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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Henri Quéffelec, un Breton bien maritime

Publié le 6 Mars 2016 par ECLF in Ecrivains de Bretagne

Henri Quéffelec, un Breton bien maritime

L’écrivain brestois Henri Quéffelec peut être considéré comme l’un des grands romanciers maritimes du XXe siècle. Il a laissé une œuvre abondante, près de 80 livres, dont la Bretagne fournit le décor pour une grande partie, particulièrement les ports et surtout les îles du Ponant dont Henri Queffelec aimait décrire les atmosphères en huis clos ou les monologues intérieurs des travailleurs de la mer.

« Tout a commencé pour moi en Bretagne, tout a commencé face à la mer », écrivait Henri Queffelec, né à Brest un 29 janvier 1910. Son père est militaire, il meurt pendant la Première Guerre mondiale. Adolescent, élève brillant, Henri Quéffelec envisage d’abord de devenir prêtre, avant d’intégrer le prestigieux lycée Louis Le Grand, puis Normale Sup et obtenir l’agrégation en 1934. Catholique, proche de la démocratie chrétienne, il est alors influencé par la revue Esprit d’Emmanuel Mounnier qui entend faire face à « la crise de l’homme au XXe siècle ». Henri Quéffelec ne se départira pas de cet engagement humaniste tout au long de sa vie, engagement jugé parfois conformiste mais fidèle à ses valeurs d’honneur qui lui éviteront les errements de certains de ses camarades de la rue d’Ulm, à l’instar de Robert Brazillac.

En 1935, il part en Suède comme lecteur de français. Il est nommé à Upsala, l’ancienne capitale viking, devenue un important centre universitaire et surnommée « l’Oxford du nord ». Il publie d’ailleurs, en 1948, Portrait de la Suède et il a conservé un vif intérêt pour les pays scandinaves et leurs atmosphères. Par la suitel voyage également jusqu’au Groenland ou à Terre-Neuve.

Un recteur de l’île de Sein

Revenu en France pendant la guerre, il continue à écrire. Sympathisant de la Résistance, il a été révulsé par la lecture des Décombres de l’écrivain collaborationniste Lucien Rebatet en 1942. Un dégoût qui l’aurait stimulé pour rédiger Un recteur de l’île de Sein, son premier grand roman. Salué par la critique à sa sortie en 1944, le livre ne rencontre pourtant pas le succès escompté. Son auteur reste largement ignoré du monde des lettres jusque 1950, lorsque Paul Graetz et Jean Delannoy en tournent une adaptation très libre sous le titre Dieu a besoin des hommes.

Le livre, et surtout le film, suscitent quelques controverses, notamment dans certains milieux catholiques qui reprochent d’irrespect envers la religion. Pourtant, tout au long de sa vie, Henri Quéffelec a revendiqué son attachement à la foi chrétienne, très présente dans son œuvre. Ses évocations de la religion ont un souffle qui n’est pas sans rappeler Bernanos. Saint François d’Assise, auquel il a consacré un ouvrage, semble aussi l’avoir influencé dans son rapport à la nature.

Dans Un recteur de l’île de Sein, Henri Quéffelec évoque le tempérament des insulaires, leurs traditions mais sans occulter leurs défauts, comme leur méfiance vis-à-vis des « étrangers », particulièrement les marins paimpolais très présents sur l’île. L’auteur sublime aussi la lutte ancestrale entre les hommes et la mer, à la fois nourricière et meurtrière.

Ecrivain maritime

Plusieurs autres romans maritimes suivent, dont, en 1951, Tempête sur Douarnenez. Il y décrit de manière saisissante la vie des sardiniers penn-sardin, évoquant l’angoisse des tempêtes, les fatigues du travail, la peur des mauvaises pêches ou de la baisse des prix du poisson lorsque celui-ci est trop abondant. Maîtrisant parfaitement les techniques du romancier, Henri Quéfflec sait parfaitement se faire ethnologue ou journaliste dans ses textes. Ses descriptions sont basées sur des enquêtes de terrain. En 1953, il explique ainsi : « Vous trouvez que je décris bien les choses de la mer et la vie des pêcheurs ? Tant mieux. Mais c’est tout simplement parce que j’ai beaucoup bavardé avec eux. Ce sont mes vrais maîtres. »

Il n’a également pas son pareil pour introduire des épisodes surnaturels comme lorsque la sardine décide de migrer et disparaît mystérieusement des lieux de pêche. Il retranscrit le monologue intérieur des humbles, leur rapport aux puissances surnaturelles qui semblent régir cet océan indomptable. Peut-être parce qu’Henri Quéffélec a toujours cultivé une nostalgie des temps de son enfance, emprunts d’une foi simple et d’une culture bretonne populaire si propice à la rêverie. Tout son œuvre est inspirée par une celtitude sur laquelle n’accrochent guère les certitudes. Il écrivait ainsi « Chacun d’entre nous, en s’aidant de son rêve, est armé pour recréer la ville d’Ys. Avec les carillons d’une petite église devenue la cathédrale engloutie, il entendra les dialogues passionnés d’un ermite et d’une pécheresse. »

Très attaché à la Bretagne – son livre de souvenirs s’intitule Un Breton bien tranquille –, il est le père de Yann Quéffelec, prix Goncourt 1985, autre auteur nourri par la mer et la Bretagne, avec lequel il a parfois entretenu des rapports difficiles et d’Anne Quéffelec, pianiste de renom. Henri Quéffelec est décédé en 1992, laissant une œuvre puissante, à l’instar d’un Vercel ou d’un Merrien, qu’il convient de relire pour tenter de saisir les liens si complexes qui unissent les Bretons et la mer.

La saga du phare d’Armen

Outre Un recteur de l’île de Sein, un autre roman d’Henri Quéffelec décrit de manière magistrale cette île d’extrême occident. Publié en 1956, Un feu s’allume sur la mer retrace l’extraordinaire aventure humaine et technique que fut la construction du phare d’Armen, à l’ouest de la chaussée de Sein, à la fin du XIXe siècle. Pour le bâtir, les ingénieurs ont choisi un rocher qui n’était accostable que quelques heures lors des grandes marées. Il faut donc près de sept ans pour bâtir les fondations, entre 1867 et 1874. Le phare n’entre en activité qu’en 1881. Le roman d’Henri Quéffelec décrit les rapports difficiles entre le chef de chantier, venu du continent, et les îliens. Le héros, Alain, est le seul Sénan à croire dans le projet et à aider à la construction. Il est fiancé à Louise, fille de son capitaine, Mathieu qui, lui, refuse de s’engager dans le chantier. Armen devient source de discorde puis de rupture entre Alain et Louise qui, têtus, se marient chacun de leur côté en ne cessant de s’aimer. Roman d’aventures autant que roman d’amour, Un feu s’allume sur la mer est une formidable description de Sein et de ses paysages maritimes balayés régulièrement par l’océan. Pour compléter, on ne saurait que conseiller la lecture d’Armen, le récit de l’un des derniers gardiens du phare, l’écrivain Jean-Pierre Abraham.

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