Le canal de Nantes à Brest a constitué l’un des plus importants chantiers de l’histoire contemporaine de la Bretagne. Dans les années 1820 et 1830, plusieurs centaines de bagnards ont ainsi été mis à contribution pour le creusement de la grande tranchée de Glomel, une coulée de plus de trois kilomètres reliant le Blavet à l’Aulne.
Les projets de canaux en Bretagne remontent aux XVIe et XVIIe siècles. En 1627, les États de Bretagne approuvent ainsi un projet de canalisation de l’Aulne, entre la rade de Brest et Carhaix. Vauban en reprend l’idée pour sécuriser les relations entre Nantes, Brest et Saint-Malo, mais, faute de financements, ces travaux ne seront jamais menés à bien. En 1746, François-Joseph de Kersauson rédige un Mémoire sur la canalisation de la province pour les États de Bretagne où il projette des jonctions entre différentes rivières, comme de la Rance à la Vilaine ou de l’Oust au Blavet. En janvier 1783, une commission de navigation intérieure est formée pour lancer des études préliminaires. Les rapports, les études et les projets se multiplient, avec parfois des chantiers financés, comme lors de la mise en navigabilité de la Vilaine près de Redon, entre 1784 et 1789.
Un canal stratégique
En 1803, le projet d’un grand canal reliant l’ouest et l’est de la péninsule redevient d’actualité avec la reprise des hostilités avec la Grande-Bretagne. Cette dernière domine en effet les mers et bloque l’accès aux ports bretons. Par ailleurs, les transports par terre sont lents et difficiles. Or, les liaisons entre les ports militaires et les arsenaux de Saint-Malo, Nantes, Lorient et Brest sont stratégiques. La voie fluviale est donc considérée comme la seule solution pour contourner le blocus britannique.
Le 28 ventôse, an XII (1804), le directeur des Ponts et Chaussée informe le préfet des Côtes-du-Nord qu’il vient de charger l’ingénieur Boessel « d’étudier la possibilité et les moyens d’établir une navigation intérieure entre Nantes et Brest ». Il s’agit d’abord de remonter l’Erdre puis la Vilaine jusqu’à Redon. La deuxième section, entre Redon et Pontivy doit emprunter l’Oust puis redescendre par le Blavet. La troisième section doit permettre de remonter le Blavet jusqu’à Goarec. Ensuite, Boessel doit « visiter la chaîne de montagnes qui sépare le bassin du Blavet de celui de l’Hyères, pour reconnaître et indiquer le point de passage qui réunira l’avantage d’exiger le moins de travaux et celui de pouvoir être plus facilement alimenté par les eaux supérieures. » Les navires redescendront ensuite par l’Aulne jusqu’à la rade de Brest. Engagés par l’Empire, les travaux se poursuivent sous la Restauration.
Les travaux engagés sont considérables en raison notamment du relief. On compte parfois jusqu’à dix écluses au kilomètre entre Pontivy et Carhaix. Chaque écluse nécessite près de deux mille mètres cubes de pierres de gros appareil, en partie taillées. L’aménagement des biefs exige également des terrassements importants et des travaux soignés pour éviter les tassements ou les fuites d’eau. Il faut également prévoir des rigoles de ceinture, qu’il faut creuser le long du bief pour récupérer les eaux latérales.
La tranchée de Glomel
L’un des points les plus hauts à franchir se situe à Glomel, à près de 200 mètres d’altitude, sur les lignes de partage des eaux entre le Blavet et l’Aulne. Il est décidé de creuser une tranchée, large de cent mètres, longue de 3,2 kilomètres et sur une profondeur pouvant atteindre 23 mètres. La section est mise en adjudication en 1823 et il est décidé de faire appel à des bagnards en plus des ouvriers libres pour réaliser des travaux d’une ampleur certaine. La tâche est coordonnée par l’ingénier Lecor.
