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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Un vêtement de l'époque ducale conservé à Carhaix

Publié le 7 Juillet 2018 par ECLF in Histoire de Bretagne

Un vêtement de l'époque ducale conservé à Carhaix

 

 

 

 

 

Suite à une étude de Martine Fabre, il apparaît que le costume dit « du papegaut », conservé autrefois à la maison du Sénéchal, est beaucoup plus ancien que l’on ne le croyait. Il pourrait même s’agir du vêtement officiel d’un héraut, un officier du duc de Bretagne au Moyen Âge !

Pendant longtemps, il a trôné, au premier étage de la maison du Sénéchal, entre les reliques de la Tour d’Auvergne et un énorme brochet empaillé. Clouté sur une planche, attaqué par les insectes, il intriguait pourtant. On disait qu’il s’agissait d’un vêtement de cérémonie remontant au XVIIe ou au XVIIIesiècle afin d’annoncer le jeu de Papegaut, une sorte de tournoi d’arbalète et de tir au mousquet alors très populaire en Bretagne.

Dans le cadre du projet de mise en valeur du patrimoine archéologique Vorgium, la municipalité de Carhaix a commandé une étude sur le fameux vêtement. Réalisée par Martine Fabre, elle se révèle étonnante. En effet, la pièce de textile se présente comme une grande cape, sur «un fond d’hermines plein» avec l’emblème de la ville, à savoir un taureau ou une vache. Mais ce dernier, en référence aux foires de la capitale du Poher, n’apparaît qu’au XVIIesiècle. Et, d’après l’étude de Martine Fabre, il a été ajouté bien après sur cette tunique. Comme l’indique le rapport de conservation, le vêtement principal «est fabriqué d’un tissu de drap de laine blanc, semé d’hermines brodées en application d’une toile de laine noire dessinées d’un fil d’argent. Il est décoré de galons de métal argent et était fermé d’importants boutons noir et argent ».

 

Un vêtement exceptionnel

Depuis 2015, la tunique armoriée a été classée monument historique. Et pour cause ! Il pourrait peut-être s’agir d’un tabard, un vêtement de cérémonie des rois d’armes et des hérauts du duc de Bretagne. Un objet remontant au XVe siècle, dont il ne reste qu’une dizaine d’équivalents en Europe ! La restauratrice Isabelle Bedat estime qu’il figure même parmi «les plus anciens. C’est dire la rareté de l’objet et du bien culturel ».

Attestés depuis l’époque féodale, les tabards sont un vêtement typique du Moyen Âge. Ils apparaissent en même temps que les nobles se distinguent par leurs armoiries et leur blason. «À l’origine, explique le médiéviste Jean Kerhervé, le tabar est une étoffe qui se porte sur une armure ou sur une cotte de maille. Il va s’embellir et devenir plus luxueux au cours des siècles ». Il s’ouvre sur les côtés et se dote de manches. Au XVe siècle, il devient le symbole des officiers d’armes du corps des hérauts.

 

Le temps des hérauts

Probablement issu du monde des ménestrels et des troubadours, le héraut est, à l’origine, un spécialiste de l’héraldique et de la généalogie des participants aux tournois de chevalerie. Il accompagne un chevalier ou commente et présente les participants. À partir du XIVe siècle, les seigneurs les embauchent et leur nombre est révélateur de leur puissance. Au siècle suivant, la Bretagne est, à l’instar de la France, une marche d’armes. Depuis 1454, elle dispose d’une royauté d’armes (peut-être deux) et d’une douzaine de hérauts d’armes, de poursuivants et de « chevaucheurs de l’hôtel ducal ».

Au nombre d’une douzaine, les rois et les hérauts d’armes participent à la vie de la cour ducale. On conserve un certain nombre d’illustrations d’époque où ils apparaissent vêtus de leur vêtement d’attribution, le fameux tabard. Il est d’ailleurs stupéfiant de constater la ressemblance entre ces images médiévales et le vêtement conservé à la mairie de Carhaix.

