L’auteur de Remorques et de Capitaine Conan était un paisible professeur de Lettres, installé à Dinan. prix Goncourt, il laisse une œuvre marqué par la mer et ses travailleurs, particulièrement ceux de l’épopée des cap-horniers qu’il avait régulièrement fréquentés.
Il est parfois étonnant de constater le décalage apparent entre la vie et l’œuvre d’un écrivain. Roger Vercel a écrit parmi les plus beaux romans maritimes de langue française du XXe siècle et fait voyager des milliers de lecteurs par sa plume. Pourtant, il n’avait rien d’un aventurier, ce paisible professeur de Lettres, père de famille installé à Dinan. Un homme discret, enraciné dans son pays d’adoption, ces bords de Rance qu’il connaissait comme nul autre.
Roger Vercel a toujours fui les mondanités et les futilités éphémères d’une gloire littéraire qu’il a pourtant obtenu un beau jour de septembre 1934, avec le prix Goncourt pour Capitaine Conan, chronique réaliste d’une fin de guerre dans les Balkans. Il se rend alors à Paris et annonce aux journalistes qu’il leur consacrera quatre jours. Pas un de plus. Et il a tenu sa promesse. La seule coquetterie que lui permet le Goncourt est de changer administrativement son nom de famille. Vercel était né Cretin, ce qui n’était pas facile à porter. Concernant ses autres livres, Roger Vercel ne s’est guère montré plus prolixe pour se raconter. Un homme pudique à l’instar de ses personnages, particulièrement les marins.
Coureurs d’océan
Avant de s’installer sur les bords de Rance, Roger Vercel avait passé une enfance dominée par la religion de sa mère, au Mans. Elève brillant, il suit des études de Lettres à Caen lorsque survient la Première Guerre mondiale. Engagé volontaire, il est gazé en Argonne avant de rejoindre l’armée d’Orient dans les Balkans, expérience qui lui inspire Capitaine Conan.
Démobilisé, de retour en métropole, il est nommé à Dinan et où il tombe amoureux. « Ce Manceau, écrit son fils Roger, en épousant ma mère, épousa la Bretagne. D’abord cette Bretagne du pays gallo avec ses bois, ses vallées, ses bocages et ses châteaux, ses estuaires où la mer montante pénètre la terre ; mais aussi […] ses côtes abruptes et dentelées battues par le ressac. Peuplée de se paysans opiniâtres, de ses marins, ceux de la grande pêche mi-marins, mi-paysans, de ses coureurs d’océan et de ses découvreurs. »
La Bretagne sera désormais la matrice d’une œuvre forte d’une quarantaine de romans et de biographies qu’il rédige, pendant les vacances d’été, avec le souhait d’écrire un « bon livre » qui « chasse le marasme et incite à goûter à la vie ».
Remorques
Un an après Capitaine Conan, Roger Vercel publie Remorques, sans doute son plus grand roman maritime. Le succès est d’autant plus fulgurant qu’il sera porté à l’écran par Jean Grémillon en 1941, avec deux monstres sacrés du cinéma français :Michèle Morgan et Jean Gabin. Le scénario est signé Jacques Prévert. Roger Vercel est au sommet de sa gloire en ses années noires où il signe une tribune antisémite dans Ouest-Eclair.
La mer continue d’inspirer Roger Vercel qui publie d’autres grands récits maritimes comme Croisière blanche (1938), La Hourie (1942), La Rance (1945), Pêcheurs des quatre mers (1957).
La trilogie du Cap Horn
Reconnu internationalement, Roger Vercel renonce après plusieurs échecs à l’Académie française dans les années 1950. Il préférait, prétendait-il, avoir obtenu l’Albatros d’argent, une distinction décernée par l’association internationale des Cap-Horniers. Entre 1949 et 1951, il a en effet consacré une somptueuse trilogie aux exploits des marins fréquentant les eaux dangereuses de l’Amérique du Sud : La Fosse aux vents (Ceux de la Galatée, La Peau de diable, Atalante).
Pour écrire, Vercel travaille énormément. Toute l’année, il collecte des informations dans cette « Bretagne aux cent visages » dont il excelle à décrire les microsociétés, terriennes comme marines. Un jour, alors qu’il montre ses textes à un ancien pêcheur d’Islande, ce dernier s’exclame : « on dirait que vous en revenez ! » Vercel questionne, écoute et sait entendre. Il respecte les petites gens, ceux dont il sait si bien retranscrire le quotidien. « Y’a de l’homme ! », aimait-il à répéter, après les rencontres qui l’avaient inspiré. Les personnages de ses romans sont des âmes simples, courageuses, opiniâtres, mais aussi complexes et torturées par leurs passions et leurs devoirs.
Des hommes, mais également des immensités océanes qu’il peint littéralement avec se plume. Ainsi, cette mer de Norvège où semble se perdre quelques matelots de Cancale et Saint-Malo. « Au zénith nageaient des nuages frangés de rose, à base précise et droite comme celle des icebergs sur l’eau. Ils dérivaient mollement vers le sud, vers une large panne de vapeur mauve pénétrée de fjords bleus. La montagne virait à un violet profond, très doux et sur la mer le couchant se disposait en stries obliques, de longues bandes améthystes posées sur une ouate de feu. Des lézardes vermeilles y couraient et le soleil demeurait comme un long et fixe éclat d’or. »
Après la Seconde Guerre mondiale, Roger Vercel a assisté à la mécanisation des campagnes comme des navires. Il nous donne un témoignage précieux sur ce que furent ces sociétés de transition où la vitesse n’était pas encore triomphante. Décédé en 1957, il laisse une œuvre abondante qui continue de nous entraîner vers les bancs de Terre-Neuve, les cinquantièmes rugissants, le détroit de Magellan ou les paisibles bords de Rance.
Cap-horniers de Bretagne
Roger Vercel s’est particulièrement intéressé aux marins qui ont navigué sur les derniers cap-horniers, ces grands voiliers de charge qui, du milieu du XIXe siècle jusqu’aux années 1920, reliaient l’Europe au Pacifique. Ces hommes courageux affrontaient en effet les mers parmi les plus dangereuses du monde. La plupart faisaient en effet « les trois caps », puisqu’ils passaient, outre, le cap Horn, celui de Bonne-Espérance en Afrique du sud et celui de Leeuwin au large de l’Australie. Ils ont été le vecteur de l’expansion commerciale européenne dans la monde. Construits en acier, équipé de trois, quatre voire cinq mats, ils pouvaient atteindre 100 mètres de long pour plus de 4000 m2 de voilure. Le passage du Horn était toujours une aventure, en raison des conditions extrêmes de l’Atlantique sud et des changements météo fréquents. Il fallait parfois attendre des semaines avant de franchir le passage. Tout au long de l’histoire, près de 800 navires, plus de dix mille marins ont fait naufrage dans ses environs. Le percement du canal de Panama, inauguré en 1914, a mis fin à cette épopée. On peut revivre l’aventure des cap-horniers au musée qui leur est dédié dans la tour Solidor, à Saint-Malo.