Georges Péan, un Morlaisien aventureux
Grâce à un manuscrit redécouvert récemment, nous pouvons retracer les aventures, duels, combats et expéditions en Guyane et dans le grand Nord de Georges Péan, un jeune marin audacieux d’origine morlaisienne. Son récit nous plonge également dans la vie de la marine à voile du xviiie siècle.
Georges Péan naît à Morlaix le 13 mars 1761, mais on ignore en revanche la date de son décès. Ses cahiers sont datés de 1798 et ne racontent pas le reste de sa vie. Comme beaucoup de nobles, Georges Péan est alors immigré ; il a combattu la Révolution dans les armées royalistes en Allemagne et il est aisé d’imaginer qu’il a encore connue quelques aventures dans le reste de l’Europe pendant cette période tumultueuse.
Un cadet de Bretagne
Il est le fils d’un écuyer, Georges-François Péan et de Thérèse-Nicole de Penhoadic. La famille fait partie de cette petite noblesse bretonne pléthorique à la fin de l’Ancien Régime, qui trouve des revenus dans les quelques terres qu’elle possède et dans les charges militaires, ecclésiastiques ou juridiques qu’elle parvient à obtenir pour ses enfants, charges qui lui permettent de garder son rang et de se distinguer du tiers état. Péan ne cache d’ailleurs pas être issu « d’une famille ancienne mais peu favorisée du côté de la fortune ».
Enfant, il reçoit une éducation classique avec ses grands-parents d’abord, ensuite avec un maître d’école, ancien militaire du château du Taureau, puis en pension chez un curé de campagne qui lui enseigne le latin. Il passe également quatre ans au collège. A l’adolescence, il revient à la demeure familiale, son père espèrant lui léguer sa charge administrative. Cette dernière ne passionne guère le jeune homme qui multiplie les frasques. On menace de l’enfermer au Taureau, il s’enfuit et s’engage dans un régiment de chasseurs.
Orties et filles de joie
La vie de caserne ne lui déplaît point. Un soir, alors qu’il rentre avec des compagnons, ils rencontrent plusieurs prostituées et les lascars se proposent de les « fouetter avec des orties ». Georges Péan invite même un moine qui passe par là de se joindre à eux… L’arrivée d’un officier provoque la fuite des jeunes hommes. Le lendemain, pour éviter une punition collective, il se dénonce tout en refusant de donner le nom de ses camarades. Il y gagne l’estime de tout le régiment et une réputation de « libertin », mot à prendre dans son sens du xviiie siècle, dans un contexte de forte emprise de la religion sur la société.
Tombé gravement malade, Péan quitte l’infanterie puis part rejoindre son frère dans « le militaire marin ». La France vient de rentrer en guerre aux côtés des insurgents américains. Georges Péan trouve un embarquement à Brest dans l’escadre de de Grasse. Hélas, à cause d’un repas familial, il manque son navire parti sans lui participer à la bataille d’Ouessant. Péan retrouve ensuite un poste de garde marine et assiste à un incendie dramatique qui détruit plusieurs bateaux.
Aventures en Guyane
Quelques mois plus tard, il traverse l’Atlantique vers la Guyane, dont il décrit le climat difficile mais également les richesses agricoles. On y cultive alors le café, le coton, le roucou (une teinture), la canne à sucre et des épices que des voyageurs ont ramené des Indes Néerlandaises (l’Indonésie). Georges Péan y reste pendant trois ans comme garde-côtes.
Pendant dix-huit mois, il ne voit pas l’ombre d’un vaisseau ennemi jusqu’à ce que surgissent deux vaisseaux anglais alors qu’il croise aux îles du Salut. Ils engagent le combat qui va durer plus de quatre heures. Finalement, les Français abandonnent, mais, très endommagés, les Britanniques ne les poursuivent pas. Ils se replient au Surinam où quelque temps plus tard, Péan les retrouve et les félicite pour ce beau combat.
