L’empoisonnement de plusieurs lots de poudre Baumol, un talc pour les bébés, fait près de 500 victimes, dont une centaine de décès en 1952. Avec le Sud-Ouest, la Bretagne est essentiellement touchée par ce scandale sanitaire mêlant négligence criminelle du laboratoire, affaire d’Etat, articles de presse plus ou moins sensationnalistes.
« Première catastrophe sanitaire française » de l’après-guerre, selon Annick Le Douget qui vient de lui consacrer une enquête très rigoureuse et fouillée, l’affaire Baumol se solde par un bilan effroyable. En quelques mois, les poudres empoisonnées ont fait près de 500 victimes chez des nourrissons, dont 103 sont décédées. La majeure partie d’entre elle sont localisées en Bretagne, les lots dangereux ayant été distribué dans la région.
Commercialisée depuis 1914, la poudre Baumol a une très bonne réputation en début des années 1950. A cette époque et jusqu’aux années 1970, il est en effet de coutume de talquer les nourrissons, avant que cette pratique ne tombe en désuétude et soit désormais fortement déconseillée. De plus, la poudre Baumol est une « spécialité », c’est-à-dire un produit vendu en pharmacie, mais préparé dans un laboratoire contrôlé et conditionné de manière spécifique, avec des recharges de 500 à 250 grammes. De quoi inspirer confiance.
Douleurs effroyables
A la fin de l’année 1951, les nourrissons en Bretagne comment à être touchés par une curieuse épidémie, avec un premier décès constaté, le 3 janvier 1952, dans le pays Bigouden. A chaque fois, les parents constatent l’apparition de rougeurs sur les fesses, l’aine ou le bas ventre, avant que n’arrivent des boutons à pointes blanches, ces dernières ne cessant de grossir jusqu’à la taille de petits pois. Des cloques se forment ensuite, laissant place en éclatant à des trous dans les chairs rongées parfois jusqu’à l’os. Le tout accompagné de fièvres et de spasmes. L’agonie des bébés est terrible, leurs souffrances effroyables… pour le plus grand désarroi des parents et des médecins.
Ces derniers sont perplexes devant la multiplication des cas. Dès février-mars, les soupçons se font de plus en plus forts concernant la poudre Baumol. Constatant une vive réaction des bambins, certains parents sauvent d’ailleurs leur enfant en cessant de l’utiliser. Le 8 juillet, trois médecins bigoudens alerte les services départementaux de la Santé, dont la directrice par intérim ne tient pas compte de leurs remarques. A la même période, nombre de pharmaciens du sud Finistère refusent de vendre la poudre Baumol. Dans le pays Bigouden, la rumeur populaire s’amplifie contre la poudre empoisonnée ; sauvant ainsi de nombreux enfants.
De l’arsenic dans le talc !
En octobre 1952, Jean Hurault, inspecteur des pharmacies à Rennes, prend conscience de la gravité des faits et entreprend une tournée dans le Finistère. Consterné par ce qu’il découvre et l’incurie des services départementaux, il ordonne des analyses. Stupeur : certaines boites de poudre Baumol contiennent 1 % d’arsenic ! Dans les temps qui suivent, le ministère ordonne le retrait du produit, mais recommande la plus grande discrétion pour éviter la panique.
Une discrétion qui peut se révéler mortelle, certaines familles continuant à utiliser la poudre faute d’information. Certains fonctionnaires, comme les préfets du Finistère et des Côtes d’Armor choisissent d’ailleurs d’avertir l’opinion publique qui commence à penser que le ministère veut étouffer l’affaire. Mais c’est surtout la presse qui va jouer un rôle fondamental. Les journalistes régionaux font leurs propres enquêtes qui permettent de prendre conscience de l’ampleur du scandale et du nombre de victimes. Ils font surtout passe l’information que la poudre Baumol peut être empoisonnée.
Enquête édifiante
Bien souvent, les reporters ont de l’avance sur la police, mais cette dernière va faire un travail remarquable en Bretagne, la région la plus touchée. Sous la direction du commissaire Riquet, une équipe d’enquêteurs parcourt la péninsule et dépose plus de 500 PV.
L’autre volet de l’enquête concerne les laboratoires Daney à Bordeaux, qui fabriquent la poudre Baumol. La police découvre que 7,5 kg d’anhydride arsénieux ont été substitué à de l’oxyde de zinc, ce qui a provoqué la toxicité du produit. Or, le directeur Jacques Cazenave n’a pas fait faire les analyses requises. Pire, il a falsifié certains documents… Les policiers sont stupéfaits lorsqu’ils se rendent chez son fournisseur les établissements Jarach. Produits dangereux ou non y sont stockés côte à côte dans un véritable capharnaüm… De nombreuses substances ne sont pas étiquetées et on finit par découvrir deux barils d’arsenic, sans aucune indication sur leur dangerosité !
Procès frustrant
L’enquête ne permet pas d’établir la responsabilité du fournisseur. Il semble que ce dernier ou le livreur des laboratoires Daney s’est trompé et a échangé les produits. De l’arsenic a donc été incorporé à la poudre Baumol, causant la mort d’une centaine de bébés et de graves traumatismes à 400 d’entre eux.
Le procès n’aura lieu qu’en 1959 et à Bordeaux, alors la grande majorité des victimes réside en Bretagne. De nombreuses familles refusent d’ailleurs de s’associer à la plainte, ne voulant pas que leur enfant soit inhumé et autopsié. Les assureurs tenteront également d’obtenir des accords séparés. Finalement, Jacques Cazenave, directeur des laboratoires Daney est condamné à 18 mois de prison avec sursis et 200 000 anciens francs d’amende. Des dizaines d’enfants, devenus aujourd’hui adultes, ont vécu avec des problèmes de santé grave en raison de leur exposition à la poudre Baumol.
A lire :
Annick Le Douget, Enquête sur le scandale de la poudre Baumol (1951-1959), la première catastrophe sanitaire française, Le Douget éditions, Fouesnant, 2016.