Méconnu du grand public, Nicolas Le Grand a pourtant joué un rôle majeur dans l’histoire récente du centre Bretagne. A la fin du XIXe siècle, c’est en effet lui qui a ouvert la voie à l’immigration des habitants des Montagnes Noires vers l’Amérique du Nord. Plusieurs milliers de centre Bretons ont ainsi traversé l’Atlantique à sa suite.
Rien ne prédestinait forcément Nicolas Le Grand a devenir le précurseur de l’un des plus importants courants migratoires qui ont marqué le centre Bretagne. En 1927, il confie ainsi à un journaliste de la « Dépêche de Brest », que l’idée de traverser l’Atlantique lui est venue d’un camarade de régiment, un tailleur au 72e régiment de Tours, qui n’avait cessé de lui narrer les mérites du Nouveau Monde pendant leurs cinq ans de service. « Mon congé terminé, en septembre 1877, raconte alors Nicolas Le Grand, je revins à Roudouallec. Bientôt marié, puis père de deux enfants, je vivais misérablement d’un salaire quotidien de douze sous. »
Les précurseurs
En 1881, Nicolas Le Grand se décide à franchir le pas, ou plutôt l’Atlantique, pour sortir de la misère. Il a convaincu deux autres centre Bretons, Job Daouphars, un paysan de onze ans son aîné, originaire de Loge-Lantegant, à Gourin, et Loeiz Bourhis. Ils effectuent toutes les démarches et, au printemps suivant, partent pour le Havre afin d’embarquer sur un paquebot transatlantique.
Ils débarquent d’abord au Canada et trouvent de l’embauche comme bûcherons. La tâche est pénible. En 1882, ils se remettent en marche, vers le sud. Ils travaillent dans des fermes ou des usines. La paye est bonne. A l’époque, le salaire moyen dans le Connecticut est trente fois supérieur à celui qu’à Roudouallec. Si les trois Bretons communiquent peu avec le pays, ils envoient régulièrement de l’argent. Nicolas Le Grand ne sait d’ailleurs pas écrire, mais son premier mandat de cinq francs, envoyé à sa femme fait forte impression les Montagnes Noires.
On retrouve ensuite nos trois centre Bretons dans des aciéries en Pennsylvanie ou dans des mines de charbon. Comme le souligne Olivier Le Dour, dans « ArMen », en 1993 : « La région toute entière est aux mains des compagnies minières dont le pouvoir s’est illustré, cinq ans plus tôt, par la pendaison des Molly Maguire ». Ces derniers constituaient à l’origine une société secrète irlandaise avant de tomber dans le banditisme ou l’activisme social.
Nicolas Le Grand et ses compagnons s’emploient ensuite sur le fameux chantier du chemin de fer de la North Pacific qui doit relier l’est et l’ouest de ce pays continent. Après avoir accumulé un peu d’épargne, ils décident de rentrer au pays en 1884.
Le Cheval blanc et le rêve américain
Nicolas Le Grand décide alors de reprendre une boutique de tailleur et un café, Le Cheval blanc. L’endroit devient le rendez-vous de tous les candidats à l’immigration. Nicolas Le Grand semble avoir possédé des talents de conteur, car ses récits passionnent et fascinent. Le rêve américain en tente de plus en plus. Le Grand en témoigne dans la « Dépêche » : « lorsque je revins au pays, ce fut un évènement. Tout le monde voulait me voir et la maison ne désemplissait pas, on venait me voir de Gourin et de Guiscriff, de Langonnet et de Leuhan, pour entre parler d’Amérique. »
Dans les Montagnes Noires de Bretagne, la terre est en effet pauvre et l’ardoise connaît alors une véritable crise. La réussite de Nicolas Le Grand ne peut que créer de l’émulation. Au point qu’en 1890, lorsqu’une dizaine de voisins viennent le voir, un soir, en lui annonçant qu’ils partent le lendemain pour l’Amérique, il accepte leur offre de les guider. « Quelqu’un voulut parier, témoigne-t-il, que je repartirais ; les paris se succédaient, on vida de nombreuses bouteilles. Enfin, ces clients-là me déclarèrent qu’ils ne me payeraient leurs boissons que lorsque j’embarquerai avec eux au Havre. Ma femme protestait. J’insistai à mon tour auprès d’elle en affirmant que mon absence serait de courte durée… et je partis ».
Il reviendra quatre ans plus tard ! Mais entretemps, son épouse reçoit de nombreux mandats qui lui permettent d’acheter une maison, des champs et une boutique de tissus.
De son côté, Job Daouphars avait acheté une ferme dans le Connecticut en 1887 et y installe sa famille. D’autres centre Bretons viennent le rejoindre et formèrent une petite communauté qui vit toujours aujourd’hui, puisque plusieurs milliers de centre Bretons ont émigré outre-Atlantique. Nicolas Le Grand et ses deux compagnons resteront comme les pionniers de cette étonnante aventure.
Les Bretons d’Amérique
Chaque année, un bagad participe à la grande parade de la Saint-Patrick à New York car, si elle n’est pas aussi nombreuse que la diaspora irlandaise, la communauté bretonne compte plusieurs dizaines de milliers de membres, dont certains sont installés depuis plus d’un siècle dans la Grande Pomme.
Dès la fin du Moyen Âge, les Bretons ont fréquenté les rivages nord-américains, mais ils ne s’y installent de manière plus durable qu’à la fin du XIXe siècle. Dans les années 1880, certains d’entre eux partent s’installer comme jardiniers ou personnel de maison sur la côte est des États-Unis, et le mouvement s’accélère avec l’ouverture, en 1901, d’une usine Michelin à Milltown, à 50 kilomètres de New York. Près de 3 000 Bretons, originaires de Gourin et Roudouallec, viennent y travailler et incitent des parents et des amis à les rejoindre. On en retrouve également beaucoup dans les fabriques de soie de l’ouest new-yorkais ou dans la métallurgie, à Pittsburg, où l’on recense, dans l’entre-deux-guerres, trois cents familles originaires de Bretagne. À partir de cette époque et dans la seconde moitié du XXe siècle, nombre d’entre eux ouvrent des restaurants à New York, profitant de la renommée de la cuisine française. Certains font fortune, telle Mme Sévénant de Langonnet, patronne du « Brittany de jour », entre la 53e et la 54e rue. D’autres s’enrichissent grâce au bâtiment, par exemple Yves Nedelec, de Châteauneuf-du-Faou, devenu millionnaire en construisant des bungalows.
Après la guerre, la communauté bretonne se structure et se regroupe lors de grandes fêtes comme celle de la Duchesse des Bretons d’Amérique. Des équipes de football sont constituées, à l’instar du Stade breton de New York qui existe toujours. Quelques Bretons de New York se sont également illustrés dans le domaine culturel, le plus célèbre demeurant le poète et chanteur Youenn Gwernig, ami de l’écrivain Jack Kerouac. Ce dernier, chef de file de la beat generation, avait d’ailleurs de lointains ancêtres du côté de Huelgoat et se définissait volontiers comme Breton.