En 1772, Louis Alano de Saint Aloüarn, commandant la flutte Le Gros ventre, abordait en Australie et en prenait possession au nom du roi Louis XV. Habitée par les Aborigènes, sans doute connue des Chinois au Moyen Âge, l’île continent aurait pu devenir française, mais Saint Aloüarn est décédé à son retour et son voyage est tombé dans l’oubli jusqu’à une curieuse découverte en 1998.
Au XVIIIe siècle, sur fonds de rivalités politiques et militaires, la France et la Grande-Bretagne se lancent de nombreuses expéditions scientifiques. Les marins parachèvent les grandes découvertes de la Renaissance, reconnaissant et cartographiant les dernières terres encore inconnues des Européens. Plusieurs Bretons ont pris part à ces aventures humaines et scientifiques, certains sont restés célèbres, d’autres sont tombés dans l’oubli comme Louis Alano de Saint-Aloüarn découvreur méconnu de l’Australie.
Gentilhomme de vieille noblesse bretonne, né en 1738, sa famille avait pour devise « mad é quelen e peb amzer », « il est bon d’apprendre à chaque moment » en breton, formule fort à propos pour un découvreur. Son père et son oncle étaient déjà officiers de marine, lorsque le jeune Louis s’engage à 17 ans, comme garde-marine, à Brest. En 1755, il est lieutenant de vaisseau sous les ordres de son oncle, Rosmadec, sur un vaisseau qui rentre du Canada. Attaqué par un navire britannique, il reste deux ans en captivité en Angleterre.
Son père et son oncle meurent pendant la bataille des Cardinaux, en 1759, une importante défaite française qui consacre la suprématie des Britanniques sur les mers. Louis continue sa carrière, se marie, mais son épouse décède prématurément. En 1770, il mène plusieurs campagnes de mesures hydronomiques au large de la Bretagne, ce qui lui permet de voir plus souvent ses enfants dans son manoir de Guengat. Il possède aussi un hôtel particulier, rue Saint-Mathieu, à Quimper où il reçoit souvent un autre marin : Yves de Kerguelen.
Terres australes
En 1771, ce dernier lui propose de participer à une expédition lointaine dans les mers australes du sud du Pacifique. Français et Britanniques supposent alors l’existence d’un sixième continent dans cette région. Dès 1504, déjà, un Normand, Paulmier de Gonneville, affirmait avoir découvert des « terres australes » dans un sud lointain. En 1771 également, un autre Breton, Marion-Dufresnes met le cap au sud et découvre l’île Crozet en 1772.
Le 30 avril 1771, Saint-Aloüarn et Kerguelen sont à l’île Maurice. Saint-Aloüarn commande la flûte Le Gros Ventre. Ces bâtiments légers sont utilisés pour ravitailler les escadres et se prêtent bien aux voyages d’exploration. Ils mettent ensuite cap au sud et découvrent, en février 1772, un nouvel archipel que Kerguelen prend pour un continent et auquel il va donner son nom.
Prise de possession de l’Australie
Les deux navires se perdent de vue. Kerguelen décide de revenir en France pour faire valoir sa découverte. Saint-Aloüarn prend la direction de l’orient. Le 17 mars, il arrive en vue d’une vaste terre, dont il ne sait pas qu’elle constitue une île immense : l’Australie. Saint-Aloüarn en prend possession au nom du roi de France, Louis XV. Il enterre les documents et deux pièces sur l’île de Dirk Hartog.
Le Gros Ventre longe ensuite le littoral vers le nord. Malade, souffrant du scorbut, l’équipage de Saint-Aloüarn parvient à rejoindre la colonie portugaise du Timor, puis Batavia, l’actuelle Djakarta, la capitale des Indes néerlandaises. Après un peu de repos, Saint-Aloüarn reprend le chemin du retour et parvient, épuisé, à regagner l’île Maurice. L’arrivée du Gros Ventre, que l’on croyait perdu, provoque une belle surprise. Mais Saint-Aloüarn décède le 27 octobre 1772, sans profiter de sa nouvelle renommée. Son voyage tombe d’ailleurs dans l’oubli. La France se désintéresse de l’île-continent, où James Cook débarque à l’est lors de l’un de ses grands voyages autour du Monde. Les Britanniques colonisent l’Australie à partir de 1788.
Aux Kerguelen, Saint-Aloüarn a donné son nom à l’une des montagnes de l’archipel. Il faut en fait attendre une expédition archéologique franco-australienne en 1998 pour retrouver les traces du passage de Saint-Aloüarn sur l’île de Dirk Hartog. L’événement fera grand bruit en Australie, mais aussi en Bretagne où subsiste le joli manoir de Saint-Aloüarn, à Guengat, près de Quimper.
Le livre
Louis de Saint Aloüarn, un marin breton à la conquête des mers australes, Philippe Godard et Tugudual de Kerros, Editions les Portes du Large, Saint-Jacques-de-la-Lande, 2002.
Ce beau livre est une véritable enquête sur Louis de Saint-Aloüarn, héros méconnu des grandes expéditions du XVIIIe siècle. L’ouvrage s’intéresse d’abord au contexte maritime et géopolitique de l’époque, puis plonge dans l’histoire personnelle du marin. A partir de carnets de voyage et de récit de bord, il reconstitue l’itinéraire suivi par Saint-Aloüarn jusqu’à Dirk Hartog, la prise de possession au nom du roi de France, le retour par le Timor et l’Indonésie. La dernière partie est consacrée à l’expédition de 1998, dirigée par l’un des auteurs, Philippe Godard, pour retrouver les traces du passage du Gros Ventre, près de deux siècles et demi plus tôt.