Le sel fait partie des produits qui ont fait la richesse de la Bretagne depuis des siècles. Il y est récolté par évaporation depuis l’Antiquité, la péninsule possédant encore de nombreux marais salants où l’on perpétue des techniques ancestrales.
Depuis la Préhistoire, le sel est utilisé par les hommes comme condiment ou médicament – dans des solutions antiseptiques, comme simulateur d’appétit ou en peausserie. Jusqu’au XVIIIe siècle, il a constitué l’un des principaux moyens de conservation de la nourriture. Il a donc joué un rôle majeur dans l’histoire humaine. Dès l’Antiquité, de véritables routes du sel se mettent en place afin de satisfaire une consommation régulièrement en hausse. Pour de nombreuses civilisations, le sel était un moyen de paiement. Le mot salaire vient ainsi du latin salarium, la somme donnée aux légionnaires pour acheter du sel. Il était en effet un élément très stratégique pour les Romains dont les armées consommaient de grandes quantités de salaisons, ce qui leur permettait de se déplacer facilement sur de longues distances.
Le sel des Celtes
Le sel était également exploité dans l’Europe celtique. L’un des plus anciens sites celtiques, Halstaat en Autriche, est situé dans une région de mines de sel. Dans l’Armorique gauloise, on l’obtenait en grâce à des fours, dont plusieurs dizaines ont été repérées par les archéologues sur le littoral breton. En chauffant, l’eau de mer s’y évaporait, laissant le sel cristalliser. Il était ensuite récolté dans des récipients en argile et conditionné en pain de sel. Quelques-uns de ces ateliers de « bouilleurs de sel » ont été fouillés. Ils témoignent d’une activité florissante à la veille de la conquête romaine. Ce sel était ensuite utilisé par les populations locales ou commercialisé dans des flux commerciaux européens. Les salaisons gauloises étaient ainsi réputées dans le monde méditerranéen. Ces fours ont été abandonnés après la conquête. Peut-être les Romains ont-ils interdit aux Armoricains de produire ce sel qui était l’une des sources de leur puissance.
La production de sel reprend en Bretagne au Moyen Âge. Une charte de 845, conservée dans le Cartulaire de Redon, nous apprend que le comte de Vannes aurait fait don à l’abbaye de Redon de terrains dans la presqu’île de Guérande, afin d’y construire des salines. Quelques siècles plus tard, les abbayes de Saint-Gildas-de-Rhuys et de Prière, à Billiers, sont à l’origine de la création de nouveaux marais salants sur l’actuel littoral morbihannais. Rapidement, le sel devient une source importante de revenus pour le duché ; La Bretagne exporte cet « or blanc » dans une Europe en pleine croissance démographique.
Sel et grande pêche
Avec les troubles du XVIe siècle, la demande et la production baissent. Aux siècles suivant, elle va être relancée grâce à la grande pêche dans laquelle les Bretons s’investissent. Ils vont notamment pêcher la morue en Atlantique nord, à Terre-Neuve ou en Islande. Salée, la morue est ensuite revendue dans toute l’Europe. Au XVIIIe siècle, la demande de sel est telle que le bassin guérandais arrive à saturation. De nombreux paludiers guérandais se déplacent vers le pays vannetais. Ils défrichent d’importantes zones littorales, notamment dans la presqu’île de Rhuys. Grâce à leur grande maîtrise de l’hydraulique salicole, ils transforment durablement ces paysages.
Entre 1728 et 1745, deux mille trois cents œillets sont ainsi réalisés dans les marais de Sené, près de la rivière de Navallo, à la demande des chanoines de la cathédrale de Vannes qui espèrent se renflouer après une banqueroute. Quatre cents paludiers y travaillent. De nouvelles salines seront ensuite aménagées jusqu’à la région d’Auray. La production bretonne continue d’augmenter jusqu’au XIXe siècle, avant de décliner. En guerre contre la France, les Britanniques ont trouvé d’autres sources d’approvisionnement. L’invention des conserves métalliques, permettant de conserver les aliments durablement, porte également un coup sévère à la production salicole. Le développement des conserveries de poisson entraîne, par exemple, la disparition des presses à sardines, grandes consommatrices de sel. Les salines de l’ouest et de Bretagne doivent également faire face à la concurrence des salines du midi ou de l’est qui proposent un sel moins cher et plus rapide à obtenir.
