Epuisée par les grossesses et les drames, Anne de Bretagne s’éteint début janvier 1514. Ses funérailles durent trente-neuf jours et demeurent parmi les plus grandioses et les plus couteuses des souverains français.
En ce début d’année 1514, la reine de France se meurt, épuisée par une quinzaine de grossesses en vingt ans. Seules deux de ses enfants, Claude et Renée, ont survécu. Son mari, Louis XII, est absent. Il est allé combattre les Anglais et Maximilien d’Autriche dans le nord du royaume, après avoir été expulsé d’Italie. Un véritable lien d’affection unit cependant la duchesse souveraine de Bretagne, deux fois reine de France, et Louis d’Orléans qui a d’ailleurs combattu en 1487, à Saint-Aubin-du-Cormier, dans l’armée du duc François II contre les Français.
Anne de Bretagne décède le 9 janvier, vers 6 heures du matin, dans la chambre du donjon de Blois, alors résidence des souverains français. Ses obsèques vont durer trente-neuf jours. Dans une étude monumentale, Jacques Santrot a étudié cet évènement politique, symbolique et culturel sans précédent. Nous disposons de nombreux documents sur ces obsèques qui restent exceptionnelles par leur coût, sans doute l’un des plus importants de l’histoire de France, c’est-à-dire entre 44000 et 60000 livres de l’époque. La principale dépense concerne les bougies et les cierges. Pour Anne de Bretagne, on brûle en effet des tonnes de cire….
Embaumement royal
Après son trépas, la reine est soumise à une toilette mortuaire et aux différentes étapes de son embaumement. La dépouille est ainsi éviscérée et plusieurs organes, parmi les plus rapidement dégradable, sont prélevés. Conformément au souhait d’Anne, le cœur est également mis à part, afin qu’il soit ramené à Nantes. Au sixième jour, la reine est transférée dans la salle d’honneur de Blois, en habit d’apparat. Pendant plusieurs jours, tous les grands du royaume viennent lui rendre hommage.
Ce n’est que le 17 janvier que le corps est placé dans son cercueil de plomb, afin que la royale dépouille ne soit transférée jusqu’à la nécropole royale de Saint-Denis. Plusieurs centaines d’offices religieux sont donnés pendant 74 jours. Selon Jacques Santrot, « cette inflation de messes est due à la hantise du salut individuel et à une croyance de plus en plus forte au purgatoire ».
Cortège impressionnant
Le 18 janvier, Près de 1700 pleurants accompagnent Anne de Bretagne jusqu’à la collégiale Saint-Sauveur de Blois, suivis des grands du royaume et des officiers de la reine. Le cortège qui s’ébranle ensuite vers Paris est grandiose, avec un absent de marque, le roi. Malgré son attachement réel à son épouse, comme ses prédécesseurs depuis le XIVe siècle, il ne peut plus assister à des obsèques afin de protéger son intégrité physique.
Tout au long du parcours, les officiers bretons sont particulièrement mis en valeur. Il s’agit d’un acte politique et symbolique, afin de consolider le processus d’union du duché au royaume. D’autant que cette union est loin d’être acquise en cas de remariage du roi et de naissance d’un héritier mâle. Les Anglais ne s’y tromperont pas en envoyant une jeune et fougueuse princesse épouser Louis XII, mais ce dernier décède avant de lui donner un enfant…
Le convoi mortuaire d’Anne de Bretagne quitte Blois et remonte vers le nord. Chaque soir, des cités l’accueillent, à leurs frais. Les cérémonies les plus fastueuses ont lieu le 14 février, lorsque la dépouille royale entre dans Paris et fait une station à Notre-Dame. Entre douze et treize mille personnes se pressent sur le trajet.
Le 16 janvier, Anne de Bretagne arrive enfin à Saint-Denis, dans la nécropole des rois de France. Par la suite, son gendre, François Ier, fera réaliser un tombeau monumental en son honneur et celui de Louis XII. Ses funérailles, exceptionnelles, ont duré 39 jours. Leur faste et leur symbolique illustrent la volonté de la couronne française de favoriser le processus d’annexion d’une principauté alors prospère, dont l’importante flotte maritime allait constituer un atout certain. Quant à Anne de Bretagne, elle devient désormais l’un des grands personnages de l’histoire de France.
Un cœur à Nantes
Avant son décès, Anne de Bretagne avait émis le souhait que son cœur soit enterré à Nantes, « en son pays et duché de Bretagne ». Pour accueillir la relique royale, deux orfèvres de Blois, Pierre Mangot et François Jacques réalisent un petit chef-d’œuvre artistique en moins de quinze jours. Ce « vaisseau d’or » constitue encore aujourd’hui l’une des pièces principales des collections du musée Dobrée à Nantes. Escorté par Philippe de Montauban, fidèle parmi les fidèles de la duchesse Anne et chancelier de Bretagne, le cœur arrive à Nantes par bateau, le 13 mars. Plusieurs cérémonies sont organisées dans la capitale du duché.