 

De fait, ce dernier ne comportant que des hermines à l’origine, Martine Fabre estime que : « le code héraldique étant rigoureux, cela implique que le tabard est en service quand le duché de Bretagne est encore un État indépendant ou bien quand Anne de Bretagne, reine de France et duchesse, rétablit son autorité sur l’administration de la principauté ». Selon l’historien de l’État breton au XVe siècle, Jean Kerhervé, il est probable que le tabard soit antérieur à Anne de Bretagne. « Après son mariage en 1491, elle a n’a jamais repris de blason d’ « hermines plein ». Reine de France, même pendant son veuvage, elle a partagé les hermines avec les fleurs de lys ».

Outre son rôle dans les tournois et réjouissances, le tabard était également porté par les rois d’armes lorsqu’ils faisaient fonction d’ambassadeurs pour le duc de Bretagne. « Malo » et « Bretagne », les noms des deux rois d’armes des ducs sont régulièrement cités lors de missions délicates dans l’Europe de la fin du Moyen Âge, lorsque la Bretagne entretenait sa propre diplomatie. « Plusieurs héros d’armes avaient comme surnom leur ville natale ou des exploits de guerre, indique Jean Kerhervé. Mais on ne retrouve pas de mentions d’un personnage surnommé Carhaix ».

Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un objet exceptionnel, un textile vieux de plus de cinq siècles et qui nous transporte à l’époque où la Bretagne était l’un des grands États d’Europe occidentale. Ce tabard constitue donc un émouvant témoignage de notre histoire. « Nous allons le mettre en valeur et le rendre visible au public », indique Christian Troadec le maire de Carhaix. L’objet pourrait ainsi être exposé au centre de valorisation Vorgium. Comme le remarque fort justement l’historienne Laurence Le Moal : « il est toujours extraordinaire et émouvant de voir qu’il existe encore de tels trésors historiques à découvrir ».

 

Comment s’est-il retrouvé à Carhaix ?

La datation du tabar reste hypothétique tant que des analyses plus poussées n’auront pas été effectuées, notamment par des laboratoires d’archéologie capables de réaliser des analyses au carbone 14 et spécialisés dans l’étude des textiles anciens. Une autre question de taille se pose : comment ce vêtement exceptionnel s’est retrouvé à Carhaix ? Martine Fabre estime fort justement que « sauf à trouver une ou deux sources documentaires qui justifient le dépôt – don princier ? – la question restera sans réponse. La recherche historique a ses limites ».

Jean Kerhervé explique que les hérauts et roi d’armes portaient des noms de bataille, de symbole (comme « Hermine »), ou de ville, comme « Malo », « il n’y a aucune mention de l’un d’entre eux portant le surnom de « Carhaix », même si, au Moyen Âge, la ville faisait partie du domaine ducal et avait un statut symbolique important ». Le tabar a pu, dans un premier temps, être conservé dans la famille de son propriétaire, loin du Poher. On reste donc dans l’expectative quant à la date de son arrivée en centre Bretagne.

Une autre piste nous est donnée par une découverte à l’intérieur du vêtement, où les restaurateurs ont retrouvé un bout de papier. Il pourrait s’agir de rembourrage. On peut y lit la mention « Duce et auspic… » qui serait lié, selon Jean Kerhervé, à l’ordre du Saint-Esprit, né dans la seconde moitié du XVIe siècle. On trouve également la mention d’un certain Nicolao Corbet. Peut-être un juriste du XVIIe siècle, dont on retrouve des traces dans la région de Guidel et de Saint-Brieuc.

Reste donc aussi la possibilité qu’il s’agisse d’un vêtement du XVIIIe siècle, recrée sur le modèle d’un tabar médiéval. Un peu comme aujourd’hui, les cercles celtiques reproduisent des costumes traditionnels. Mais pour plusieurs historiens, cette hypothèse serait étonnante.

Il ne sera sans doute jamais possible de savoir comment cet objet exceptionnel s’est retrouvé à Carhaix, mais sa conservation, malgré les incendies, les guerres ou les parasites constitue déjà un petit miracle !

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