Durant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs réseaux d’évasions de pilotes alliés ou d’agents secrets se mettent en place sur la côte nord de la Bretagne. L’un des principaux passait par Plouha et l’anse Cochat, devenue la plage Bonaparte. Plus d’une centaine d’aviateurs sont parvenus à échapper aux nazis en passant par ce coin du Goëlo.
Durant la Seconde Guerre mondiale, l’aviation s’affirme comme une arme tactique majeure. Après leur victoire in extremis de leur aviation durant la bataille d’Angleterre, en mai 1941, les Britanniques ne vont avoir de cesse d’accroitre leurs capacités aériennes, bientôt renforcés par celles des Américains. A partir de 1942, les Alliés multiplient les raids aériens sur l’Allemagne et les territoires occupés afin de tenter de briser son potentiel industriel. Mais les pertes sont importantes, particulièrement pour les avions de l’US Air force qui bombardent de jour. De nombreux aviateurs parviennent heureusement à sauver leurs vies en sautant en parachute.
Réseaux d’évasion
Peu à peu se mettent en place des réseaux d’évasion pour les aviateurs survivants, particulièrement ceux abattus au-dessus de la France et de la Belgique. Du moins, ceux qui parviennent à entrer en contact avec la Résistance ou qui sont cachés par la population locale. Leur exfiltration devient un enjeu de taille pour les Alliés, sachant que la formation d’un pilote de l’époque revient à 40 000 dollars et nécessite une longue période d’apprentissage.
Plusieurs réseaux d’évasion vont donc se constituer pour permettre aux aviateurs de traverser les Pyrénées ou la Manche. C’est dans ce cadre que se monte le réseau Shelburn, en Bretagne, l’un des plus efficaces. Il tire son nom d’un homme politique du XVIIIe siècle, William Petty Fitzmaurice, comte de Shelburn, qui est aussi le nom d’une petite ville canadienne. Ce sont en effet deux Québécois, Lucien Dumais et son radio Raymond Labrosse, qui vont constituer l’ossature du réseau avec un policier parisien, Campinchi. Ce dernier fournit la logistique et s’occupe des faux-papiers des aviateurs. Il structure aussi le réseau d’évacuation avec les deux Canadiens qui assurent les liaisons avec Londres depuis leur arrivée en France occupée en novembre 1943.
La plage Bonaparte
En contact avec le docteur Le Balc’h de Plouëzec, les deux Canadiens choisissent la Bretagne et l’anche Cochat, à Plouha, dans le Goëlo, pour y mener des opérations particulièrement périlleuses. Huit départs auront lieu de janvier à août 1944, permettant le rapatriement de 135 aviateurs et de sept agents. Ils sont acheminés depuis Paris jusqu’aux gares de Saint-Brieuc, Châtelaudren ou Guingamp, puis cachés chez des civils jusqu’au jour de l’exfiltration.
Cette dernière se fait donc par l’anche Cochat, à Plouha, dont le nom de code va devenir célèbre : Bonaparte. Lorsque Radio Londres annonce « Bonjour à tous dans la maison d’Alphonse », les pilotes sont acheminés jusqu’à la résidence de Jean et Marie Gicquel, la fameuse « maison d’Alphonse », à quelques centaines de mètres de la grève. Il faut ensuite parcourir plus d’un kilomètre, sur un chemin sinueux, parfois miné et échapper aux patrouilles allemandes. Le tout dans l’obscurité, les nuits sans lune étant bien entendu privilégiées. A la dernière minute, ils descendent sur les fesses les derniers mètres jusqu’à la plage. Où les attendent des barques qui les convoient jusqu’à une vedette rapide, à quelques centaines de mètres du rivage.
« Les vrais héros étaient les Bretons »
Les Britanniques utilisent des vedettes rapides et silencieuses de type MGB, d’une longueur de 5 mètres et puissamment armées dans le cadre de la flottille Helford, en partie basée à Falmouth en Cornouailles. Il leur faut quelques heures pour traverser la Manche. Le développement de cette flottille doit beaucoup à un marin breton, Pierre Guillet, recruté par les services secrets pour sa grande connaissance du littoral breton.
Parmi les membres de cette flottille se détache la figure d’un navigateur anglais, à la personnalité plutôt romantique et originale : David Birkin. Il a accompli plusieurs missions pour Shelburn. « Mon père disait que les vrais héros étaient les Bretons, qui étaient extrêmement courageux et ne refusaient jamais de donner abri à des aviateurs anglais en dépit du danger qu'ils encouraient », déclarait Jane Birkin en 1989. L’historien de la Seconde Guerre mondiale, Roger Uguen, pointe, quant à lui, les failles de la défense allemande : « Des pilotes de la corvette m'ont raconté des anecdotes extraordinaires. Ils se souvenaient avoir distingué du bateau le rougeoiement des cigarettes des Allemands sur la falaise. C'était plutôt des Russes blancs enrôlés par les Allemands, des hommes qui ne connaissaient pas la mer. En effet, en arrivant, la corvette ne faisait pas de bruit mais elle "soulevait" parfois une nuée de mouettes. Ils auraient dû le remarquer. »
La fin du réseau
Après avoir embarqué les pilotes, les passeurs du réseau Shelburn réceptionnaient des caisses d’armes, d’argent et de matériel radio qu’il fallait remonter au-delà de falaises qui figurent parmi les plus hautes de Bretagne. Il leur fallait également effacer les traces de leur passage. En juillet 1944, les Allemands ont cependant des doutes. Le 24 juillet, ils rasent au lance-flammes la maison d’Alphonse. Avertis, ses propriétaires ont eu le temps de fuir, tandis que les chars du général Patton n’allaient pas tarder à foncer sur la pointe Bretagne après la percée d’Avranches.
La plage Bonaparte à Plouha
Contrairement à ce que chantait Botrel, Paimpol ne possède pas de falaise, mais on peut trouver les plus hautes de Bretagne à quelques kilomètres, à Plouha. Outre, l’étonnant port médiéval de Gwin Zegal, la commune du Goëlo a mis en valeur l’histoire du réseau Shelburn à partir d’un parcours interactif qui relate les extraordinaires risques pris, en 1944, pour faire évader 142 personnes via l’anche Cochat, désormais rebaptisée plage Bonaparte. La visite débute par la chapelle Saint-Samson, près de l’ancienne « maison d’Alphonse », détruite par les Allemands. A travers champs, on rejoint la stèle au sommet de la falaise, à plus de cent mètres de hauteur, avant de redescendre vers la plage et la petite maison qui en surveille les accès. On imagine sans peine le stress des pilotes et des résistants, marchant en se tenant les uns les autres, empruntant les ruisseaux pour échapper aux mines et aux chiens, jusqu’à la grève… On rejoint ensuite la pointe de la Tour à la forme de crocodile. Une belle balade entre mémoire et contemplation de paysages exceptionnels.
A lire
Eric Rondel, Le Réseau Shelburn, Sables-d’Or-les-Pins, Astoure, 2015.
Roger Uguen, Par les nuits les plus longues, Spézet, Coop Breizh, 2008.
A consulter, le site http://cotesdarmor.fr/no_cache/detail_des_actualites/article/shelburn-lincroyable-histoire.html, où se trouve le travail de collectage de témoignages menés par Claude Benec’h auprès des témoins de cet incroyable aventure.