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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

L'Antoinette fait naufrage au large d'Audierne en 1912

Publié le 8 Décembre 2016 par ECLF in Histoire de Bretagne

L'Antoinette fait naufrage au large d'Audierne en 1912

 

 

Le 6 janvier 1912, l’Antoinette fait naufrage en baie d’Audierne, épisode qui marqua profondément la carrière du peintre Jean-Julien Lemordant. Ce drame marque aussi la fin des grands voiliers de commerce qui avaient fait la fortune du port de Nantes grâce au commerce du sucre.

Construit dans les chantiers navals de Nantes et mis en service en 1903, l’Antoinette est le dernier trois-mâts de commerce lancé en France. Depuis 1902, le gouvernement français avait décidé de cesser de subventionner ce type de navires, déjà très concurrencé par la marine à moteur. Si en 1850, 50 % du transport maritime se faisait à la voile, le pourcentage n’était que de 10 % un demi-siècle plus tard.

 

Le dernier trois-mâts goélette

L’Antoinette a été le dernier voilier à bénéficier de la loi sur la prime, instaurée par Adolphe Thiers en 1840 et reconduite tous les dix ans. Cette loi prévoyait une prime pour les marchandises transportées par mer, en fonction du tonnage et des kilomètres parcourus. Elle a permis de favoriser considérablement le commerce international et à la marine française de rattraper une partie de son retard sur la flotte britannique.

Le navire a été mis en chantier par l’armement L’Océan de Nantes et a été baptisé ainsi en hommage à Antoinette Bonamy, la femme du directeur de la société. Il s’agissait d’un trois-mâts goélette très maniable, d’une soixantaine de mètres de long, avec une coque doublée en acier. Il jauge 700 tonneaux et il est mû par un ensemble de 17 voiles. Un témoin de l’époque juge qu’il s’agit d’un « bien joli navire, aux lignes élégantes, au pont dégagé… »

 

Le transport du sucre

Pendant quatre ans, il est exploité au commerce du sucre avec les Antilles. Depuis le XVIe siècle, la culture de la canne à sucre fait en effet la richesse des îles des Caraïbes et de Nantes. Ce dernier devient, au XVIIIe siècle, l’un des plus importants ports de l’odieux commerce triangulaire. On y charge des toiles et des pacotilles pour l’Afrique où elles sont échangées contre des esclaves, transportés ensuite dans des conditions effroyables pour servir de main-d’œuvre aux Antilles.

Les navires reviennent avec du coton, des produits exotiques et surtout du sucre. En 1788, on compte déjà 11 raffineries de sucre dans le pays nantais. Quelques décennies plus tard se développent les usines de sucre candi, comme Beghin-Say. Nantes se fait une spécialité des berlingots et autres sucreries. La demande explose à la charnière des XIXe et XXe siècle, avec le développement des biscuiteries nantaises. La plus célèbre, Lefèvre-Utile, produit 300 tonnes en 1886 et plus de 5 000 tonnes trente ans plus tard.

 

Cinq voyages à travers le monde

S’il est très maniable, l’Antoinette souffre cependant de quelques handicaps. Il est trop petit pour passer le Cap-Horn et ses terribles tempêtes, mais il est trop important pour la mer des Caraïbes. Il est désarmé à Greenock, en Écosse, en 1906, avant d’être racheté par l’armement Simon-Duteil de Nantes.

En 1907, il s’élance pour un premier grand voyage qui l’emmène jusque Saïgon puis vers l’île Maurice d’où il ramène une cargaison de sucre. En 1908-1909, il part plusieurs mois, direction Cayenne, puis New York où il charge du pétrole vers le Cap en Afrique du sud, avant de poursuivre vers l’île Maurice, afin de rapporter à nouveau du sucre. Son troisième voyage l’amène à débarquer du sel à Saint-Pierre-et-Miquelon, puis à transporter du pétrole entre les États-Unis et la Réunion, d’où il rentre avec du sucre.