Au XXe siècle, les prix du sel chutant, les salines du Morbihan sont peu à peu abandonnées. Les marais salants abandonnés constituent aujourd’hui des espaces naturels exceptionnels et l’un d’entre eux, à Saint-Armel, a été remis en activité dans les années 2000. L’activité s’est en revanche maintenue dans la presqu’île guérandaise, le « pays blanc » en breton. Le sel y constitue un élément identitaire fort, malgré le développement du tourisme.
Gabelle et beurre salé
Outre son poids économique, le sel a joué un rôle culturel important en Bretagne. Après la perte de son indépendance et jusqu’à la Révolution, la Bretagne disposait en effet d’un statut particulier, notamment en matière fiscale. Contrairement au reste du royaume de France, on n’y prélevait pas la gabelle, un impôt très impopulaire sur le sel. Il existait une importante activité de contrebande entre la Bretagne et les provinces voisines, réprimées par les fameux « gabelous ». Nombre de contrebandiers, au chômage après 1789, fourniront des troupes à la chouannerie.
Sous l’ancien régime, le sel était donc très bon marché en Bretagne. Il pouvait, par exemple, être utilisé pour conserver les laitages et particulièrement le beurre dont la production a toujours été importante dans la péninsule. C’est un élément pour expliquer l’absence de fromages traditionnels en Bretagne, ainsi que le goût des Bretons – Loire-Atlantique incluse – pour le beurre salé, dont la production chute dans les départements voisins.
A voir : marais salants et paludiers bretons
Les marais salants font partie du paysage du sud de la Bretagne, avec leurs œillets, leurs constructions de terre et d’argile, leurs systèmes hydrauliques complexes, les tas de sel récoltés séchant au soleil… Ils fonctionnent suivant un principe simple. L’eau de mer irrigue les marais au rythme des marées. L’eau parcourt ensuite différents bassins grâce un système de dénivellation, puis s’évapore en se transformant en saumure. Le paludier récolte ensuite la fleur de sel qui se trouve en surface ou le gros sel, au fond de l’œillet. Depuis les années 2000, un paludier, Olivier Chenelle, a entrepris de restaurer le marais salant du Lasné, dans la presqu’île de Rhuys. C’est cependant dans la région guérandaise où l’on trouvera le plus de marais salants et de témoignages sur la culture salicole. De nombreux ethnologues se sont penchés sur la culture des paludiers bretons, qui avaient leurs costumes spécifiques, caractérisés par un grand chapeau de feutre pour les hommes et des couleurs vives et chatoyantes pour les femmes, particulièrement le « rouge guérandais ». La récolte du sel et l’entretien des marais impliquent également un certain nombre de savoirs faire ancestraux. Ils sont à l’origine de tout un vocabulaire qui emprunte beaucoup à la langue bretonne, parlée ici jusqu’au début du XXe siècle. On découvrira d’intéressants témoignages sur cette culture du sel au musée d’arts et traditions populaires de Guérande ou au musée des paludiers de Batz-sur-Mer. Ce dernier l’un des plus anciens musées d’ethnologie en France. On y trouve près de mille cinq cents objets et maquettes qui racontent l’histoire de la presqu’île guérandaise et de la récolte du sel. On y voit d’impressionnants costumes de cérémonies de paludiers ainsi qu’un intérieur traditionnel. On y explique également le rôle économique du sel et son utilisation traditionnelle dans différents produits. Le musée de Batz-sur-Mer est une invitation à comprendre le paysage si spécifique de cette région. On peut ensuite flâner dans les marais salants, des sorties avec des spécialistes sont régulièrement proposées en été, afin de découvrir l’extraordinaire faune et flore des marais.