Comme l’a démontré Jean Kergrist dans son étude, il ne s’agit pas de condamnés de droit commun, mais de soldats déserteurs incarcérés à Belle-Ile-en-Mer, dont certains pour raisons politiques. Quelques années après la chute de l’Empire, les sympathies bonapartistes sont encore forte dans la troupe. D’autres ne veulent pas participer à l’expédition militaire en Espagne. En venant travailler à Glomel, ces prisonniers peuvent espérer une remise de peine. De plus, ils sont rémunérés.
Le camp des bagnards
L’arrivée, en juin 1823, des premiers bagnards, suivis de dizaines d’autres dans les semaines qui suivent, ainsi que de nombreux ouvriers libres, provoquent quelque remous dans le village de Glomel qui compte alors 500 habitants. Son maire en est le comte de Saisy de Kerampuil aux convictions royalistes affirmées.
Pour héberger les bagnards, on construit un camp de forme rectangulaire, des baraquements de bois et de terre, recouverts de chaume. Les conditions y sont dures, mais beaucoup moins sévères que dans les grands bagnes de Brest ou de Rochefort. Une cinquantaine de gendarmes les encadrent. Les évasions sont régulières. Elles ont souvent lieu sur les travaux de la tranchée elle-même.
L’économie locale profite des travaux. Plusieurs cabarets ouvrent ainsi leurs portes à Glomel. La commerce se développe pour nourrir bagnards et ouvriers. Dans les années 1820, la vente de viande de boucherie dans le secteur de Glomel-Rostren connaît une spectaculaire progression.
On aménage aussi un hôpital à Rostrenen. Plusieurs épidémies de fièvre touchent en effet le camp, décrit par plusieurs observateurs comme un véritable cloaque.l’année 1832, l’épidémie de choléra qui sévit en France pousse les autorités à évacuer le camp des bagnards. Ils ne reviendront pas sur les lieux et il faudra encore attendre plus de dix ans avant de voir passer la première embarcation sur la grande tranchée de Glomel.
La marche sur Pontivy
En juillet 1830, une nouvelle révolution renverse les Bourbons. Pour avoir tenté de limiter la liberté de la presse et après quelques jours d’affrontements, Charles X est forcé d’abdiquer au terme des « Trois glorieuses ». La nouvelle se propage dans tout le royaume et elle parvient, début août, à Glomel, où le drapeau tricolore est hissé en remplacement du drapeau blanc des royalistes. Ce qui provoque un arrêt des travaux sur la tranchée. Les bagnards abandonnent le travail. Plusieurs dizaines se dispersent dans les campagnes, mais deux cents d’entre eux décident de marcher sur Pontivy pour demander leur grâce et leur libération. En tant qu’anciens militaires, ils sont bien encadrés et organisés. Cependant, l’annonce de leur arrivée provoque un début de panique dans la ville où stationnent des forces de gendarmerie. Militaires et habitants se préparent à affronter farouchement les bagnards. C’est à ce moment qu’intervient un personnage étonnant, Charles Beslay. Cet entrepreneur qui supervise les travaux à Glomel est un homme de gauche, aux convictions proudhoniennes. Il rejoint les bagnards et parvient à les convaincre de négocier, puis de réintégrer leurs baraquements sans effusion de sang. Par la suite, il sera élu député de Pontivy et sera l’un des cadres de la Commune de Paris. Cette marche sur Pontivy a sans doute été provoquée par les royalistes légitimistes, afin de semer le chaos et jeter le discrédit sur le nouveau régime du roi des Français, Louis-Philippe. En 1832, le maire de Glomel, De Kerampuil, sera d’ailleurs soupçonné d’avoir voulu impliquer à nouveau les bagnards dans un projet d’insurrection royaliste avec la duchesse de Berry et d’anciens chouans de Gourin.
Pour en savoir plus
Kader Benfrhat, le Canal de Nantes à Brest, iconoguide Ouest-France, 1995.
Jean Kergrist, les Bagnards du canal de Nantes à Brest, Keltia graphic, Spézet, 2007.
Thierry Guidet, le Canal de Nantes à Brest, Éditions la Part commune, Nantes, 2007.
Chouteau Jean, le Canal de Nantes à Brest, guide du randonneur, Éditions du Vieux Crayon, 2008.