À la fin de l’Antiquité, lorsque l’Europe entre dans des âges sombres sur lesquels les sources restent rares, l’histoire de l’ouest de la péninsule armoricaine est marquée par l’arrivée de Bretons insulaires qui vont développer des structures originales, apporter leur langue et, au bout du compte, fonder un nouveau pays : la Bretagne.
Comme partout, la question des origines de la Bretagne demeure relativement confuse. Le peu de sources anciennes comme les enjeux idéologiques contemporains n’ont guère aidé à une compréhension sereine des bouleversements qu’a connu la péninsule armoricaine au début du Moyen Âge.
Une certaine historiographie bretonne a mis l’accent sur l’arrivée de populations bretonnes insulaires à partir du ive siècle de notre ère qui auraient receltisé cette partie de la Gaule et résisté aux barbares germains vainqueurs des Romains. Une histoire difficilement conciliable avec le récit national français tentant d’atténuer les spécificités historiques des « provinces » françaises et voyant d’un mauvais œil les origines différentes des Bretons par rapport aux Français. Comme souvent, la réalité historique mérite d’être nuancée… Si des spécificités existent, la Bretagne des origines s’est aussi insérée dans l’histoire du continent européen, se nourrissant d’influences diverses.
Des militaires bretons
Dans les années 270-280, l’ouest de l’empire romain connaît une période de troubles, marquées par des révoltes antifiscales et les raids de pirates germains sur la Manche. De nombreuses villas rurales sont incendiées, les villes se rétractent et s’entourent de murailles. C’est dans ce contexte qu’au IVe siècle, des militaires d’origine bretonne insulaire auraient été envoyés sur le littoral gaulois pour lutter contre les pirates.
L’empereur Constantin aurait lui-même fait appel à des troupes bretonnes pour défendre le continent. Plusieurs décennies plus tard, saint Gildas écrit que du fait du départ des guerriers, la Bretagne se serait retrouvée sans défense face aux Germains et aux Scots d’Irlande.
À la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Âge, des communautés de Bretons s’installent durablement sur le Continent, à l’embouchure du Rhin, de la Seine, dans le Calvados et, surtout, à l’ouest de la péninsule armoricaine à laquelle ils vont donner leur nom. Le volume comme les causes de cette émigration nous restent méconnues (surpeuplement de certaines régions insulaires, guerres, invasions…).
Nos ancêtres les Gallois
Mais cette arrivée des Bretons insulaires est bien réelle. Elle a pour premier effet l’acclimatation d’une langue celtique d’origine insulaire, le breton, toujours parlée aujourd’hui. Contrairement à certaines idées reçues, le breton n’est pas issu du gaulois, mais vient du britonique dont descend également le gallois, qui reste en très proche.
Les Bretons donnent également leur nom à l’ouest de l’ancienne Armorique gauloise puis romaine. Pour les Gallois, ils habitent toujours « Lledaw », la Létavie qu’on pourrait traduire par le « pays des collines ». Les liens entre petite et grande Bretagne vont rester forts tout au long du Moyen Âge, notamment à travers les grands mythes arthuriens qui passionnent l’Europe à partir du xiie siècle.
Un christianisme monastique
L’une des originalités de la Bretagne durant le haut Moyen Âge réside dans le développement d’un christianisme dit « celtique » en raison des influences irlandaises et britanniques. Il se distingue par des pratiques originales comme la célébration de la fête de Pâques décalée par rapport à Rome, une tonsure spéciale et, surtout, la prédominance du monachisme. À l’époque, les grands monastères irlandais deviennent d’importants foyers intellectuels, à l’instar des abbayes bretonnes de Landévennec puis de Redon.
La création des évêchés bretons reste mystérieuse. Elle est attribuée à sept saints fondateurs, venus d’outre-Manche. En la matière, les différences entre l’est et l’ouest de la péninsule sont certaines. Alors qu’à Rennes, Nantes et Vannes, recruté dans l’aristocratie gallo-romaine, les évêques contrôlent le clergé séculier et régulier sur un territoire donné, à l’ouest, on ne connaît que très peu de noms d’évêques et encore moins leurs lieux de résidence. On peut imaginer, comme en Irlande, l’existence d’évêques-abbés rendant régulièrement visite à leur clergé installés dans les « Plou », « Lann » et « Tré » qui structurent le territoire breton.
