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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

1916-2016. Choc des mémoires en Irlande

Publié le 24 Avril 2016 par ECLF in Histoire des pays celtiques

 1916-2016. Choc des mémoires en Irlande

En Irlande, l’année 2016 aura une connotation particulière, puisque l’île va célébrer le souvenir de l’insurrection de Pâques 1916, point de départ d’un long processus qui devait la conduire à l’indépendance, mais aussi enjeu de mémoire dans une île toujours déchirée par des mémoires concurrentes.

A l’annonce du soulèvement de Pâques 1916, le grand écrivain irlandais William Yeats déclara : « Une terrible beauté vient de naître», un siècle plus tard, les passions sont loin d’être éteintes. Le 24 avril 1916, 750 militants républicains – dont 90 femmes – prennent position dans la capitale irlandaise sous le regard étonné, parfois hostile, voire sarcastique des Dublinois. Ils espèrent provoquer une insurrection générale dans le reste de l’île et encercler le château de Dublin, siège du pouvoir britannique. On compte parmi eux des intellectuels comme Patrick Pearse, des syndicalistes comme le socialiste James Connolly et des militants indépendantistes. Dans la grande poste, devenue leur quartier général, ils proclament l’indépendance.

Alors que les autorités britanniques auraient pu traiter l’affaire de façon chirurgicale – d’autant que les républicains fortement installés dans les zones rurales refusent de participer à la « folle équipée » de Dublin –, le général Maxwell réagit de manière particulièrement brutale et ordonne l’assaut contre les barricades. Une canonnière remonte la Liffey pour bombarder la ville, tuant des centaines de civils et détruisant une partie de la ville. Les insurgés se rendent, mais la répression est terrible avec de nombreuses exécutions sommaires. Les leaders sont fusillés, à l’exception du futur président de la République, Eamon de Valera, qui possédait un passeport américain. Des milliers d’Irlandais sont envoyés dans des prisons qui deviennent autant d’«universités révolutionnaires ».

Echec militaire, succès politique

L’insurrection de 1916 est un désastre militaire, mais le sacrifice de cette avant-garde d’idéalistes irlandais sert de départ à un long et sanglant processus d’indépendance. En décembre 1918, Sinn Féin – « Nous seuls », en gaélique – remporte 75 sièges de députés sur 105 en Irlande. L’Armée républicaine irlandaise (IRA) ne cesse de recruter, tandis que les unionistes protestants d’Irlande du Nord créent leurs milices. Les républicains irlandais forment leur propre parlement et mettent en place une administration parallèle. L’IRA harcèle les Britanniques qui envoient des paramilitaires se livrant à des atrocités. « On les a surnommés les Black and Tans, explique Pol, agriculteur à Dingle. Dans le Kerry où j’habite, la mémoire de leurs méfaits et des exécutions est restée très vive. » En 2015, Londres a renoncé à ouvrir les archives de cette période, avec notamment les noms des informateurs de police, pour ne pas attiser les tensions.

En juillet 1921, Londres négocie avec les insurgés irlandais. Sous la menace d’une guerre totale, un traité est signé qui prévoit la création d’un Etat libre d’Irlande, amputé de six comtés du Nord, à majorité protestante. Les nationalistes modérés acceptent, les républicains radicaux refusent. Deux ans de guerre civile s’ensuivent. Puis, dans les années 1930, Eamon de Valera, devenu Premier Ministre, coupe les derniers liens avec la Grande-Bretagne. La république d’Irlande est proclamée en 1948.

Un évènement qui pèse toujours sur la vie politique

Si 1916 a toujours autant de résonance un siècle plus tard, c’est que la vie politique reste aujourd’hui largement contingentée par cet événement et non par des clivages politiques ou sociaux. Deux grands partis centristes se partagent le pouvoir, le Finn Gael, fondé par les partisans du traité de 1921 et le Fianna Fail, fondé par De Valera qui a pris le pouvoir en 1932. Récemment, plusieurs représentants du Finn Gael ont d’ailleurs déclenché une vive polémique en parlant d’une « révolution futile » à propos de Pâques 1916, estimant que l’émancipation de l’Irlande aurait pu être obtenue par des moyens plus pacifiques après la Première Guerre mondiale. Ils sont qualifiés de révisionnistes par une bonne partie de la classe politique irlandaise qui pense surfer sur l’élan de patriotisme suscité par le centenaire. « Dans leur majorité, les Irlandais sont très nationalistes et fiers d’être indépendants, d’avoir mené ce combat, confirme Josselin Le Gall, président de l’association des Bretons d’Irlande. Il va y avoir beaucoup d’événements organisés et un gros travail dans les écoles sur la mémoire de la Révolution. »

C’est Michael Higghins qui a lancé les cérémonies du centenaire le 1er janvier. En 2008, encore sous le choc de la crise économique, les parlementaires irlandais ont élu cet intellectuel de gauche, par ailleurs sociologue et poète, à la présidence de la République. Figure morale appréciée par tous, il a la délicate tâche de réconcilier des mémoires antagonistes, dans un contexte bien particulier. Des gestes ont été faits en direction des protestants d’Irlande du Nord qui préfèrent, eux, commémorer le centenaire de la meurtrière bataille de la Somme où les régiments irlandais loyaux à la Couronne se sont distingués.

Longtemps cantonné à l’Irlande du Nord où il jouait le rôle de vitrine politique de l’IRA, le Sinn Fein perce désormais au Sud et a obtenu 15 % des voix aux législatives de 2016. Il développe un discours très à gauche, euroseptique et nationaliste qui séduit une île traumatisée par la crise des subprimes et la mise sous tutelle européenne. Il a surtout annoncé la mise en œuvre d’un referendum en Irlande du Nord, alors que la Grande-Bretagne s’apprète à en organiser un autre, toujours en 2016, sur son maintien dans l’Union européenne et que l’indépendantisme écossais ne cesse de se renforcer. « Les élites irlandaises sont actuellement tétanisées par les enjeux, confie une haut-fonctionnaire. Si la Grande-Bretagne quitte l’Union, il faut rétablir des frontières avec l’Irlande du Nord, mais dans ce cas, les Ecossais vont sans doute réclamer un Etat… » Un siècle après l’insurrection de 1916, les îles Britanniques semblent loin d’avoir retrouvé le calme.

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