniers de la côte basque, fait payer des tournées dans les cafés de Saint-Jean-de-Luz. Avec l’alcool, les esprits s’échauffent et on commence à s’emporter contre ces “Bretons qui veulent s’emparer du pain des pêcheurs basques, de leurs poissons, de leur mer et pourquoi pas de leurs femmes”. Un attroupement de pêcheurs basques se forme vers les halles de Ciboure où les patrons et équipages bretons sont en réunion, avec le renfort de militants de la cgt, dont Luzien Beracochea (secrétaire de la section de Bordeaux) et de Charles Tillon, futur homme fort du parti communiste en Bretagne. Une véritable émeute, aux cris de “à la mer les Bretons” débute alors, avec une chasse à l’homme dans les rues de Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure. On dénombre de nombreux blessés, certains gravement dont Charles Tillon qui y perd un œil.

Ce triste épisode ne doit pas non plus faire oublier les nombreuses idylles qui se sont nouées entre Basques et Bretons, consacrées par de nombreux mariages. Encore aujourd’hui, la forte concentration de noms bretons dans l’annuaire de Ciboure ou Saint-Jean-de-Luz témoigne de ces histoires d’amour qui ont vu nombre de Bretons et Bretonnes s’installer au Pays basque nord. Les coopérations maritimes continueront également. “Dans les années 1950, il y a eu une seconde vague, explique Mikel Epalza. Des marins bretons sont venus se former à la pêche au thon ou acheter des bateaux, avant de développer ce secteur à Concarneau. Il y a eu aussi de belles histoires de solidarité entre Basques et Bretons en Mauritanie. La mer, c’est quelque chose qui unit les gens.”

S’ils ont fait souche, ces Bretons et Bretonnes n’ont pas, à proprement parler, constitué une diaspora très active. “Les Basques, ils se rassemblent en communauté quand ils sont à l’étranger, constate Mikel Epalza. Les Bretons moins, ils sont plus individualistes. Pour qu’une communauté se perpétue, il faut des rites, des liens, de la musique… J’ai moins l’impression que c’est le cas des Bretons, même si, pour les enterrements, lorsque je passe un cantique breton, j’ai toujours constaté une grande émotion chez les gens présents.”

Bibliographie : revue Altxa ! Mutillak : “la Triste journée du 3 novembre 1926”, n°6, 1999, “la Mémoire des pêcheurs”, N°9-10, 2008. “Bretagne-Pays basque, Douarnenez-Ciboure”, mémoire de la ville, hors série, Herle Denez, 1988.

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