Des guerres et des liens
Les textes médiévaux relatent les heurts entre Francs et Bretons, notamment dans les années 630. Le nord de la Bretagne, la Domnomée est alors gouvernée par Judicaël et les chroniques franques mentionnent que les Bretons ne cessent d’agresser les frontières des Francs. Finalement, Judicaël qui finira en odeur de sainteté, visite le roi Dagobert, conclue la paix tout en étant horrifié de la licence régnant à la cour franque. Il se lie d’amitié avec le pieux saint Eloi. D’autres récits et chansons évoquent les razzias des Bretons dans le pays de Nantes, particulièrement celle du roi Waroc dans les vignes du Nantais.
Près de deux siècles plus tard, le chroniqueur carolingien, Ernold Le Noir, décrit les Bretons comme des sauvages que le roi franc, Louis Le Pieux, vient remettre au pas. Mais les jugements d’Ernold méritent d’être nuancés. Si le roi Morvan est tué dans l’affrontement, Louis Le Pieux se montre ensuite conciliant avec la noblesse bretonne, notamment celle du Poher qu’il rencontre vraisemblablement à Carhaix.
Pour mieux s’attirer les Bretons, il nomme l’un d’entre eux, Nevenoë, comme représentant en Bretagne. Nevenoë se montrera fidèle jusqu’à la mort de Louis et semble bien introduit à la cour carolingienne, preuve sans doute de l’interpénétration des deux cultures. Nevenoë se révoltera cependant contre Charles Le Chauve et fondera un royaume de Bretagne qui se développe entre les ixe et xe siècles.
La résidence aristocratique de Bressilien à Paule
À la fin des années 2000, une vaste opération de prospection et d’inventaire des sites archéologiques a été menée dans le pays de centre ouest Bretagne, permettant de recenser plusieurs centaines de nouveaux sites. Parmi eux, et pour la première fois, des habitats du haut Moyen Âge ont été fouillés, notamment une importante résidence aristocratique à Bressilien, à Paule. Elle est située à quelles centaines de mètres de l’ancienne agglomération gauloise et elle est également proche des sources de Saint-Symphorien, le début de l’aqueduc romain de Carhaix. Occupé du VIe au IXe siècle, le site était protégé par une vaste enceinte circulaire de terre qui était surmontée d’une palissade. Plusieurs bâtiments domestiques occupaient l’espace intérieur, dont la résidence principale de plus de cent mètres carrés au sol. Elle était bâtie en pierre et les archéologues ont retrouvé des morceaux de verre provenant des fenêtres, ce qui donne une indication du statut des occupants, sans aucun doute l’une des grandes familles du Poher. À quelques dizaines de mètres, une chapelle maçonnée du haut Moyen Âge a également été découverte. Les objets mis au jour par les archéologues témoignent des influences diverses subies par la région. Ils ont ainsi découvert une monnaie franque frappée à Melle (Deux-Sèvres) et un élément de décors, provenant sans doute de la reliure d’un livre, qui évoque plutôt les pays celtiques d’outre-Manche (Irlande et pays de Galles). Plus étonnant encore, un fragment de vase en verre indiquerait une origine suédoise. La fouille de ce site mais également de plusieurs autres de la même époque montre des structures d’habitats assez différents de l’est de la Bretagne sous influence franque. Plusieurs forteresses sur la frontière entre le Vannetais et l’ouest de la péninsule ont également été retrouvées.
Pour en savoir plus :
Léon Fleuriot, Les Origines de la Bretagne, Payot, Paris, 1980.
Bernard Merdrignac, Pierre-Roland Giot et Philippe Guigon, Les Premiers Bretons d’Armorique, Presses universitaires de Rennes, 2003
Collectif, Archéologie en centre Bretagne, Coop Breizh, Spézet, 2014.