En 1911, l’Antoinette reprend la mer et charge du kaolin en Cornouailles britannique vers l’Amérique. Il fait escale en Argentine pour y embarquer des mules et poursuit dans l’océan Indien vers la Réunion puis l’Indonésie. Le retour est assez tragique puisqu’une épidémie de la maladie du sommeil se déclare à bord, forçant l’équipage à une période de quarantaine à Belle-Isle-en-Mer.

 

Naufrage en baie d’Audierne

Une partie de l’équipage, dont le capitaine, reste en convalescence pour le cinquième voyage qui doit emmener l’Antoinette vers l’Angleterre et l’Amérique du Sud au début de 1912. Pour gagner du temps et après un carénage à Saint-Nazaire, le navire est remorqué jusque Ipswich, près de Londres, où l’attend une cargaison d’engrais. Mais, le 6 janvier, une tempête se lève alors qu’il longe le pays bigouden.

En fin de matinée, le capitaine du remorqueur le Warrior, décide de couper le câble le reliant à l’Antoinette. Le trois mats et son équipage sont laissés seul dans la tourmente. Vers 15 h 30, le voilier est rafalé vers la côte et s’échoue sur la grève de Kermen en baie d’Audierne. Les sauveteurs se mettent en route, mais il faudra attendre 19 heures pour que les opérations d’évacuation débutent dans une mer en furie. Finalement, les 14 marins de l’Antoinette sont recueillis seins et saufs et réconfortés par les habitants des environs.

Le naufrage de l’Antoinette fait grand bruit et l’on vient de loin pour voir l’épave. Dépêché sur place, le représentant de l’armateur, M. Foulfouin écrit « Vous n’imaginez pas que ce pays est celui des pillards par excellence ! Dès 8 heures, plus de deux indigènes étaient prêts à monter à l’assaut. » Finalement, le navire est démoli après être resté plusieurs mois sur la grève, comme un symbole de la fin des grands voiliers de commerce.

Le Livre :

Pendant plusieurs années, Maurice Trépos a étudié les archives de l’Antoinette, particulièrement les correspondances et les journaux de bord des capitaines. Il en a tiré une impressionnante somme permettant de retracer les cinq derniers voyages de ce trois-mâts. Il reconstitue aussi les parcours des principaux acteurs de cette aventure : armateurs, assureurs, officiers et marins… Son ouvrage est une mine d’information pour comprendre l’histoire de la marine au long cours du début du XXe siècle. L’iconographie nous replonge également dans l’ambiance des ports de légende que l’Antoinette a visités : Nantes, Londres, Greenock, Le Cap, New York, Saïgon…

Les Cinq voyages de l’Antoinette, l’odyssée d’un trois-mâts autour du monde, Maurice Trépos, éditions Coop Breizh, avril 2016.

 

 

L’artiste : Jean-Julien Lemordant

Alors que l’Antoinette vient de faire naufrage, le capitaine lance une bouée à la mer. Elle est récupérée par un nageur intrépide, Jean-Julien Lemordant, un peintre installé dans les environs, où il trouve l’inspiration dans les scènes maritimes du pays bigouden et du Cap Sizun. C’est un solide athlète de 33 ans, qui n’hésite pas à faire régulièrement à la nage le trajet entre Penmarc’h et Audierne, même par mer agitée. Il assiste à toutes les opérations de sauvetage qui remuent en lui de terribles souvenirs, puisqu’il a perdu en mer, à l’âge de 11 ans, son père et son oncle. En revenant chez lui, il ne peut trouver le sommeil et se rend à son atelier où il va peindre toute la nuit l’un de ses plus célèbres tableaux. Le naufrage de l’Antoinette constitue une révélation pour cet artiste qui continuera de peindre et de dessiner sur ce thème, même… après être revenu aveugle de la Première Guerre mondiale. Il retrouve la vue en 1923. Jean-Julien Lemordant s’éteint en 1968. Parmi ses œuvres, on peut signaler les décorations du plafond de l’opéra de Rennes (des scènes de danses bretonnes) ou celles du café de l’Épée, à Quimper, sauvées en 1975 et désormais visibles au musée des beaux-arts.

 

 

 

 

L'Antoinette fait naufrage au large d'Audierne en 1912
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