Resté en activité jusque 1858, le bagne de Brest était le second en importance en France et a accueilli près de 60 000 forçats en un siècle. L’institution a profondément marqué l’histoire du port du Ponant, même si ses imposants bâtiments ont disparu dans les destructions de la Seconde Guerre mondiale.
Contrairement à une idée répandue, l’expression « tonnerre de Brest », popularisée par le capitaine Haddock, ne viendrait pas du son du canon annonçant les évasions de bagnards, mais des tirs d’artillerie rythmant l’ouverture et la fermeture des portes de l’arsenal. Mais le canon tonnait effectivement lorsque les condamnés tentaient de s’échapper, une récompense étant offerte en cas de capture par la population. La confusion témoigne incontestablement de l’importance prise par cette institution pénitentiaire dans la vie de la cité du Ponant aux XVIIIe et XIXe siècles.
Construire une marine puissante
Après une série de revers maritimes au milieu du XVIIIe siècle, le gouvernement royal comprend l’importance de bâtir une marine puissante pour lutter contre l’empire britannique. Mais la France manque de main-d’œuvre et Louis XV décide donc d’utiliser les condamnés de droit commun pour aider à cet effort naval. Le corps des galères, jusque-là indépendant, est rattaché à la marine royale en 1748. Les forçats seront désormais basés à terre et il est décidé de construire deux bagnes à Toulon puis à Brest. Choquet de Lundu, architecte du port de Brest, est chargé de bâtir ce qui est longtemps resté comme sa plus grande réalisation afin de « renfermer les malheureux avec une dépense et une somptuosité au-dessus de tout ce qui a été fait en ce genre ».
La rive gauche de la Penfeld, à Lannouron, près de l’actuel hôpital des armées, est choisie pour installer le bagne qui sera achevé en 1752. Le bâtiment principal mesure près de 250 mètres de long et il est haut de 25 mètres. Il accueille déjà 2000 prisonniers. Près de 60 000 forçats vont y séjourner pendant un siècle, apportant une main-d’œuvre conséquente à l’arsenal et contribuant à l’économie de Brest. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la construction navale utilise un nombre considérable de bras, dont les bagnards qui ne coûtent, pour ainsi dire, presque rien, à la Marine.
Les bagnards ont construit plusieurs infrastructures dans le port de Brest, comme les formes de radoub de Pontaniou, l’arasement de la colline du Salou et la création d’une île artificielle dans la Penfeld. En 1769, on leur commande également la construction et le terrassement du Cours Dajot.
Outre le travail gratuit pour la Marine, le bagne a pour but de « corriger » les individus. Les condamnés sont soumis à une discipline sévère. Ils sont fichés et soigneusement décrits dans les registres. Ils doivent être rééduqués, notamment en matière religieuse. Les bâtiments sont savamment ordonnés pour une surveillance totale, avec des postes de garde au centre du bâtiment.
Un bagne dans la ville.
Le bagne doit également servir d’exemple et la population peut assister à la vie de l’établissement carcéral. Au XIXe siècle, une forme de tourisme morbide se développe d’ailleurs à Brest autour du bagne. Certains prisonniers, par privilège du roi, peuvent confectionner des objets et les vendre aux visiteurs. Maquettes de navires et objets sculptés étaient particulièrement prisés. À noter qu’avec jusque 3 700 prisonniers, les bagnards ont représenté jusqu’à 10 % de la population brestoise au XVIIIe siècle. Ils étaient gardés par 300 à 400 hommes.
Mais la promiscuité et les conditions difficiles de vie favorisent le développement de structures parallèles. L’un des plus célèbres prisonniers, François Vidocq décrit le bagne de Brest comme un lieu de corruption, notamment pour les détenus effectuant des peines longues. Les brimades sur les nouveaux arrivants comme les attaques entre différents groupes sont monnaie courante.
Les taux de mortalité sont très importants. Nombre de bagnards décèdent dans des accidents du travail, écrasés sous des coques de navire ou des rochers. L’épuisement est une autre source de mortalité. 5 000 bagnards sont ainsi morts lors du percement du canal de Nantes à Brest au XIXe siècle. Enfin, les épidémies (Typhus, choléra, etc.) sont fréquentes. Les deux premières années étaient souvent les plus difficiles.
Il est vrai que la condamnation au bagne constituait un choc psychologique pour les prisonniers. Après le verdict, ils étaient marqués au fer rouge et exposés pendant une journée. Ils étaient ensuite enchaînés les uns aux autres pour le voyage jusqu’au bagne, attachés par une « cravate », un triangle de fer autour du cou. Trois « chaînes » venant de Paris, Saumur et de l’est de la France.
Déménagement à Cayenne
Dans les années 1850, les besoins de main-d’œuvre se font moins pressants dans les arsenaux, tandis que les bagnes constituent des foyers d’épidémie potentiels (le choléra sévit pendant trois mois au bagne de Brest en 1849). Il est donc décidé de les transférer dans les colonies, notamment à Cayenne en Guyane. Le bagne de Brest est fermé le 1er septembre 1858. Il sert ensuite de magasin et d’hôpital pendant la Première Guerre mondiale. Bombardé et sévèrement endommagé pendant la Seconde Guerre mondiale, le bâtiment qui aurait pu être sauvé, est finalement rasé. Ses remblais ont servi à niveler et renforcer les quais de l’actuel arsenal.
Vidocq, prisonnier à Brest
Né à Arras, en 1775, Eugène-François Vidocq demeure l’un des plus fameux prisonniers du bagne de Brest avant de s’en évader et de devenir l’un des fondateurs de la police judiciaire française. Petit escroc, déserteur des armées révolutionnaires, il est condamné, en 1796, aux travaux forcés et rejoint la chaîne de Brest, un voyage éprouvant de 24 jours qui le mène dans la cité du Ponant. Après quelques semaines, il parvient à s’évader, déguisé en matelot. Arrêté de nouveau, il est envoyé cette fois au bagne de Toulon en 1799. Il parvient à s’en évader l’année suivante, ce qui lui vaut le respect du Milieu. En 1809, il propose ses services à la police et se voit confier, en 1811, une brigade de sûreté. Ses méthodes peu orthodoxes lui valent autant d’ennemis chez les criminels que dans la police où l’on jalouse ses résultats. Il est définitivement gracié en 1818 et retrouve de l’engagement après le retour des Bourbons en 1815. En 1827, il prend sa retraite de la police, achète une usine et invente un papier infalsifiable. L’année suivante, il publie ses mémoires, un best-seller qui aurait inspiré Balzac pour créer le personnage de Vautrin. En 1832, il reprend du service sous la monarchie de Juillet avant de fonder la première agence de détectives privés en France. Il meurt en 1857 du choléra au terme d’une vie romanesque à bien des égards.