L’histoire des amours de Tristan et Iseut constitue l’un des plus grands mythes universels et remonte au haut Moyen Âge, lorsque les Bretons peuplaient les deux rives de la Manche. La figure complexe et multiple de la belle Iseut renvoie à la place des femmes dans les sociétés celtiques anciennes.
Le récit des amours de Tristan et Iseut (Isolde ou Essylt en gallois et breton) a passionné l’Europe et le monde entier depuis plusieurs siècles. Parallèlement aux premiers romans arthuriens, l’histoire de ces deux amants se développe particulièrement à partir du XIIe siècle. Elle s’inscrit dans ce que l’on nommé la Matière de Bretagne, un ensemble de récits plus ou moins légendaires, recueillis probablement auprès de bardes gallois ou bretons qui se les transmettaient de manière orale.
Mais la légende n’en possède pas moins quelques fondements historiques, en témoigne une pierre gravée au haut Moyen Âge, à Castel Dore, en Cornouailles britannique. Elle mentionne la tombe d’un certain « Drustanus », fils de « Conomore » et de sa compagne « Oussila ». Plusieurs spécialistes y ont vu une mention de Tristan et Iseut, tandis que « Conomore », un souverain breton célèbre pour ses méfaits, est aussi associé au roi Mark de Cornouaille.
L’histoire d’un grand amour
Seuls des textes fragmentaires nous sont parvenus du Moyen Âge. Ils évoquent Tristan, originaire de Bretagne armoricaine, un orphelin recueilli par son oncle, le roi Mark de Cornouailles, propriétaire du château de Tintagel. Comme les héros de son temps, Tristan se distingue par ses exploits. Il tue ainsi le géant Morholt qui, en retour, le blesse avec une épée empoisonnée. Tristan est ensuite soignée par Iseut la blonde, la resplendissante fille du roi d’Irlande. Revenu en Cornouaille, Mark lui annonce qu’il veut épouser, car un oiseau lui a apporté un cheveu de la belle. Il charge donc Tristan d’aller la chercher. Mais, entre l’Irlande et la Cornouaille, les deux jeunes boivent par accident un puissant filtre d’amour et tombe éperdument amoureux...
Leur passion est irrépressible. Le roi Mark l’apprend et les condamne au bucher. Mais les deux amants parviennent à s’enfuir et à se cacher dans la forêt de Morois. Quelque temps après, le roi Mark les retrouve, mais il est si ému par la force de leur amour, qu’il les épargne. Touchés, les deux jeunes gens décident de se séparer. Iseut revient à la cour de Cornouailles et Tristan prend le chemin de la petite Bretagne.
Iseut, une fille du Poher
Revenu au pays, Tristan livre plusieurs batailles. Il vient notamment au secours du comte de Poher, assiégé dans Carhaix par des Nantais. Il séduit et épouse alors la fille du comte, Iseut aux Blanches mains qui lui rappelle un peu son amour lointain. Mais il reçoit à nouveau une blessure empoisonnée et demande à son cousin Kaherdin d’aller chercher Iseut la Blonde, seule a-même de le sauver. Si elle accepte de revenir, la voile du navire sera blanche et Tristan gardera l’espoir de guérir.
Hélas, Iseut aux Blanches mains surprend la conversation. En proie à une crise de jalousie, lorsque le navire transportant sa rivale approche de la Bretagne armoricaine, elle ment à son époux et lui dit que la voile est noire. De désespoir, Tristan se laisse mourir. A peine débarquée, Iseut la blonde le rejoint, s’allonge à ses côtés et trépasse. Le roi Mark leur pardonne et ordonne qu’on les enterre côte à côte.
La jalousie d’Iseut aux blanches mains et les exploits de Tristan font connaître le Poher et le centre Bretagne dans tout l’Occident. L’ethnologue Alain Tanguy remarque, à propos de Carhaix, la capitale du Poher régulièrement évoquée dans ces récits, « la place privilégiée de la cité dans l’imaginaire culturel dans l’imaginaire culturel européen du Moyen Âge ». Non sans parfois quelque liberté avec la géographie, Carhaix étant souvent mentionné comme étant un port.
Statut de la femme
Au-delà de son histoire d’amour tragique, l’épopée d’Iseut nous renseigne sur le statut des femmes dans les sociétés celtiques archaïques. Elles y bénéficient de droits juridiques plus importants que dans le monde gréco-romain, notamment en matière de divorce. A l’instar des grandes reines bretonnes, gauloises ou irlandaises, Iseut est aussi une incarnation de la souveraineté. Une souveraineté qui doit être conquise par la force ou par l’amour et qui demeure une notion féminine pour ces peuples.
Récit universel, l’histoire de Tristan et Iseut illustre enfin les forts liens culturels entre ces Finistères du haut Moyen Âge, héritiers de traditions celtique comme du souvenir de l’Empire romain, particulièrement les relations entre les Bretons des deux côtés de la Manche qui se maintiendront pendant des siècles.
Les mystères de Douarnenez
Douarnenez, la « terre de l’île » en breton, semble intimement liée à la légende d’Iseut, particulièrement l’île Tristan. Cette dernière conserve des vestiges d’occupation remontant à l’âge du Fer. A la fin de l’époque romaine, elle a pu abriter une garnison romaine, protégeant un port actif où l’on a retrouvé des céramiques venant de fort loin en Europe et en Afrique du Nord, comme sur le site de Tintagel, de l’autre côté de la Manche. Douarnenez est aussi réputé pour sa falaise des Plomarc’h, l’une des résidences du fameux roi Marc’h aux oreilles de cheval, qu’on associe à Mark de Cornouailles ou à Conomor. Plus étonnant, en 1884, une sépulture de la fin de la période romaine a été découverte, rue Fontenelle. Elle contenait un cercueil recouvert d’un centimètre de plomb. A l’intérieur reposait les restes d’une riche jeune femme, avec des traces d’or sur des débris de vêtements. Elle avait été enterrée avec cinq longues et luxueuses épingles à cheveux, fabriquées à York, et deux gobelets en verre provenant du nord de la Gaule. Et si cette princesse avait été à l’origine du mythe de Tristan et Iseut se demandait le chercheur Bernard Tanguy ?
Pour en savoir plus :
Bédier Joseph, Le Roman de Tristan et Iseut, Folio, Paris, 2009.
Collectif, Carhaix, deux mille ans d’histoire, Coop Breizh, Spézet, 2016.
Bernard Tanguy, « Tristan de Léones et Iseut la Blonde, Douarnenez, le mystère de l’île », ArMen n°73, janvier 1996.