Héros de la résistance au nazisme, décédé tragiquement en 1943, Jean Moulin a été sous-préfet à Châteaulin avant la Seconde Guerre mondiale. Mais son rapport à la Bretagne fut aussi et avant tout artistique, alimenté par sa rencontre avec Max Jacob ou sa lecture du poète maudit de Roscoff, Tristan Corbière.
Jean Moulin naît à Béziers en 1899. Son père est professeur d’Histoire-Géographie, de tendance radical-socialiste et il passe une enfance tranquille. Il pratique notamment le dessin, discipline où il excelle. En 1917, il commence son droit avant d’être mobilisé l’année suivante. Il ne participe pas aux combats, l’armistice mettant fin aux hostilités avant sa montée au front dans les Vosges. Démobilisé en novembre 1919, Jean Moulin rejoint alors la préfecture de l’Héraut, où il reprend un poste d’attaché de cabinet du préfet, obtenu dès avant sa mobilisation grâce aux relations de son père.
Après avoir passé une licence en droit en 1921, il devient chef de cabinet du préfet de Chambery, l’année suivante. En 1925, il devient sous-préfet d’Albertville, le plus jeune de France. L’année suivante il se marie, mais divorce deux ans plus tard.
Sous-préfet de Châteaulin
C’est donc un tout jeune fonctionnaire de trente ans qui arrive sur les nord de l’Aulne, en 1930. Jean Moulin vient d’y être nommé sous-préfet. Il y passera plus de deux ans. On ne sait, mais on n’imagine que sa fonction ne le passionne pas forcément, même s’il s’en acquitte consciencieusement. En revanche, son séjour cornouaillais lui permet de fréquenter de nombreux artistes installés dans la région.
Il entretient ainsi des relations avec Max Jacob, l’ami de Picasso et l’un des poètes de l’avant garde artistique française du début du XXe siècle. Max Jacob est Quimpérois d’origine et il revient souvent en Bretagne pour voir sa famille ou chercher une certaine forme d’inspiration. D’origine juive, mais converti au catholicisme, homosexuel, poète génial et peintre complexé par sa proximité avec les plus grands talents de son époque, Max Jacob est un personnage extravaguant qui ne manque pas de détonner dans le Quimper de l’époque. On mesure toute l’ouverture d’esprit et un certain anticonformisme du sous-préfet Jean Moulin pour afficher son amitié à l’auteur de Morwen le Gaélique.
Bretagne est univers
Parallèlement, Jean Moulin fréquente aussi le poète marseillais Saint-Pol-Roux, installé à Camaret. Il dessine régulièrement pour la revue Le Rire sous le pseudonyme de Romanin. Jean Moulin est un esthète qui se passionne pour l’art de son temps. Il collectionne les tableaux, notamment les Chirico ou Dufy.
En décembre 1932, il quitte la Bretagne pour le ministère des Affaires étrangères, avant d’occuper diverses fonctions dans le corps préfectoral ou dans les ministères, en particulier celui de Pierre Cot, ministre de l’Aviation, domaine pour lequel Jean Moulin se passionne.
Il est en poste à Chartres lors de la déclaration de guerre en 1939. Il est arrêté en juin 1940 pour avoir refusé de faire porter un crime de guerre sur le dos d’une compagnie de tirailleurs africains. Maltraité, il tente de se suicider en se tranchant la gorge avec un bout de verre. Il en conservera une longue estafilade qu’il cache avec une écharpe.
Jean Moulin est révoqué par le régime de Vichy en novembre 1940. Il demeure à Chartes où il rédige un journal très détaillé sur la Résistance en pleine formation. Puis il revient vers sa maison familiale dans les Bouches-du-Rhône et continue de visiter les différents réseaux de résistance afin d’évaluer leurs forces. En septembre 1941, il rejoint Londres via l’Espagne et le Portugal.
Unifier la résistance
A Londres il fait un rapport – que contesteront plusieurs réseaux – sur l’état de la Résistance intérieure et de ses besoins en argent et en armement. Mais de Gaulle mise sur Jean Moulin et ses capacités d’organisateur. Il lui confie la tache d’unifier les différents réseaux de résistance, de mutualiser les moyens et de coordonner les actions. La tache de Jean Moulin est de constituer une véritable armée secrète, sous le commandement des forces françaises libres, donc dirigée par le général de Gaulle.
Parachuté en Provence en janvier 1942, Jean Moulin parvient à mettre en place des structures communes à la Résistance en zone sud. Comme couverture, Jean Moulin ouvre une galerie de tableaux à Nice et reprend son pseudonyme de Romanin. Début 1943, il revient à Londres, rendre compte de ses efforts. De Gaulle le nomme ministre et représentant du Comité national français en métropole. Il revient en France en mars 1943, avant d’organiser, en mai, la première réunion du Comité national de la Résistance (CNR), puis part vers le Vercors afin d’y constituer un maquis.
Mais il est arrêté le 21 juin 1943 par la Gestapo dans le Rhône. Emprisonné à Lyon, il est quotidiennement interrogé et torturé par le chef de la Gestapo, Klaus Barbie. Jean Moulin meurt de ses blessures, le 8 juillet 1943, lors de son transfert vers l’Allemagne. Son corps n’a jamais été retrouvé, ce sont donc ses cendres « présumées » qui ont été transférées au Panthéon, en 1964, l’occasion alors pour André Malraux de prononcer l’un de ses discours les plus fameux. Jean Moulin étant alors élevé au rang de grand symbole de la résistance au nazisme.
Le sous-préfet artiste
La grande figure héroïque de la résistance au nazisme ne doit pas faire oublier que Jean Moulin était un artiste sensible et talentueux, chose relativement peu commune chez les hauts fonctionnaires. Amateur de poésie et très bon dessinateur, il se lie avec de nombreux artistes lors de son séjour de trois ans en Bretagne. Il se passionne surtout pour l’un des grands écrivains bretons : Tristan Corbière (1845-1875). Proche du symbolisme, ce dernier incarne la figure du poète maudit et n’a publié qu’un recueil de textes : Les Amours jaunes en 1873 que Verlaine fera connaître après sa mort. Des poèmes qui vont fortement inspirer Jean Moulin puisqu’il va illustrer incomparablement. Il s’en inspire pour une série de huit gravures, signée sous son pseudonyme Romanin. Il dessine notamment le martyr des soldats bretons oubliés au camp de Conlie en 1870. Plusieurs centaines d’entre eux meurent de faim pu de maladie en attendant vainement des vivres et de l’armement du gouvernement de Gambetta qui les suspecte d’être trop royaliste. Les corps amaigris de la Pastorale de Conlie, dessinés par Jean Moulin au début des années 1930, ne sont pas sans rappeler les déportés des camps nazis, découverts par les Alliés à la Libération.
Ces gravures sont exposées aujourd’hui au musée des beaux-arts de Quimper qui conserve également de nombreux dessins, croquis et caricatures de Jean Moulin ce qui fait de lui, selon l’ancien conservateur du musée, André Cariou, l’un des « plus grands illustrateurs de la Bretagne ».
Pour en savoir plus :
André Cariou, Jean Moulin en Bretagne, Ouest-France, 2005.
Jean Moulin, Premier combat, préface du général de Gaulle, éditions de Minuit, 1947.
Christine Levisse-Touzé, Dominique Veillon, Jean Moulin : artiste, préfet, résistant, Éditions Tallandier, 2013