Tournée en grande partie dans le Trégor, La Bataille du rail de René Clément est l’un des grands succès cinématographiques de la Libération. Il rend hommage aux cheminots dans la résistance et constitue l’un des chefs-d’œuvre du cinéma néoréaliste français. La scène réelle du déraillement d’un train allemand à Trégrom a particulièrement marqué les esprits.
Tourné sans vedettes ni grands moyens financiers, le film La Bataille du rail a cependant connu un véritable succès populaire indéniable, en France comme à l’étranger et a consacré René Clément comme l’un des meilleurs réalisateurs de l’après-guerre. En 1946, il obtient ainsi le prix de la mise en scène et le prix du jury à Cannes. Son film constitue un hommage émouvant à l’engagement des cheminots dans la Résistance et plusieurs de ces scènes ont été tournées en Bretagne, particulièrement dans le Trégor.
Résistance Fer
Fondée à la fin 1944, l’organisation Résistance Fer avait pour but de venir en aide aux cheminots et à leurs familles touchés par la répression allemande et de reconnaître leur action comme réseau à part entière des forces de l’intérieur. Dès les débuts de l’occupation, de nombreux cheminots multiplient en effet les actes de résistance à l’occupant. Créée par une loi de 1937, la SNCF rassemble en effet l’essentiel du réseau ferré français et, dans un pays vaincu et divisé en différentes zones, elle constitue encore l’un des rares services publics fonctionnant sur une grande partie du territoire (le département du Nord étant rattaché à la région de Bruxelles, l’Alsace-Lorraine au Reich, la Savoie et Nice à l’Italie). Petit à petit, les actes de résistance vont s’amplifier afin de désorganiser les transports de l’occupant.
Après la Libération, les dirigeants de Résistance Fer envisagent de réaliser un documentaire sur l’action des cheminots. Résistant lui-même, le chef opérateur Henri Alkan leur propose le nom de René Clément qui connaît déjà bien le monde du rail. Pendant plusieurs mois, en 1944 et 1945, ce dernier collecte des témoignages, mis en forme par l’écrivaine Colette Audry. Il fait des repérages un peu partout, notamment en Trégor.
René Clément entre en scène
René Clément réalise un premier documentaire qui suscite l’enthousiasme des commanditaires qui lui proposent d’en faire un long métrage. Une seconde partie, mieux scénarisée, doit évoquer l’action de la résistance pour ralentir les trains de ravitaillement allemands pendant la bataille de Normandie, principalement celui de douze trains protégé par un train blindé, le convoi Apfelken.
Les moyens sont limités, mais Résistance Fer lance la Coopérative générale du cinéma français qui récolte des fonds auprès des cheminots. La SNCF accepte de mettre ses moyens à disposition. Des pièces venant de tout l’Hexagone sont rassemblées à la gare Montparnasse et sont mis à disposition. De nombreuses gares sont mobilisées pour tourner des scènes qui doivent présenter une vision générale de la vie ferroviaire pendant l’Occupation. Ainsi, en ouverture du film, la voix annonce la gare de Chalons-sur-Saonne, mais c’est celle de Saint-Brieuc qui apparaît à l’écran.
René Clément choisit de filmer in situ, avec de nombreux figurants venus des cheminots, ce qui donne à son film un côté réaliste indéniable. Ainsi, les scènes de tir se sont à balles réelles, les munitions à blanc étant bien plus rares à l’époque que les vraies balles ! Du matériel allemand capturé est également employé. Un acteur, qui jouait le rôle d’un cheminot allemand, se souvient d’avoir du recevoir des coups assez sévères de la part de collègues qui n’avaient rien perdu de leur fougue à l’encontre de l’occupant…
Le déraillement de Trégrom
L’une des scènes les plus impressionnantes du film évoque le déraillement de l’un des douze trains de la bataille de Normandie. C’est la ligne Lannion-Plouaret qui est choisie pour la tourner. On effectue des travaux sur 200 mètres, à Trégrom, pour dévier le convoi vers la vallée du Léguer. Il faut préparer la voie, mais, pendant trois jours, la pluie empêche le tournage et les membres de l’équipe n’ont droit qu’à un seul essai. Et pour cause ! La scène est finalement tournée en conditions réelles. Le train arrive à plus de 70 km/h et déraille, projetant dans la campagne trégorroise ses wagons et des chars allemands qui sont réellement détruits. Aucun trucage donc, dans cette séquence qui fait de La Bataille du rail l’un des chefs d’œuvre du cinéma réaliste de l’après guerre.
Accident à Lannion
Dans ces conditions, le tournage ne se fait pas sans frayeurs… Un wagon transportant un camion et du matériel de tournage se détache ainsi du convoi principal de l’équipe. Il accélère tout seul et franchit sept passages à niveau non fermés. Les cheminots de Lannion ne parviennent pas à le ralentir et il finit par se fracasser sur un butoir de la gare, puis atterrit sur la place du marché de Lannion, ne provoquant, par miracle, aucun blessé !
En Bretagne comme ailleurs, La Bataille du rail provoque une énorme fierté chez les cheminots et attire le public en masse, malgré la tiédeur de certaines salles à le programmer. La critique, de tous bords, est unanime, même à l’international où l’œuvre de René Clément remporte un beau succès, tant aux Etats-Unis qu’en URSS, où elle sera le seul film français programmé de 1947 à 1954…
René Clément
C’est à 32 ans que René Clément se voit proposer la réalisation de la Bataille du rail. Sympathisant de la Résistance, il connaît bien le milieu des cheminots pour avoir réalisé Triage en 1940 et Ceux du rail en 1942. Etudiant en architecture, il avait bifurqué, dans les années 1930, vers le cinéma. Il se lie alors d’amitiés avec Jacques Tati et réalise des documentaires, notamment au Yémen. La Bataille du rail est son premier succès et le consacre comme l’un des meilleurs tenants du cinéma néoréaliste français. Il tourne ensuite avec diverses célébrités, comme Jean Cocteau et Jean Marais pour La Belle et la Bête. On lui doit plusieurs grands films dont Jeux interdits en 1952 et Barrage contre le Pacifique, en 1958, inspiré du roman de Margueritte Yourcenar, avec Simone Signoret, une actrice qu’il fait à nouveau tourner, en 1966, avec Yves Montand, dans un nouveau film consacré à la Seconde Guerre mondiale : Paris brûle-t-il.