Un autre jour, alors qu’on l’envoie faire du ravitaillement, sa barque est prise dans un orage et il fait naufrage dans la mangrove, perdant deux hommes dévorés par les requins. Il s’en tire, mais manque de se faire attaquer par un « tigre », en fait un jaguar ou un puma. Sa mission touchant à sa fin, il revient en Bretagne, mais son vaisseau est capturé au large d’Ouessant. Péan reste quelques temps dans les pontons de Plymouth, avant d’être échangés avec des prisonniers britanniques.
Expédition au grand Nord
Après un bref retour en Bretagne, notre homme rembarque. Fort de son expérience, il est désormais officier auxiliaire sur une frégate quittant Brest pour la Martinique. Puis il est détaché pour une expédition audacieuse confiée à un certain monsieur de Lapérousse. Quelques navires français longent les côtes américaines jusqu’à la baie d’Hudson. Péan se régale entre temps de morue pêchée au large de Terre-Neuve. Puis, on leur distribue des tenues d’hiver et ils installent des éperons pour briser les glaces qui s’épaississent alors qu’ils franchissent le cercle polaire.
Péan rencontre les premiers « esquimaux » dont il laisse quelques savoureuses descriptions sur leurs moeurs de vie. « Ils paraissent, écrit-il, fort robustes, ont le teint basané, les cheveux longs, les yeux petits, les lèvres épaisses, le nez épaté et la taille moyenne ».
L’expédition s’attaque à plusieurs forts britanniques qui sont systématiquement détruits. La saison, fort avancée, les empêche d’en détruire quelques autres et ils reviennent à l’automne à Cadix, l’Espagne étant alors l’alliée de la France. C’est là qu’ils apprennent la fin des hostilités.
Vers l’Orient
Pour son troisième voyage, Péan embarque sur un négrier nantais à destination de la Guadeloupe. Là, il a un duel avec un officier qui s’est moqué de son « air breton ». Georges Péan l’embroche, le blesse sérieusement, le sauve et, au final, se retrouve à boire du punch avec lui…
Péan part ensuite vers les Indes et reste plusieurs semaines à Pondichery, Sur la côte des Malabars et à Calcutta. Il relate les rencontres savoureuses avec les différents potentats locaux, Mahardja et « califes », avant de poursuivre vers la Chine et Macao, où il rencontre des marins anglais arrivant d’Hawaï qui lui donne des nouvelles de son ancien commandant, Lapérousse, parti en expédition dans le Pacifique.
Avec bien des périples, Péan rentre à Brest… où il apprend que la Révolution a débuté. « Je revis le lendemain toutes mes anciennes connaissances qui me disaient que depuis mon départ, tout avait changé ». Les choses ont trop changé, le monde de Georges Péan a disparu. En 1792, il immigre, s’engage dans l’armée des Princes où il obtient la croix de Saint-Louis, avant que l’on ne perde sa trace.
Le livre :
Intitulé un peu trompeusement « un libertin chez les esquimaux » – car en vérité, il n’est guère question de libertinage –, l’ouvrage présenté et commenté par Bruno Fuligoni se révèle un extraordinaire témoignage sur seconde moitié du xviiie siècle et particulièrement la marine à voile et les voyages intercontinentaux. A propos des mémoires de Georges Péan, Bruno Fuligoni évoque très justement une « bouteille à la mer », dérivant sur « l’océan des siècles ». Elles se présentent sous la forme de six cahiers, où sont retranscrites sous forme de lettres, les tribulations d’un jeune hobereau morlaisien. Le texte est écrit dans un style qui pourrait nous apparaître compassé, mais qui conserve la saveur de la langue du siècle des Lumières. Autant dire qu’on ne s’ennuie guère à la lecture de cet ouvrage fort alerte qui nous raconte une vie de marin fort mouvementée, comme beaucoup en ces temps-là.
Un libertin chez les esquimaux. Voyages, batailles navales, naufrage, duels, aventures en Guyane et expédition dans le grand nord d’un jeune homme téméraire. Un récit d’aventures de George Péan, éditions du Trésor, 2016, 192 pages, 17 €.