C’est un foeter-bro, un vagabond céleste qui a traversé le XXe siècle et l’océan, emportant avec lui sa culture et sa langue. Poète sensible, ami de Kerouac, chanteur, conteur à l’humour ravageur et sculpteur, le « Grand Youenn » était revenu s’installer dans les monts d’Arrée après avoir vécu aux Etats-Unis.
Voyageur, poète et surtout sculpteur, Youenn Gwernig demeure sans conteste l’un des artistes bretons les plus attachants du XXe siècle. Il est né en 1925, dans une famille baignée de culture bretonne. Ancien combattant, son père milite au Parti national breton et défend avec conviction la langue bretonne. A treize ans, le jeune Youenn s’initie à la bombarde, puis à la cornemuse, dont il acquiert un curieux modèle à deux bourdons auprès d’Hervé Le Menn, pendant la guerre. Puis, il achète un biniou braz auprès d’un Ecossais qui en trafiquait depuis Jersey et ne voulait pas payer de taxes douanières.
Youenn Gwernig anime des fêtes et de mariages à la fin des années 1940, lorsqu’il fait la connaissance d’un autre sonneur qui n’a rien à lui envier question carrure : Polig Montjarret. Les deux hommes deviennent amis et partent dans des bordées homériques. En 1950, Youenn Gwernig rejoint le tout nouveau bagad Kemper et, selon une légende urbaine, serait l’un des créateurs du triomphe des sonneurs.
New York, New York…
En ce début des années 1950, Youenn Gwernig supporte cependant de plus en plus mal la situation de son pays. La langue qui s’en va, l’industrialisation des campagnes, les guerres coloniales qui n’en finissent pas, l’apathie des Bretons… Il décide donc de quitter le vieux monde et de traverser l’Atlantique. En 1957, il s’installe à New York. La diaspora bretonne est alors dynamique, avec ses bars, ses festoù-noz et son équipe de football.
Il fréquente beaucoup les Irlando-américains, mais également toutes les minorités qui constituent le melting-pot nord-américain. Dans La Grande tribu, récit burlesque et jubilatoire paru en 1982 chez Grasset, il entraîne le lecteur dans une gigantesque bringue à travers un surprenant New York multiculturel.
A New York, Youenn Gwernig devient sculpteur dans des usines de fabrication de meubles. Il en avait appris les techniques aux beaux-arts de Nantes. Il lit beaucoup, notamment des livres et des revues en breton comme Al Liam, à laquelle il envoie régulièrement des poèmes, mais aussi des auteurs américains et particulièrement les écrivains de la Beat Generation, dont le fer de lance est un certain Jack Kerouac.
Retour au pays
En juillet 1969, Youenn Gwernig revient s’installer dans les monts d’Arrée. Le pays a bien changé depuis son départ. En ce debut des années 1970, il connaît un revival culturel intense, mené par des musiciens comme Stivell, Servat ou Glenmor. En 1971, Yann Goasdoué et Yannick Baron l’invitent au centre culturel de Menez Kam, à Spézet. Il doit parler d’Amérique, mais il préfère faire un concert dans un style qui est le sien : musique country et paroles en breton… Le succès est au rendez-vous. Youenn Gwernig enregistre par la suite plusieurs disques avec ses filles et des musiciens comme Patrick Ewen ou les frères Quefféléant
Youenn Gwernig s’engage également dans le combat culturel. Pour protester contre l’indigence des programmes en breton à la télévision – dans les années 1970, les spectateurs n’ont droit qu’à quelques minutes par semaine –, il refuse de payer la redevance audiovisuelle. Un comité de soutien est monté, d’autres militants suivent le mouvement et il se permet même le luxe de gagner son procès contre les impôts. Cet épisode lui ouvre les portes de la télévision régionale après l’alternance de 1981. Le voilà bombardé directeur des programmes en breton jusqu’à sa retraite en 1990.
Youenn Gwernig est décédé en 2006. Il laisse une œuvre poétique importante, quelques albums de chansons et le souvenir d’un homme convivial et chaleureux qui avait contribué à décomplexer les Bretons, à leur montrer les richesses populaires de leur culture, en restant à la fois enraciné et universel.
L’amitié avec Kerouac
Installé à New York, Youenn Gwernig lit beaucoup, notamment les auteurs contemporains qui sont en train de révolutionner la littérature américaine, regroupés au sein de la Beat Generation. On y retrouve un certain Jack Kerouac. Interviewé en 2002, Youenn Gwernig se souvenait avoir été intrigué par ce nom à consonance bretonne. « En lisant Satory à Paris, j’ai compris combien il recherchait ses racines ». Il lui écrit. Ils se rencontrent chez Kerouac, à Ellis dans le Connecticut. « Il avait un sacré accent franco-canadien. Il m’a proposé de boire quelque chose. Il n’avait pas de café, alors il a ouvert une bouteille de whisky. Cela a été un peu dur d’avaler de l’alcool à 8 heures du matin ! Ce fut cependant un week-end extraordinaire durant lequel nous n’avons pas arrêté de causer. » Ils se revoient et s’écrivent jusqu’à la mort de Kerouac, quelques mois plus tard, en septembre 1969. Une généalogiste a depuis retrouvé trace de l’ancêtre breton de Jack Kerouac ayant traversé le premier l’Atlantique. Coïncidence, il était originaire de Huelgoat, non loin de là où Youenn Gwernig viendra s’installer. Un récent livre du photographe René Tanguy et d’Annaïg Baillard, Sad paradise, a mis en valeur la correspondance entre les deux hommes.