Interview : Jacques Santrot : « le symbole d’une relation mystique entre sa souveraine et son peuple »
Pourquoi une telle recherche ?
Depuis 18 ans, l’équipe du musée départemental Dobrée, à Nantes, travaillait d’arrache-pied, en accord avec sa tutelle et les services de l’Etat, pour concevoir un projet ambitieux et brillant de rénovation fondamentale de l’établissement, fondée sur la recherche. En quittant prématurément l’établissement au gré des choix politiques, j’en avais « gros sur le cœur », au propre et au figuré. J’avais accumulé des informations mais encore plus de questions sur le coffret funéraire du cœur d’Anne de Bretagne, le chef d’œuvre ultime des collections historiques du musée ; il n’avait guère suscité de recherches depuis sa première étude, il y a 136 ans (1881)… À tort ou à raison, le public breton, pour qui Anne est toujours restée duchesse, considère ce fragile monument comme le symbole d’une relation mystique entre sa souveraine, son peuple et son territoire. Pour comprendre cet objet et le pourquoi de sa création, il fallait en faire l’analyse approfondie en relation avec son contexte : j’ai patiemment transcrit et interprété des manuscrits de 1514, bien connus mais souvent inédits ou peu exploités comme le compte des dépenses du trésorier de la reine et celui du miseur des bourgeois de Nantes. Ces informations de première main offrent un regard nouveau sur le cœur d’or et les funérailles de la reine, celles de son corps, dans la nécropole royale de Saint-Denis, celles de son cœur en la chapelle des Carmes de Nantes, et celles de ses entrailles, probablement dans la chapelle Saint-Calais du château de Blois où la reine est décédée.
Vous avez effectué un travail impressionnant sur les proches d’Anne de Bretagne. En quoi ce « petit monde » nous renseigne-t-il sur la reine ?
J’ai cherché à comprendre la société qui a vu naître le « cœur » d’Anne de Bretagne. La fonction des participants aux obsèques, leur rang dans les convois funèbres, leurs gages annuels ou la longueur et la qualité du tissu qui leur fut donné pour faire confectionner leur costume de deuil, offrent un panorama passionnant des proches de la reine et du gouvernement de la France. 23 ans après avoir quitté son duché, la reine Anne avait maintenu actifs ses réseaux bretons, majoritaires autour d’elle, habilement mêlés à ceux de la noblesse et de l’administration du royaume. Pierre Choque, dit Bretagne, roi d’armes et premier héraut de la reine, montre tout au long de son récit que les officiers bretons de la reine sont des acteurs privilégiés de ses funérailles et rivalisent de préséance avec les officiers du roi.
Comment expliquer encore aujourd'hui la notoriété d'Anne de Bretagne.
Duchesse souveraine considérée comme « la plus grosse terrienne » par la richesse de son duché, et seule princesse à avoir été deux fois reine de France, Anne fut aimée de Louis XII et lui était attachée. L’exemplarité de cette relation conjugale est exceptionnelle. Mais c'est à sa personnalité et à sa droiture que la reine Anne dût l'estime générale : « Juste et loyal me fut, et telle, je luy fuz », lui fait dire Pierre Choque, son roi d’armes. Cette loyauté mutuelle était peu fréquente chez les grands dont les mariages étaient principalement politiques et financiers. Anne fut dévote, aussi, et respectueuse des préceptes de l'Église de Rome quand surgissaient les prémices de la Réforme. Bien après sa mort, la reine et duchesse sera jugée « toujours plus bretonne que française » mais malgré son souci de maintenir, puis de rétablir l'indépendance de la Bretagne, les historiens s'accordent à reconnaître sa loyauté politique au roi son mari. Aussi eut-il à cœur d'honorer cette femme exceptionnelle, « pieuse, chaste et fidèle à son époux », par des funérailles fastueuses, inédites pour une reine et bien de nature à soutenir l'empathie populaire et à conforter le lien entre une nation en formation – y compris les Bretons – et son roi.
A lire
Santrot, Jaques, Les Doubles funérailles d’Anne de Bretagne, le corps et le cœur (janvier-mars 1514), Droz, Genève, à paraître.
Toute l’Histoire de Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix, 2012.
Jean Kerhervé, L'État breton aux XIVe et XVe siècles. Les ducs, l'argent et les hommes, Maloine, Paris, 1987.