L'excellent festival Empreintes d'artistes qui démarre en centre Bretagne m'a invité pour une conférence sur le pays de Galles (Bro gozh hon tadoù kozh...) et particulièrement les Mabinogion, ces contes légendaires médiévaux, très imprégnés par la mythologie antique, qui constituent l'un des trésors culturels de ce petit pays au fort caractère.
En illustration, une superbe oeuvre d'Hervé Gicquel avec qui je travaille sur une adaptation illustrée de ce monument de la littérature celtique européenne.
Conférence samedi 5 août, à 20 heures, à la salle polyvalente de Plélauff.
Aux origines de la culture européenne
À partir du Ve siècle avant notre ère, une vaste civilisation commence à s’étendre à travers l’Europe : les Celtes du second âge du Fer. Cette expansion prend de multiples formes : conquête militaire, mercenariat, agglomération et acculturation de peuples divers. À leur apogée, les Celtes contrôlent des territoires allant de la Cappadoce aux îles Britanniques, de la péninsule Ibérique au bassin du Danube.
Loin d’être un empire unifié, la civilisation celtique est polycentrique, avec de nombreuses composantes ethniques, linguistiques et religieuses. En 390 avant notre ère, les Gaulois saccagent et s’emparent de Rome, mais au cours des siècles suivant, les Romains leur rendent chèrement la monnaie de leur pièce, conquérant peu à peu la majeure partie de la Celtie. Malgré les conquêtes romaines, la culture celtique se maintient dans quelques régions d’Extrême-Occident : l’Irlande et l’Écosse, jamais soumises à Rome ; l’île de Man ; le pays de Galles ; la Bretagne et la Cornouailles. Des territoires où des langues celtiques ont été conservées jusqu’à nos jours.
À la fin de l’Antiquité, ces pays se christianisent, mais la nouvelle religion y prend des aspects singuliers et récupère un certain nombre de pratiques et de symboles païens, en témoigne la croix celtique qui associe le symbole de la passion du Christ au cercle solaire de la déesse Ana. Alors que les druides refusaient l’écriture dans les monastères, on commence à retranscrire les vieilles épopées et les grands mythes celtes. C’est grâce aux moines que nous est parvenue, sous un vernis chrétien, une petite partie de la riche littérature celtique archaïque, transmise également par voie orale grâce aux bardes, de générations en générations. Retranscrits dans des monastères gallois assez tardivement, les Mabinogion, dont l’origine est antique, ont dû être récités par plusieurs générations d’aèdes occidentaux avant d’être figés sur le vélin du Livre blanc de Rhydderch ou du Livre rouge de Hergest.
À l’instar des grands récits gaéliques, Les Quatre branches du Mabinogi constituent un témoignage essentiel sur la pensée et la richesse de la civilisation celtique ancienne. Ils croisent une autre tradition littéraire médiévale, les récits arthuriens dont la source se trouve également chez les Bretons insulaires et continentaux.
Les textes du Mabinogi, dans les versions que nous possédons, ont été retranscrits au XIVe siècle, mais il est incontestable qu’ils remontent à un âge bien plus ancien, probablement au début du Moyen Âge et dans l’Antiquité celtique à laquelle ils empruntent plusieurs figures mythologiques. Pendant des siècles, ils ont été récités par des générations de bardes, ont évolué avant d’être figés sur le parchemin.
Ces Quatre branches du Mabinogi (certainement une référence au dieu Mabon que l’on retrouve dans d’autres récits gallois) nous plongent dans une société archaïque dont bien des aspects peuvent nous apparaître étranges aujourd’hui, mais dont les codes étaient familiers aux Gallois des temps anciens. La société est alors divisée en trois grandes classes (religieuse, guerrière, productive) et dirigée par des souverains soumis à des interdits et des obligations complexes. Chacune des branches du Mabinogi se rapportent ainsi à ces grands corps sociaux.
Le premier récit, celui de Pwyll, fait référence aux fondements de la royauté, aux questions de souveraineté et aux qualités requises pour régner, notamment celle du sens de la justice et de la loyauté dont fait preuve Pwyll lorsqu’il échange son royaume avec Arawn, prince de l’Autre Monde. Par la suite, il se marie avec Riannon, déesse de la souveraineté, et dont la jument est l’attribut (la déesse gauloise Épona semble son pendant continental).
Le second récit met en lumière les liens, parfois conflictuels, entre l’Irlande et l’île de Bretagne, surnommée ici « l’île des Forts ». La guerre est omniprésente dans cette branche du Mabinogi qui traite de la classe combattante. La société celtique est en effet dominée par une aristocratie guerrière, qui se met en valeur lors des nombreuses guerres et razzias, qui la caractérise. Deux de ses personnages centraux sont le géant Bran et la princesse Branwenn, termes signifiant respectivement « corbeau » et « corbeau blanc » dans les langues brittoniques. Or, cet animal est associé à la guerre et aux champs de bataille. C’est l’animal fétiche de la Morrigane, une divinité guerrière irlandaise.
La troisième branche évoque la classe des artisans et des paysans dont le rôle est de produire pour l’ensemble de la société. Certaines activités possédaient un statut très élevé, comme le métier de forgeron. Le personnage central du récit est le dieu polytechnicien, aux nombreux métiers, Manawydan, fils de Lyr. On le retrouve dans la mythologie irlandaise sous le nom de Manannan Mac Lyr, frères des dieux Dagda et Ogma. Il a donné son nom à l’un des pays celtiques : l’île de Man.
Enfin, la quatrième branche, celle de Math, met en scène plusieurs magiciens, héritier de la classe sacerdotale des druides et des bardes. Gwydion est une figure du prêtre, omniscient et plein de pouvoirs magiques, qui se doit d’initier son neveu Llew.
Trésor de la littérature archaïque et témoin de la richesse culturelle des sociétés celtiques anciennes, Les Quatre branches du Mabinogi continuent à nous enchanter par leur sens du merveilleux. À travers cette version, légèrement remaniée pour être plus compréhensible par un lecteur du xxie siècle, ces récits retrouvent une nouvelle jeunesse grâce au dessin plein de souffle épique d’Hervé Gicquel.
Si cet ouvrage porte une ambition, c’est celle de s’inscrire dans cette longue chaîne de transmission des bardes de l’Antiquité aux érudits romantiques du xixe siècle, en passant par les moines du Moyen Âge et les milliers de conteurs populaires. Une chaîne vieille de plusieurs siècles qui a permis, de génération en génération, de transmettre ces vieux récits tout en les adaptant à leur époque.
Voici l'introduction du projet :