L’élevage de coquillages et de crustacés constitue l’un des grands secteurs de l’économie maritime en Bretagne, particulièrement les huîtres qui jouissent d’une belle réputation, qu’elles soient du Belon, de Cancale ou des autres grands parcs ostréicoles de la péninsule.
La consommation de coquillages était déjà massive à des époques reculées, comme au Mésolithique, la période des derniers chasseurs-cueilleurs qui s’est achevée il y a sept mille ans. Les archéologues ont découvert de vastes dépôts de coquilles près de sites de cette période, montrant que ces groupes humains se nourrissaient largement en exploitant les ressources de l’estran. Plus tard, à l’âge des métaux, le site de Mez Notariou, à Ouessant, a livré une curieuse bernique de bronze. Pour l’archéologue Jean-Paul Le Bihan, il pourrait s’agir d’un culte à l’océan, via ce coquillage qui peut vivre à la fois dans l’eau et à l’air libre et qui est consommé par les populations littorales lors des périodes de disette.
Huîtres armoricaines réputées
Il est difficile de dire à quand remontent les premières traces d’ostréiculture en Bretagne. Il semble que les Romains appréciaient déjà les huîtres de la péninsule. En Loire-Atlantique, des dépôts de coquilles témoignent d’une exploitation quasi industrielle. Il est probable que ses huîtres étaient conditionnées sous forme de sauces ou de pâtes après avoir fermenté. Les Romains appréciaient en effet particulièrement les condiments à base de produits marins, comme le garum produit avec des sardines dans toute la baie de Douarnenez.
Au IVe siècle, Ausone, poète d’origine aquitaine, loue l’excellence des huîtres d’Armorique. Elles sont consommées également au Moyen Âge et à l’époque moderne. Au XVIe siècle, Guillaume Rondelet fait l’éloge des huîtres de Bretagne. Un siècle plus tard, dans la relation de son voyage dans la péninsule. Dubuisson-Auberney indique qu’on les conserve dans des bateaux plein d’eau salée, avant de les vendre à Rouen et Paris. Particulièrement à Cancale qui devient, au XVIIIe siècle, la capitale de l’huître.
Produits de « grande marée »
Il s’agit alors d’huîtres sauvages, des produits de « grande marée », pêchées et parquées, avant d’être envoyées vers les tables des puissants et des personnages les plus riches. Elles viennent surtout du littoral nord de la Bretagne où on les pêche à la main, avec un râteau comme d’autres coquillages. Dans la baie du Mont-Saint-Michel, de petits navires embarquent des dragues de 3 à 4 mètres. Une technique efficace, mais très destructrice.
Dans la seconde moitié du XVIIIIe siècle, la pêche aux huîtres s’intensifie, la demande augmentant, ce qui a pour effet de menacer le renouvellement de la ressource. Dès cette époque, on commence à se préoccuper de protéger les huîtres, en réglementant les prélèvements et en effectuant des recherches pour mieux en maîtriser l’élevage. Dans les années 1750, à Tréguier, les autorités limitent les périodes de pêche. En 1766, le parlement de Bretagne rend un arrêt interdisant la vente d’huîtres dans la baie de Cancale entre mai et août.
Mais la Révolution française abolit toutes ces législations bretonnes de protection du littoral. Dans la première moitié du XIXe siècle, la surpêche et les menaces sur la ressource provoquent parfois de vives tensions. Régulièrement, de violents affrontements opposent Bretons et Normands sur les bancs de Cancale et de la baie du Mont-Saint-Michel.
Naissance de l’ostréiculture
De nombreuses expériences pour élever les huîtres et faire baisser la pression sur la ressource naturelle sont alors menées. L’ostréiculture moderne se développe avec le Second empire, période de stabilité sociale et sur fond de positivisme scientifique. L’État joue un rôle d’impulseur, tandis que les initiatives privées se multiplient. Médecin et naturaliste proche de Napoléon III, Victor Coste obtient ainsi des fonds pour plusieurs expérimentations, notamment dans la baie de Saint-Brieuc. François-Ferdinand Bon construit un parc expérimental à Saint-Servan, en 1853, où il teste une technique de plancher destiné à collecter les naissains d’huîtres. L’ostréiculture se développe également en Bretagne sud, particulièrement dans le Belon, dont Cambry écrivait que les huîtres qu’on y trouvait étaient les meilleures d’Europe. La princesse Napoleone Elisa Bacciochi, nièce de l’Empereur, obtient en 1861 une importante concession sur la presqu’île de Quiberon. Deux ans plus tard, elle ouvre un deuxième site dans la rivière d’Auray, où sont installées des fascines trempées à la chaux pour collecter les naissains. Elle les fait ensuite grandir à Baden, où elle possède un établissement piscicole.
L’entreprise de la princesse Bacciochi va péricliter après la chute de l’Empire. Au contraire d’autres concessions qui doivent faire face à l’explosion de la demande à la fin du XIXe siècle. Au sud de la Vilaine, on commence à produire des huîtres creuses, d’origine portugaise, qui ont colonisé la Gironde et la Charente dans les années 1860. Les producteurs bretons lancent régulièrement, au début du XXe siècle, des campagnes de dénigrement contre l’huître portugaise ou pour vanter la qualité des huîtres plates bretonnes.
Crises et développements
L’entre-deux-guerres est marqué par la structuration de la profession, avec la création d’unions locales ou régionales ainsi que de syndicats de producteurs. Il est vrai que la période est marquée par une première grande épizootie qui se déclenche en 1920-1921. La production s’effondre et voit la quasi-disparition de l’huître plate. Ainsi, à Cancale, on passe de 25 millions d’huîtres en 1921 à seulement un million et demi, trois ans plus tard. Dès lors, c’est l’huître creuse qui va dominer le marché qui, contrairement à d’autres, ne s’effondre pas pendant la Seconde Guerre mondiale. L’huître reste en vente libre et n’est pas rationnée, mais le matériel ostréicole se fait rare.
L’après-guerre est marqué par un nouveau développement de la production et l’introduction d’élevage en eau profonde (8 à 10 mètres). Un nouvel effondrement de la ressource intervient à la fin des années 1960. Plusieurs tonnes d’huîtres d’une nouvelle variété sont alors importées du Japon et permettent de repeupler les parcs qui parsèment les baies et les rias de Bretagne et constituent l’une des grandes activités économiques du littoral.