Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Visites présidentielles en Bretagne

Publié le 28 Février 2017 par ECLF in Histoire de Bretagne

Visites présidentielles en Bretagne

 

 

La visite d’un chef de l’État obéit à quelques règles protocolaires, mais constitue surtout un acte politique et symbolique. Depuis plus d’un siècle, les visites des présidents de la République ont donc constitué des événements politiques marquants, mais n’ont pas toujours été de tout repos.

Aucun Breton n’a jamais été élu président de la République française, mais ces derniers n’ont pas boudé les séjours dans la péninsule. Si, aujourd’hui, ces déplacements se sont quelque peu banalisés, plusieurs d’entre eux ont marqué l’histoire de la Bretagne. Le voyage présidentiel constitue en effet un rituel politique qui obéit à des règles et possède des constantes qui remontent loin dans le passé. Ancrer la région dans la République Malgré ses principes démocratiques, la République française - et particulièrement la Ve - présente bien des aspects monarchiques.

 

Quelques aspects monarchiques

La venue du chef de l’État dans des « provinces » éloignées s’inscrit dans la continuité des rois d’autrefois. On sait ainsi que lorsqu’Henri IV est venu en 1598 pour ramener la paix civile en Bretagne et signer le fameux édit de tolérance à Nantes, les villes se cotisaient pour financer le passage de la cour et décorer les rues avec notamment des arcs de triomphe. Une pratique qui a perduré jusqu’aux années 1950. Les plus beaux arcs de triomphe étant sans doute ceux de Châteauneuf-du-Faou, en 1896, réalisés par le grand peintre Paul Sérusier, sur le thème des corporations. Pour l’historien Patrick Gourlay, « le passage de Félix Faure en Bretagne, en 1896, est le premier voyage républicain. Il vise réellement à ancrer la région dans la République ».

Quelques décennies plus tôt, Napoléon III avait particulièrement réussi son voyage en Bretagne, une terre de mission pour les bonapartistes qui y faisaient face à une double contestation, républicaine dans les villes et monarchiste dans les campagnes. L’empereur se rallie les catholiques en visitant Sainte-Anne d’Auray et donne une image de modernité au régime en s’arrêtant dans les arsenaux et en inaugurant la ligne de train entre Rennes et Paris.

Après la chute de l’Empire, le premier président de la IIIe République, Mac Mahon, se rend aussi en Bretagne, mais le maréchal n’a jamais caché ses opinions monarchistes. Il apprécie d’ailleurs peu un feu d’artifice à Brest lors duquel s’affichent de gigantesques lettres R et F dans le ciel. Mobilisation populaire En 1896, Félix Faure séjourne une semaine en Bretagne. Il passe dans les grandes villes, mais aussi dans la Bretagne intérieure. La mobilisation populaire est très forte et les populations s’impliquent pour nettoyer, pavoiser et illuminer les cités et les bourgs.

Des comités locaux sont montés. « Il y a un énorme travail en amont entre ces comités et les services présidentiels, explique Patrick Corlay. Il y a une implication des habitants qui est frappante avant les années 1960. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus hors sol, organisé à Paris ». Le banquet républicain fait, bien entendu, partie du rite. Il permet au président de rencontrer les citoyens, parfois tirés au sort. Aux cérémonies officielles s’ajoute une dimension festive avec des fêtes, des bals, des feux d’artifice et parfois des courses de chevaux. « Cela permettait à la population d’être en contact avec le président », ajoute Patrick Gourlay.

 

Plus hors sol aujourd’hui

De nos jours, les choses ont changé et ce sont surtout les militants du parti qui sont mobilisés pour jouer la foule. La plupart des citoyens ne voient leur dirigeant qu’à la télévision. Revendications populaires Car, depuis les années 1960, les voyages présidentiels sont aussi devenus des moments de contestation et de revendication. Le voyage du Général de Gaulle en 1969 est marqué par une forte contestation sociale après Mai-68 et régionaliste avec les attentats du FLB. Quelques années plus tard, pour empêcher tout esclandre lors du passage de Pompidou à Quimper, des militants bretons et syndicaux sont ainsi « éloignés » de la ville. Des cars les déposent à la campagne et ils doivent rentrer à pied… En 1977, un attentat manqué visait à couper l’électricité à Ploërmel où Giscard d’Estaing était venu signer la charte culturelle bretonne. L’année suivante, un incident encore plus spectaculaire intervient lorsque le président vient constater les dégâts de l’Amoco Cadiz. Des paysans en colère accrochent un cochon aux pâles de l’hélicoptère présidentiel… Particularités bretonnes Si la Bretagne est parfois rebelle, les présidents savent également en apprécier la forte identité. Des photos avec de jeunes gens en costumes traditionnels sont du meilleur effet pour la presse. Les cadeaux offerts aux présidents illustrent également le dynamisme de l’art régional, les faïenceries de Quimper étant ainsi régulièrement mises à contribution. Le voyage présidentiel sert souvent de reconnaissance pour la culture bretonne.

En 1969, le Général de Gaulle soulève l’enthousiasme - et quelques sourires en raison de son accent - lorsqu’il lit les vers en breton de son oncle, le barde Charles de Gaulle. Il profite de son passage à Quimper pour annoncer le référendum sur la régionalisation. En 1978, Giscard signe la charte culturelle bretonne et, en 1995, à Quimper, Jacques Chirac annonce son intention de faire signer la charte européenne des langues minoritaires.

 

Intronisation nucléaire

Autre particularité bretonne, la dimension militaire, avec un passage obligé dans la rade de Brest. « La visite à l’Île Longue est une sorte de sacre qui intronise le chef de l’État comme chef des armées et gardien du feu nucléaire », souligne Patrick Gourlay. Il est à noter que les autorités militaires sont assez sourcilleuses et n’aiment pas partager la présence du Président avec les civils. Il n’y a que peu d’exemples de visites mixtes. Autrefois, la venue d’un chef de l’État était rare et exceptionnelle. La journée était fériée afin de mobiliser les foules et l’événement marquait la vie sociale. Il est vrai que sous la IIIe et la IVe République, les moyens de communication et de transport n’étaient pas les mêmes. Aujourd’hui, le Président - ce monarque républicain - semble paradoxalement plus distant et moins sacralisé, en témoignent le voyage de Nicolas Sarkozy, au Guilvinec, en 2007, marqué par des altercations verbales avec des pêcheurs ou les images de François Hollande, sous des trombes d’eau, à l’île de Sein… Autre temps, autres mœurs…

 

Pour en savoir plus :  

« Un outil politique : le voyage présidentiel en province », Patrick Gourlay, Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 112-4 | 2005, 85-115.

- « Une visite présidentielle au village : Félix Faure dans le centre Bretagne le 8 août 1896 », Patrick Gourlay, Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 119-1 | 2012, 157-188.

 

Visites présidentielles en Bretagne
Commenter cet article