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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Brittany ferries, Les paysans armateurs

Publié le 5 Avril 2016 par ECLF in Histoire de Bretagne

Brittany ferries, Les paysans armateurs

Lancée au début des années 1970, la Brittany ferries constitue l’une des grandes réussites économiques bretonnes contemporaines. Toujours contrôlée par les paysans léonards, elle a permis de développer des relations transmanche qui ont toujours fait la prospérité de la Bretagne.

L’histoire de la Brittany ferries est celle d’un pari fou, lancé après un demi-échec, celui de la création d’un port en eaux profondes à Roscoff à la suite des revendications bretonnes de la fin des années 1960. Organisés et déterminés, les paysans du Léon et leur leader Alexis Gourvennec ont en effet été tout autant une force de contestation que de propositions efficace dans cette période. La Société des intérêts collectifs agricoles (Sica) de Saint-Pol-de-Léon et des membres du Celib s’entendent ainsi pour proposer trois projets structurants en 1968 qu’un pouvoir central aux aguets après les évènements de mai, s’empresse de concéder : un plan routier breton, une université à Brest et un port en eaux profondes à Roscoff. Ce dernier doit permettre aux agriculteurs d’exporter leur production vers les îles britanniques, à 130 km de là. « L’histoire nous apprenait que la mer était un élément de richesse fantastique », confiait Alexis Gourvennec à la revue ArMen en janvier 1996. Les travaux débutent au port du Bloscon en 1970 afin d’édifier un môle capable d’accueillir les ferries. Mais problème : aucun armateur ne se manifeste ou ne veut prendre le risque de lancer une ligne entre petite et grande Bretagne.

Un port sans bateau et un marin sans bateau

La solution va venir d’un autre Breton, Jean Hénaff, capitaine de la marine marchande, préoccupé par la montée du chômage des marins après le choc des décolonisations. Pour Hénaff, si les armateurs ne créent pas d’emplois, il faut créer des armateurs ! Au printemps 1972, André Colin, président du conseil général du Finistère organise une réunion capitale dans les locaux de la CCI de Morlaix entre le paysan sans marins et le marin sans bateaux. Ils décident de créer une nouvelle société d’armement anonyme, Bretagne-Angleterre-Irlande (BAI) dont le siège est basé rue Saint-Mathieu à Quimper. Le capital de 15 000 francs est réuni par les trois fondateurs. A comparer aux 18 millions de francs du navire que Jean Hénaff déniche en Galice, à Vigo. Il a été construit pour la marine israélienne qui n’en veut plus et il peut très bien convenir à la jeune entreprise. Reste quand même à réunir la somme. Alexis Gourvennec met tout son poids pour convaincre les milieux agricoles et économiques bretons de s’engager dans un pari plus que risqué. Il trouve 5 millions de francs et les banques suivent pour avancer le reste.

Le navire est baptiseé Kerisnel, du nom du marché au légumes et quartier général de la Sica de Saint-Pol-de-Léon. Deux ans plus tard, le « paysans-directeur-général », Alexis Gourvennec, prend la présidence de la BAI, rebaptisée Brittany ferries et convaint la Sica de régler la note d’un nouveau ferry, le Penn ar Bed.

Armement choux-fleurs

Le 18 décembre, le Kerisnel a fait son entrée au port du Bloscon. Deux jours plus tard, il met le cap vers Plymouth. A vide. Début janvier, trois camions traversent la Manche. La Grande-Bretagne vient d’intégrer le Marché commun. Les débuts sont néanmoins difficiles. En 1973, plus de cinq mille camions sont embarqués. Mais une autre demande émerge, celle des passagers et des touristes, une clientèle pour laquelle le Kerisnel avec ses douze cabines n’est pas à même de répondre. Le Penn ar Bed peut, quant à lui, transporter un demi millier de personnes et entre en service au début de 1974. A la même période, Jean Hénaff crée une filiale entre Saint-Nazaire et Vigo. Le Kersinel y est affecté, notamment pour Citroën qui possède des usines à Rennes et dans le port galicien. En 1974, 83 000 passagers et plus de 8000 véhicules sont transportés par la BAI. Alexis Gourvennec réalise un joli coup médiatique durant l’été, en transportant de Roscoff à Plymouth la caravane du Tour de France.

Face au succès, la Brittany ferries envisage d’ouvrir une seconde ligne au départ de Saint-Malo. C’est alors que la compagnie allemande sous pavillon chypriote, la TT. Line, qui avait refusé quelques années plus tôt d’ouvrir une liaison à Roscoff, annonce son intention de lancer une ligne transmanche à partir de Saint-Malo. Alexis Gourvennec dénonce la trahison de la CCI de Saint-Malo qui s’était engagée avec Brittany ferries pour une ouverture en 1976. Il est vrai que dans les milieux économiques malouins, on se méfie volontiers de ces Léonards fort ambitieux… Mais ceux-ci ont du répondant. Ils s’installent sur les quais de la cité corsaire, sans que les forces de l’ordre n’interviennent. Le navire de la TT. Line fait demi tour…

L’Irlande aussi

En 1978, une nouvelle ligne est ouverte avec l’Irlande. Le sonneur Polig Montjarret n’y est pas étranger et, via l’association Bretagne-Irlande, travaille à développer les jumelages qui vont « doper » le trafic entre la Bretagne et l’île verte. Dans les années 1980, Brittany ferries s’implante dans les ports normands et ouvre une deuxième plateforme logistique à Ouistreham. La ligne Porstmouth-Caen est aujourd’hui la principale en termes de passagers. Cette expansion est appuyée par les collectivités locales. Présenté comme libéral, Alexis Gourvennec n’a, en effet, jamais rechigné à demander d’importants investissements publics pour son armement. En 1982, la région Bretagne, plusieurs départements et le Crédit agricole rentrent ainsi dans une société d’économie mixte pour capitaliser la compagnie. Les Normands la rejoindront ensuite.

Depuis son origine, la compagnie toujours contrôlée par les « paysans-aramteurs » du Léon a connu un développement spectaculaire. En 2015, elle arme une dizaine de navires et déclare un chiffre d’affaires de plus de 300 millions d’euros. Surtout, elle emploie 2500 personnes, ce qui représente 20 % des effectifs de la marine marchande française dans les années 2010.

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