Entre 1670 et 1750, la France prend possession d’un immense territoire en Amérique du Nord, mais, faute de moyens, cette colonie est relativement délaissée alors que les pressions des Anglais puis des Américains se font de plus en plus fortes. De nombreux Bretons, célèbres ou anonymes, ont cependant participé à cette extraordinaire aventure.
L’expansion française en Amérique du Nord s’est d’abord faite par le nord-ouest, avec les colonies fondées après la reconnaissance des côtes du Canada par Jacques Cartier dans les années 1540 et 1560. Le Québec, mais également l’Acadie francophone, en sont les héritières. Au xviie siècle, les Anglais développent également leurs colonies sur la côte est du continent et ils se heurtent aux espagnols au sud, aux Français au nord et à la chaîne des Appalaches à l’est.
Contournant les grands lacs, les Français s’aventurent de plus en plus à l’intérieur du continent américain dans les années 1670 et 1680. En 1682, Cavelier de la Salle parvient à descendre le Mississipi, l’un des plus grands fleuves du monde et à atteindre son vaste delta. Cherchant un passage vers le Pacifique, les Français s’aperçoivent surtout qu’il coule vers le golfe du Mexique. La Salle prend possession de la « Louisiane », baptisée ainsi en l’honneur de Louis XIV et qui couvre un territoire bien plus important que l’actuel Etat américain, soit près de 2 millions de kilomètres carrés que vont tenter d’occuper les coureurs des bois recherchant des fourures et de rares missionnaires.
Peu à peu, les Français s’installent dans le golfe du Mexique, au nord de leur plus riche colonie, l’île de Saint-Domingue (les actuelles Haïti et République dominicaine). Mobile est d’abord leur port principal. En 1718 est fondée la Nouvelle-Orléans qui devient rapidement la capitale de la colonie de Louisiane. De nombreux Bretons prennent part à son développement.
Le dernier gouverneur de Louisiane
En 1752, un officier de Marine reconnu pour sa bravoure, Louis Billoart de Kerlérec est nommé gouverneur de Louisiane. Cadet sans grande fortune, issu de la petite noblesse de Cornouaille, la charge a tout d’une promotion, nonobstant les graves difficultés de la colonie. Contrairement aux colonies anglaises d’Amérique, la Louisiane attire peu (cent fois moins de colons que les treize colonies américano-anglaises au xviiie siècle), beaucoup moins que les Antilles où s’épanouit la culture de la canne à sucre. L’implantation d’esclaves noirs reste limitée et les populations indiennes ont fortement diminué du fait des épidémies introduites par les Européens.
De plus, le poste est situé à La Nouvelle-Orléans qui n’est alors qu’une grosse bourgade, perdue au milieu d’un delta du Mississipi au climat plutôt difficile, avec des maladies tropicales fréquentes. Les rois de France ne concèdent guère de troupes à cette colonie considérée comme peu rentable, dont les élites dépensent une partie de leur énergie à se disputer, alors que la guerre reprend avec l’Angleterre en 1755. En quelques années, la France est expulsée d’Amérique du Nord, perdant le Québec et l’Acadie.
Le traité de Paris, en février 1763, donne une partie de la Louisiane à L’Espagne et l’autre aux colonies anglo-américaines. Kerlérec n’a rien pu faire. Faute d’armes et de soldats, ses alliés amériendiens ont, peu à peu, été défaits par les Iroquois et les Anglais. C’est donc en vaincu qu’il rentre à Rochefort, au début de 1764. Il fait alors inquiété par la justice royale et fait figure de bouc émissaire pour un fiasco américain dont les responsables sont pourtant à Paris. Kerlérec décède en 1770, mais sa famille entame aussitôt un procès pour le réhabiliter.
Audubon, génial naturaliste
L’Amérique aurait pu parler français, mais après le traité de Paris, c’est désormais l’anglais qui s’impose. Dans la deuxième moitié du xviiie siècle, les francophones ne sont que quelques centaines de milliers, contre plusieurs milliers d’anglophones qui se sentent de plus en plus américains que britanniques. Un autre Breton, originaire du pays nantais, Jean-Jacques Audubon, va particulièrement s’illustrer dans la conquête de l’Ouest, laissé en suspens par les Français de Louisiane. Né en 1785, il fait volontiers l’école buissonnière dans les marais de Couëron et de l’estuaire de la Loire, il y apprend comme survivre dans une nature difficile, un milieu qui le passionne.
Pour échapper à la conscription, il part en Louisiane en 1803 et se distingue déjà par la qualité de ses dessins. Il se lance dans une série d’expéditions dans l’ouest sauvage et exerce ses talents en ornithologie et sciences naturelles. Il ramène des centaines de dessins de la faune sauvage d’Amérique, ce qui en fait aujourd’hui l’un des naturalistes les plus reconnus des Etats-Unis et sans aucun doute l’un des Bretons, avec Kerouac, les plus connus outre-Atlantique. On peut aujourd’hui visiter sa demeure et les marais « Aubudon » dans l’estuaire de la Loire, l’un des nombreux lieux de mémoire entre Armorique et Amérique.
Michel Le Queffelec, aventurier oublié
Passionné de généalogie, Yves Le Queffelec a mené une véritable enquête policière sur les traces de Michel Le Queffelec qui aurait été l’un des premiers Européens à explorer l’ensemble du Mississipi. On a peu de détails sur sa vie, si ce n’est qu’il appartenait à une vieille famille de Brest. Il est mentionné, avec son frère Joseph, sur un traversier, la Légère, qui quitte La Rochelle pour la Louisiane en 1720. Le navire transporte 400 passagers dont de nombreuses femmes de petite vertue et il est escorté par un vaisseau de guerre, le Profond. Pour peupler les colonies américaines, le gouvernement français y expédie alors des prisonniers ou des prostituée, comme dans le roman Manon Lescaut qui fit scandale au xviiie siècle. Michel et Joseph Le Quéffelec sont nommés comme seigneurs de Kerlasiou et ils faisaient sans doute partie des pilotes de la rade de Brest, ce qui expliquerait leur venue en Louisiane, afin de reconnaître le Mississipi, notamment son immense delta, et de le remonter vers le nord et les colonies canadiennes. Michel Le Queffelec avait donc une tâche stratégique. Un autre Breton installé à la Nouvelle-Orléans, Jean Baptiste Benard de la Harpe, évoque Michel Le Queffelec et loue ses talents de pilote. Selon lui, il aurait remonté les trois mille kilomètres du « Missipy » et rejoint la région de l’Ohio, établissant ainsi la « navigabilité du fleuve par tous les types de bateaux de l’époque ». Ce qui n’avait rien d’une synécure sur ce territoire immense, peuplé de tribus indiennes parfois hostiles et de coureurs de bois assez sauvages. Selon une source américaine, Queffelec aurait du faire face à une mutinerie des soldats qui l’accompagnaient. Roué de coups, il aurait été abandonné sur les rives du fleuve. La chose était fréquente, la plupart des soldats envoyés en Louisiane étaient sous-payés et sous-équipés. Ils se rebellaient souvent. Son acte de décès précise que Michel Le Queffelec est mort en septembre 1723. Désormais, Yves Le Queffelec s’évertue de sortir de l’oubli ce courageux aventurier et rêverait que la ville de Brest lui consacrer une plaque commémorative.