1966. Mise en service du barrage de la Rance
Le 26 novembre 1966, le général de Gaulle venait inaugurer le barrage sur la Rance, une cathédrale de béton qui fournit toujours une partie de l’électricité en Bretagne. Cet équipement est resté le seul construit à ce jour, en raison de la concurrence du nucléaire et même si les énergies de la mer apparaissent aujourd’hui comme un secteur prometteur.
Dans l’Antiquité, la marée effrayait quelque peu les navigateurs grecs et latins qui s’aventuraient jusqu’aux rivages armoricains. Habitués au calme de la Méditerranée, ils observaient avec perplexité la mer se retirer à intervalles réguliers, découvrant de vastes étendues.
Les plus fortes marées du monde
La marée est un phénomène complexe, résultant de l’attraction du soleil et de la lune sur les masses océaniques. Sa puissance dépend de plusieurs facteurs, comme la latitude, l’aspect des côtes, l’importance de l’océan… Or, en Bretagne, l’amplitude des marées est l’une des plus fortes au monde, surtout sur la côte nord, où le courant océanique s’engouffre dans la Manche. L’amplitude est alors amplifiée par la presqu’île du Cotentin et le marnage peut atteindre plus de 15 mètres dans la baie du mont Saint-Michel.
L’idée d’exploiter une telle énergie n’est pas nouvelle et remonte au Moyen Âge où l’on commence à bâtir des moulins à mer dès le XIIe siècle. On en recense aujourd’hui une centaine dans toute la péninsule. A marée montante, l’eau s’accumule derrière une digue fermant une anse. Au jusant, le vidage du bassin permet de faire tourner une roue à aube. Ces moulins à mer ne fonctionnent cependant que deux fois par jour, soit moins de temps que les moulins de rivière.
L’électricité de la mer
Les ingénieurs ont très vite compris l’intérêt de ce principe pour produire de l’électricité. Dans les années 1920, un premier projet voit le jour dans l’Aber Wrac’h, avant d’être abandonné faute de crédits. Dans l’après-guerre, la situation change avec une forte croissance de la demande énergétique, notamment en Bretagne alors très en retard en matière de production.
A la fin de l’année 1960, un décret autorise des travaux sur la Rance. Le marnage y est en effet très important, avec une différence de niveau pouvant atteindre 13,5 mètres entre la marée haute et basse. Avec 750 mètres, l’estuaire est assez étroit et, une fois fermé, il permet de créer un bassin de 22 km2, contenant 184 millions de m3. Enfin, le sol en granit est suffisamment solide pour supporter le poids de l’ouvrage.
Cependant, la construction d’un tel ouvrage, une première dans l’histoire, présente bien des défis techniques. Les ingénieurs vont en effet plancher sur les problèmes de corrosion, plus rapide dans un environnement marin. Il faut également mettre au point des turbines horizontales, différentes de celles utilisées dans les grands barrages.
Travaux titanesques
Pour la structure du barrage, il est décidé de procéder en deux étapes et de commencer par les extrémités, avec notamment la construction de l’écluse qui entre en service le 19 novembre 1962. Le chantier de la digue creuse et du cœur du barrage débute ensuite. Il va durer pendant trois ans, à sec, à l’intérieur d’immense enceintes étanches, renforcées par des batardeaux et des colonnes creuses, remplies de sable, pour mieux résister aux assauts de la mer et aux courants.
La Rance est ainsi barrée sur plus de 600 mètres, avant que les installations ne soient démontées et le barrage ne soit mis en service le 14 mars 1966. Un système informatique performant pour l’époque permet d’optimiser la production en fonction des horaires de marées.
Malgré un impact environnemental non négligeable sur la Rance, notamment en matière d’envasement, le barrage de la Rance a plutôt bien vieilli en un demi-siècle. Il représente un peu plus de 5 % de la consommation d’électricité bretonne et devrait continuer à fonctionner pour une période de plusieurs décennies. Son coût de production, environ 500 millions d’euros, reste très inférieur à celui d’une centrale nucléaire et pose beaucoup moins de problèmes en termes de gestion des déchets. Mais c’est pourtant cette énergie qui va être privilégiée par la France dans les années 1960 avec, par exemple, la construction d’une centrale atomique expérimentale à Brennilis. Réussite technologique et économique, le barrage de la Rance fait figure de première étape d’une histoire des énergies de la mer en Bretagne qui reste à bien des égard à écrire.
Les énergies de la mer
La mer représente une source d’énergies renouvelable très importante et jusqu’ici peu exploitée du fait des problématiques techniques à solutionner. Dès le XIXe siècle, on construit ainsi plusieurs minoteries industrielles alimentées par des moulins à mer. Dans les années 1970, à la suite du barrage sur la Rance, un pharaonique projet du même type est imaginé dans la baie du Mont-Saint-Michel. Il prévoyait 55 kms de digues et l’installation de 200 turbines. Mais l’impact sur le paysage et sur l’écosystème aurait été tel qu’il est rapidement abandonné. Plus récemment, de nouveaux projets ont vu le jour. Un parc d’éoliennes en mer va ainsi être installé en baie de Saint-Brieuc. Mais la rentabilité de ce type d’équipement reste encore à prouver. Plusieurs entreprises se sont lancées dans le développement d’hydroliennes, des hélices posées au fond de la mer et mues par la force des courants. Une solution très prometteuse, particulièrement pour les îles, mais également pour la Bretagne qui dispose de courants marins très importants. Il existe aussi des prototypes utilisant l’énergie de la houle ou des projets de bassins en haute mer, utilisant également l’énergie de la marée, mais sans les nuisances environnementales d’un barrage d’estuaire. Source de richesses grâce à la pêche et au commerce, la mer et ses énergies constituent toujours l’une des clefs de l’avenir de la Bretagne.