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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Quelle démocratie régionale ? Entretien avec Tudi Kernalegen

Publié le 5 Janvier 2019 par ECLF in Les interviews

Quelle démocratie régionale ? Entretien avec Tudi Kernalegen

 

 

Enseignant-chercheur à l’université de Louvain, en Belgique, et invité à Yale, aux Etats-Unis pour quelques mois, Tudi Kernalegen vient de diriger un ouvrage sur 30 ans de de démocratie régionale en France. L’occasion d’esquisser le bilan de l’action des conseils régionaux et de constater le manque de marge de manœuvre des collectivités territoriales.

Co-dirigé par Tudi Kernalegen et Romain Pasquier, l’ouvrage « 30 ans d », a pour origine une journée d’études à Rennes, en 2016, augmentée de contributions diverses. Une trentaine d’années après les premières élections de conseils régionaux au suffrage universel, en 1986, il permet de dresser le chemin parcouru, tout en éclairant les obstacles subsistants pour l’émergence d’une véritable démocratie régionale en France.

 

Quel bilan tirer du processus de décentralisation ?

Avant les lois de 1982, les préfets avaient un pouvoir de contrôle en amont des décisions des conseils généraux et régionaux. Ils ne vont conserver ensuite qu’un contrôle à posteriori, ce qui est une réelle avancée démocratique, d’autant qu’à partir de 1986, les conseils régionaux obtiennent une réelle légitimité avec la création d’élections régionales (auparavant, les conseillers étaient désignés).

 

Les élections régionales ne semblent pourtant pas passionner ?

Il est clair qu’elles sont longtemps restées une élection de second ordre. Elles sont considérées comme des élections intermédiaires et sont peu médiatisées. Elles sanctionnent plus le bilan du gouvernement que ceux des régions. Il est rare que les débats portent sur des sujets régionaux. D’autre part, jusque récemment, les têtes de liste comme leurs candidats, étaient rarement des cadors de la politique. Il y a un autre problème, à l’exception de la Corse, les élections ont lieu le même jour dans toutes les régions, contrairement à ce qui se passe dans les grands Etats européens. Cela empêche d’autant plus l’émergence de débats régionaux dans l’hexagone.

 

En trente ans, les régions ont quand même reçu de nouvelles compétences ?

Les régions ont élargi leurs compétences, mais elles ont connu une réduction drastique de leurs marges de manœuvre sous Jospin, Sarkozy et Hollande. Elles n’ont désormais plus aucune autonomie financière et dépendent des dotations de l’Etat. On a désormais des régions sans pouvoir fiscal ou normatif, donc sans pouvoir politique. Elles n’ont plus les capacités à mettre en œuvre des politiques différentes des régions voisines, ce qui pourrait être stimulant pour l’ensemble d’entre elles.

 

La Bretagne administrative a échappé à la refonte des régions sous Hollande, est-ce un bien ?

Il y a une différence entre les régions à forte identité comme la Bretagne ou la Corse et les nouvelles régions qui s’est accentuée avec la réforme Hollande. Beaucoup d’anciennes régions souffraient d’un défaut d’identification, comme le Centre, il est quasiment impossible à résorber avec des régions comme le Grand Est ou les Haut-de-France. Comment s’identifier à de telles structures artificielles ? De toute façon, le but n’était pas de créer des régions politiques, mais des régions d’administrations. Il y a une volonté française de ne pas créer d’identités territoriales qui puissent concurrencer l’Etat.

 

Est-ce un mal ?

On a deux conceptions qui s’affrontent. Celle d’un Etat fort, d’où tout part d’en haut sous prétexte d’efficacité, cette dernière étant tout relative. Il y a aussi celle d’une démocratie qui vient d’en bas, du peuple. Qui prend en compte les aspirations des gens qui s’identifient au territoire dans lequel ils vivent et qui proposent des solutions efficaces qui peuvent être différentes d’un endroit à l’autre.

 

Quelles sont les pistes pour améliorer la démocratie régionale ?

On peut commencer par clarifier le mille-feuille territorial avec des collectivités dont les citoyens ne perçoivent plus qui fait quoi et comment. On va également voir comment va se mettre en place le droit à la différenciation, prévu dans la réforme de la constitution. Lorsqu’une collectivité prendra une compétence, il n’y aura pas besoin de l’étendre aux autres. On peut imaginer que la Bretagne a des ambitions maritimes qui ne sont pas les mêmes que la Bourgogne-France-Comté ! Dans le même ordre d’idée, on peut imaginer que les régions obtiennent un pouvoir normatif, c’est-à-dire d’adapter les lois suivant les besoins des territoires.

 

Quelles évolutions sont souhaitables pour la Bretagne ?

Il y a déjà un première avancée possible, la création d’une assemblée de Bretagne comme le préconisait Jean-Jacques Urvoas avec la fusion du conseil régional et des cinq départements bretons. Cette nouvelle institution verrait son budget tripler et ses compétences beaucoup plus cohérentes. Les départements n’ont plus beaucoup de sens aujourd’hui et les communautés de communes et l’échelon régional semblent plus proches des gens.

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