Au IXe siècle, le troisième roi des Bretons portait un prénom biblique et serait à l’origine du nom de famille Salaün, toujours fréquent d’aujourd’hui. Il a régné de 857 à 873, repoussant les limites de la Bretagne et laissant un fort souvenir dans l’imaginaire collectif.
Comme de nombreux princes du haut Moyen Âge, les origines de Salomon demeurent nimbées de mystère. Il est né entre 810 et 820 dans une puissante famille aristocratique de basse Bretagne. Il serait le fils de Riwallon, comte de Poher. Son frère Rivelen aurait dirigé la Cornouaille et le Vannetais. Salomon semble avoir été lié par des liens familiaux avec les premiers rois de Bretagne, Nominoë et Erispoë, par les femmes. La mère de Salomon aurait ainsi été la tante d’Erispoë.
En 852, Salomon apparaît déjà comme un puissant seigneur d’une Bretagne qui s’impose face aux Francs, tout en se défendant contre les Vikings. Cette année-là, Salomon se voit confier le tiers de la péninsule, sous l’autorité d’Erispoë, mais également de Charles Le Chauve, roi de Francie occidentale. Il contrôle notamment les marches de l’est, à savoir les pays de Rennes, Nantes et Rezé.
Il évince son cousin
Les relations familiales dans la Bretagne du IXe siècle sont quelque peu houleuses. En 857, Salomon prend en effet la tête d’une révolte contre son cousin Erispoë auxquels de nombreux nobles bretons reprochent son rapprochement avec les Francs. Salomon participe donc à un complot contre son souverain. Erispoë est assassiné à Talensac, sur l’autel de l’église, par des rebelles et des Francs dirigés par un certains Alcumar.
La même année, Salomon est nommé roi des Bretons. C’est un titre dont il se prévaut en 863, après le traité d’Entrammes, une petite ville de Mayenne. En gage de paix, Charles le Chauve lui concède le pays des deux rivières, jusqu’à Angers. Salomon se fait alors appeler « roi de Bretagne et d’une partie de la Gaule ». Dans la Vie de saint Conwoïon, il est indiqué que Salomon s’est vu accorder « le droit de porter un cercle d’or et la pourpre. »
Une très grande Bretagne
En 867, alors qu’il a écarté les Vikings, il se voit octroyer la presqu’île du Cotentin et les îles anglo-normandes. La Bretagne atteint alors son extension maximum. Grâce à lui, elle s’affirme comme l’une des principautés les plus puissantes à l’ouest de l’ancienne Gaule.
Il est vrai que Salomon sait se révéler un fin stratège et un précieux allié pour les Francs qui sont alors complètement déstabilisés par les raids scandinaves. Lors du siège d’Angers, en 873, Salomon a l’idée de détourner la rivière pour mettre à sec la flotte viking. Il signe alors une victoire retentissante contre des envahisseurs avec lesquels les Bretons ne rechignaient pourtant pas à s’allier pour aller piller les provinces voisines.
Un roi de bon jugement
A sa mort, Salomon sera considéré comme saint par le peuple en raison de sa grande piété. On lui doit la fondation de nombreux établissements religieux. Il a favorisé les grands monastères bretons de l’époque, comme Redon. On lui attribue plusieurs miracles. Selon la légende, les reliques de saint Mathieu avaient été dérobées par des marins bretons en Ethiopie. Mais une tempête les empêcha d’accoster devant les côtes léonardes jusqu’à ce que Salomon promette d’abolir une coutume consistant à enlever un enfant mâle dans chaque famille pour en faire un esclave au service du roi.
Plus conciliant que Nominoë, il a réintégré les évêques francs, tout en continuant à développer une politique d’indépendance vis-à-vis des archevêques de Tours. La conquête d’une partie de l’ouest de la Gaule (Anjou, Maine et Cotentin) semble avoir été motivée par la volonté de contrôler un nombre critique d’évêchés, douze, pour consolider la demande bretonne d’un archevêché indépendant.
Reconnaissance posthume
Quelques décennies après son décès, il fait déjà l’objet d’un véritable culte à la Martyre, en Léon, à Plouyé et Langoëlan en centre Bretagne, à Maxent en haute Bretagne et jusqu’à Pithiviers où il continue d’être honoré. Des moines bretons y auraient transporté ses reliques lors des invasions vikings.
A partir du XIe siècle, Salomon est régulièrement cité dans des chansons de geste médiévales, jusque dans des textes de Girart de Roussillon où ses exploits sont transposés… en Méditerranée. Aux XIVe et XVe siècles, les ducs de Bretagne le mettent volontiers en avant, car son souvenir « royal » leur permet de se mettre en avant. Au roi de France qui prétend « être empereur en son royaume », les ducs bretons, fiers de leur filiation avec Nominoë et Salomon, répondent que « le duc est roi en son duché ».
Le martyr de Salomon
La légende et la notoriété du roi Salomon de Bretagne doivent beaucoup à sa fin tragique en 874. A la fin de son règne, le souverain semble avoir montré de plus en plus de désir de rentrer dans les ordres pour expier sa participation au meurtre de son cousin Erispoë. Il avait projeté de se rendre à Rome, mais l’offensive scandinave contre Angers, en 873, qu’il contribue à repousser, le détourne de ses projets. En 874, il monte un conseil de régence au profit de son fils Wigon et se retire dans un monastère, probablement à Plélan ou Maxent.
Mais des évêques et des nobles fomentent un coup d’Etat, notamment Pascweten le propre gendre de Salomon et Gurwant, celui d’Erispoë. Ils capturent Wigon qui sera assassiné malgré son jeune âge et traquent Salomon qui se serait réfugié dans un monastère, soit au Merzer à Langoëlan, soit à la Martyre près de Landerneau. Les poursuivants envoient un évêque pour parlementer. On lui jure que, jamais, un Breton ne portera la main contre lui. Convaincu, Salomon sort du sanctuaire sacré. Effectivement, les seigneurs présents ne bougent pas, mais laissent les quelques Francs qui les accompagnent massacrer l’ancien souverain. On lui arrache les yeux et il meurt quelques heures plus tard. Son martyr frappe d’autant plus les imaginations que Gurwant et Pascweten qui s’emparent du pouvoir ne tardent pas à s’entredéchirer et à affaiblir la Bretagne qui s’écroule quelque temps plus tard face aux Vikings.