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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Le Petit Echo de la mode à Châtelaudren

Publié le 23 Juin 2014 par ECLF

Le Petit Echo de la mode à Châtelaudren

Pendant plusieurs décennies, Châtealudren, petite cité de caractère située près de Guingamp, a accueilli l’imprimerie du Petit écho de la mode, l’un des grands titres de la presse féminine française, disparu dans les années 1980. Depuis, les bâtiments sont au cœur d’un projet culturel innovant

Si la grande Histoire évoque volontiers les grands bouleversements politiques et sociaux du xixe siècle, la période fut aussi marquée, pour la majorité des gens, par une foule de petits changements qui, au final, ont produit une véritable révolution des modes de vie. C’est particulièrement le cas pour l’habillement et le textile. Jusqu’à la Révolution, il évolue peu dans une Bretagne qui tire une grande partie de sa richesse de l’exportation de toiles de lin et de chanvre.

Puis, les pratiques évoluent rapidement. Dans les campagnes naissent de nouvelles modes locales, les giz qui aboutiront aux somptueux costumes bretons du xxe siècle. En parallèle, avec la révolution industrielle, de nouvelles étoffes et de nouveaux accessoires vont devenir accessibles au tout venant.

Naissance de la presse féminine

Né en 1832, à Lannion, Charles Huon de Penanster est issu d’une vieille famille de la noblesse bretonne et ne cache pas ses idées monarchistes lorsqu’il se fait élire député des Côtes-du-Nord en 1871, puis sénateur en 1886. A l’automne 1879, il se voit proposer de racheter une petite affaire de presse, alors déficitaire, après avoir lancé un mensuel, La Mode française en 1874 puis, quelques temps auparavant, Le Petit journal de la mode.

De Penanster accepte et, sur le conseil de son épouse, le transforme en Petit Echo de la mode dans un but d’altruisme et d’éducation populaire. Claire de Penanster demeurera l’âme de la rédaction jusqu’aux années 1920. Dans une France encore marquée par la défaite de 1870, il s’agit d’éditer un titre familial pour guider les maîtresses de maison dans leurs taches quotidiennes. La formule est gagnante et le succès au rendez-vous. Dès 1881, le Petit Echo tire à 19000 exemplaires. Son tirage culminera, bien plus tard, à un million d’exemplaires.

Démocratisation textile

La mode, « cet art d’être différents, tous en même temps », est en pleine ébullition à la fin du xixe siècle et le Petit Echo va accompagner, à sa façon, le phénomène. De nouvelles maisons se spécialisent, comme Jeanne Lanvin avec les chapeaux ou les sœurs Callot pour la lingerie. Les grands magasins et la vente par correspondance se développent. Le journal va constituer un véritable catalogue hebdomadaire de ce qui est proposé à l’époque, le tout dans un contexte de démocratisation des créations. On y trouve tout le nécessaire pour la couture et la confection de toilettes, afin de pouvoir se confectionner à domicile des vêtements copiés sur ceux de la haute société.

Le Petit écho de la mode surfe sur l’air du temps. Il est l’un des premiers à proposer des leçons de couture dès 1886. En 1893, les rédacteurs ont une idée géniale qui va faire grimper les ventes à plus de 200 000 exemplaires : encarter un patron-modèle chaque semaine. Un service de patrons-découpés est mis en place, ces derniers pouvant être envoyés n’importe où dans les 48 heures.

On y trouve également une foultitude de conseils divers en matière de mariage, de droit, de littérature et bien entendu d’éducation. C’est d’ailleurs la particularité du Petit écho que de dépasser très rapidement la seule question de la couture. On y lit ainsi des extraits de chansons ou de romans. Etonnament moderne dans les années 1890, le journal mène de véritables enquêtes auprès des lectrices, comme sur la question du droit de vote pour les femmes.

Le Petit écho de Chatelaudren

L’essor du journal et de la maison d’édition poussent les propriétaires à investir. En aout 1901, ils acquièrent près de 4000 m2 à Paris. A la veille de la Première Guerre mondiale, l’entreprise emploie près de 500 personnes. Toujours contrôlée par des Bretons, elle lance plusieurs nouveaux titres comme Lisette ou Rustica, qui demeure aujourd’hui encore la référence en matière de jardinage familial. Un permis de construire étant refusé dans la région parisienne, il faut trouver une alternative pour l’impression. Charles-Albert de Penanster, fils du fondateur, a alors l’idée de racheter une papeterie de Châtelaudren, fonctionnant à l’energie hydraulique, pour la transformer en imprimerie et en usine pour les patrons. En dépit du décès précoce de Charles-Albert, et la reprise du titre par l’un de ses fils, le Petit Echo se décentralise en Bretagne.

L’Echo continue son essor à partir de l’imprimerie de Châteldaudren et, en 1955, supprime le terme « petit » de son titre. Il constitue alors l’un des plus importants tirages de la presse française. L’entreprise des « éditions Montsouris » sont introduites à la bourse de Paris en 1963. A Châtelaudren, elle emploie près de 150 personnes, plus des dizaines d’intérimaires. L’usine fabrique des patrons de couture et exécute les travaux d’impression en typographie pour le siège parisien ou pour d’autres éditeurs.

Néanmoins, à la fin des années 1960, de nouvelles difficultés se font jour. Les héritiers vendent leur part ; titres et imprimeries passent dans des groupes différents. En mai 1984, L’Echo de la mode disparaît et l’imprimerie de Châtelaudren va fermer. Au terme d’un siècle d’existence, le titre aura accompagné les évolutions de la mode, mais également d’une industrie, le textile dont le déclin en Europe et en Bretagne, s’est accéléré en tant que production de masse au début du XXIe siècle.

Un projet culturel ambitieux

L’activité de l’imprimerie du Petit Echo s’est arrêté, à Châtelaudren en 1984, provoquant un réel traumatisme dans une population attachée à cette entreprise et au patrimoine industriel original qu’il représente. Le site occupe en effet 4500 m2, à l’emplacement de l’ancien château médiéval construit au XIIe siècle, au bord d’un étang. Une belle mosaïque Odorico fait office d’enseigne sur le mur du bâtiment principal, recouvert par une superbe verrière de 600 m2 des années 1920. A la fin des années 1990, les collectivités et les acteurs culturels ont décidé de réinvestir un site, construit en bord de plan d’eau, ce qui implique de nombreuses contraintes. Il aura finalement fallu une quinzaine d’années pour qu’un projet novateur, associant écologie et culture aboutisse. Deux turbines et plusieurs dizaines de mètres carrés de panneaux photovoltaïques ont été installés et produiront de l’énergie pour le site et les alentours. Le bâtiment accueillera un office de tourisme, une école de musique, des cours d’arts plastiques, mais également un centre de ressources sur la mode et le Petit Echo. Enfin, régulièrement, des expositions seront mises en place pour rendre aux habitants de ce coin de Goëlo, le souvenir d’une belle aventure industrielle et le lier à l’avenir du textile en Bretagne.

Renseignements : http://www.petit-echo-de-la-mode.fr

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