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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

1856. Les papeteries Vallée s’installent dans le Trégor

Publié le 6 Juin 2018 par ECLF in Histoire de Bretagne

1856. Les papeteries Vallée s’installent dans le Trégor

 

 

 

 

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la famille Vallée installe une usine de fabrication de papier à Belle-Isle-en-Terre et qui va faire vivre plusieurs centaines de personnes. Aujourd’hui réhabilité, le site témoigne d’un passé industriel breton parfois sous-estimé.

Inventé par les Chinois il y a deux millénaires, le papier a révolutionné la lecture et la diffusion des avoirs. Il est fabriqué à partir de fibres de cellulose, le principal composant des végétaux. Pour l’obtenir, ces derniers sont broyés pour obtenir une pâte à laquelle on ajoute de vieux chiffons, afin d’améliorer la résistance. Avec l’essor de l’imprimerie à la Renaissance, le papier devient une véritable industrie, parallèlement à l’amélioration du broyage des fibres dans les moulins spécialisés.

En Bretagne, les premiers moulins à papier remontent à la fin du Moyen Âge. Beaucoup se concentrent dans la région de Morlaix au début du XVIIe siècle. Une large partie de la production est alors exportée vers les îles Britanniques ou les Pays-Bas. Au début du XIXe siècle, la plupart des papeteries de la région de Morlaix appartient à la famille Andrieux, associée avec un notable local, Jean-François Vallée. Mais, en 1854, un désaccord entre les deux parties pousse Jean-François Vallée et ses fils à quitter la société et à chercher un nouveau site pour construire une usine.

 

Une aventure industrielle

Leur choix s’arrête sur Locmaria, à un kilomètre du bourg de Belle-Isle-en-Terre, dans le Trégor. Le Léguer peut y faire fonctionner les moulins à papier et la qualité de son eau est adaptée au blanchiment et à la composition des pâtes. De surcroît, il n’existe que peu de concurrence. La société « Vallée, ses fils et Cie » est créée en 1856 et elle mise très tôt sur l’innovation. Pour pallier aux carences en eau l’été, une machine à vapeur fournit ainsi de l’énergie en permanence.

La matière première est apportée par un réseau de chiffonniers, les pilahouers, basés dans les monts d’Arrée ou à la Roche-Derrien. Ils sillonnent les campagnes pour récupérer des pièces de textiles. Celles-ci sont ensuite lavées à l’usine, puis broyées et défibrées afin d’être transformées en pâte. La machine à papier fabrique ainsi 373 tonnes en 1860 et l’usine emploie près d’une centaine de salariés. L’ensemble de la fabrication est situé dans un vaste bâtiment de deux étages en bordure de bief. De nombreuses annexes sont ensuite construites au fur et à mesure que l’usine se développe avant la Première Guerre mondiale.

En 1907, le petit-fils du fondateur, Olivier Vallée, prend les rênes de l’entreprise. Ingénieur de formation, il redonne du sang neuf aux papeteries. Mobilisé en 1914, les autorités lui demandent trois ans plus tard de revenir à Belle-Isle pour produire du coton-poudre, utilisé comme amorce d’explosifs. Ces commandes militaires soutiennent l’activité de l’entreprise même après le conflit.

 

Un barrage des plus modernes

Après la Première Guerre mondiale, la croissance des papeteries est freinée par les besoins en énergie. En 1920, ses dirigeants font appel à des spécialistes pour construire un barrage à trois kilomètres en aval. Mis en service en 1922, le barrage de Kernansquillec est alors l’un des plus modernes d’Europe. Un bureau d’études franco-suisse a imaginé un ouvrage à voûte multiples, édifié par des cimentiers italiens et des artisans bretons. L’échelle à saumon a été réalisée par des Finlandais. Le barrage est source de fierté pour ce coin de Trégor qui est donc électrifié bien avant les régions environnantes.

Dans les années 1930, une nouvelle génération de Vallée continue à développer les activités des papeteries qui emploient désormais deux cents personnes. De nombreux logements ouvriers sont construits dans le bourg et les communes environnantes, afin de fidéliser la main-d’œuvre.

La Seconde Guerre mondiale marque cependant un coup d’arrêt pour les papèteries. Ouvriers et cadres ont été mobilisés et nombre d’entre eux se retrouvent prisonniers après la Débâcle. Il devient difficile de s’approvisionner en matière première, tandis que l’occupant réquisitionne une partie de la production. Après la guerre, qui a fortement éprouvé la famille Vallée, l’activité et les investissements redémarrent. Quatre mille tonnes sont produites annuellement, notamment des papiers et des fournitures scolaires qu’ont utilisés des milliers d’écoliers bretons.

 

Friche et reconquête environnementale

Néanmoins, les difficultés s’accumulent et le site de Locmaria ferme en 1965. Laissées à l’abandon, les papeteries Vallée sont redécouvertes en 1995, lorsque le barrage de Kernansquillec menace de céder après une crue. Un vaste programme de déconstruction de l’ouvrage et de remise en valeur de l’usine des papeteries est alors lancé. Il a permis une reconquête environnementale exemplaire de ces sites, tout en mettant en lumière la mémoire ouvrière du lieu. Désormais, le silence a fait place sur cette vaste friche industrielle pour le plus grand bonheur des randonneurs ou des amateurs d’histoire industrielle.

 

 

Une famille de caractère

Outre son poids dans l’économie locale, la famille Vallée a fortement marqué l’histoire contemporaine du Trégor et des Côtes-d’Armor. Né en 1860, petit-fils du fondateur des papeteries, François Vallée demeure ainsi l’un des grands linguistes de la langue bretonne. D’une santé fragile, ses problèmes de santé l’empêchent de devenir enseignant. Il se passionne alors pour la langue bretonne, collecte de nombreuses expressions populaires et crée un supplément de quatre pages en breton dans le journal La Croix des Côtes-du-Nord qui va perdurer pendant 22 ans. En juillet 1900, grâce à un phonographe à rouleau de cire, il réalise le premier enregistrement de chanteurs de tradition, dont la célèbre Mahac’hit Fulub de Pluzunet. En 1931, il publie son Grand dictionnaire français-breton qui demeure une référence. L’un de ses cousins, nommé également François Vallée, s’est, quant à lui, illustré pendant la guerre après avoir rejoint les troupes gaullistes en Afrique du Nord. En 1941, à la nage, il coule deux bateaux italiens dans le port de Tunis. Arrêté, libéré, il rejoint Londres et est parachuté en 1943 pour structurer des réseaux de résistance en Ille-et-Vilaine et Loire-Atlantique. Capturé par les nazis, il est exécuté en 1944. Très connu à Saint-Brieuc, l’abbé Armand Vallée s’engage également dans la résistance et meurt en déportation. L’écrivain Louis Guilloux a évoqué à plusieurs reprises ce prêtre aux fortes convictions sociales.

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