Fait-divers sanglant, la mort de Louis Le Ravallec en avril 1732 a marqué les esprits dans le pays du Faouët et de Langonnet. Le drame est à l’origine d’une gwerz fameuse. En l’étudiant dans les années 1960, l’ethnologue Donatien Laurent a montré combien la justice s’était montrée inconséquente à l’époque, contrairement à la mémoire populaire qui désignait les assassins.
Le 26 avril 1732, un commerçant du Faouët, parti pêcher, découvre un corps sans vie dans l’Ellé. Logiquement, il fait le lien avec l’annonce d’une disparition, celle de Louis Le Ravallec, de Langonnet, dont on n'a plus de nouvelles depuis le 13 avril, alors qu’il revenait du pardon de saint Fiacre, au Faouët. Averti, le père et la famille Le Ravallec viennent reconnaître le corps. Très vite, le bruit court que le jeune homme ne s’est pas noyé, mais qu’il a été tué par des camarades pour une histoire de cœur.
Débute alors un étonnant dialogue entre l’enquête, plutôt bâclée de la justice, et la tradition populaire qui, à travers une complainte traditionnelle, une gwerz, désigne les vrais coupables. Issue d’un fait divers somme toute banal pour l’époque, cette chanson va mettre en lumière, de manière étonnante, sa victime, deux siècles et demi plus tard.
Témoignages équivoques
Après sa découverte, le corps est examiné par un chirurgien local qui ne décèle aucune plaie et conclut à la noyade. Pourtant, une autre témoin, Anne Le Plouff, dira plus tard avoir vu des contusions sur le corps et des traces de coups de couteau. Mais il est vrai qu’elle n’est interrogée que trois ans après les faits, alors que l’enquête criminelle s’embourbe dans des voies tortueuses. La justice du temps de Louis XV n’a pas tout à fait la même rigueur qu’aujourd’hui...
La famille Ravallec accuse et récuse les juges, les soupçonnant de collusion avec des assassins que toute la contrée connaît. Le père de Louis, Maurice Le Ravallec, écrit d’ailleurs au parlement de Bretagne pour se plaindre d’avoir été régulièrement menacé… Il accuse un certain Noël Le Houarner, un ami de son fils. Ce dernier ne sera recherché qu’en août 1733, alors qu’il a disparu…
Sous la gwerz, le coupable ?
On le retrouve en juin 1734. Il est confié aux juges d’Hennebont. Interrogé, il confie qu’il a bien soupé avec Louis Le Ravallec, mais que, ayant abusé de la boisson, il l’a ensuite perdu de vue. Remis en liberté un an plus tard, il sera acquitté avec trois autres accusés le 29 août 1736. Durant les quatre ans de procédure, les témoignages contradictoires se sont succédé, sans permettre de « trancher » aux juges. Mais la justice populaire est également passée.
Plus de deux siècles plus tard, dans les années 1960, l’ethnologue Donatien Laurent revient sur les lieux du crime au terme d’une étonnante enquête et analyse les couplets d’une chanson populaire qui raconte une autre histoire que l’administration. Il en recueille plusieurs versions et mène l’enquête dans le pays. Selon les différentes versions de la gwerz, l’une des clefs du drame concernerait une certaine Louise Troboul qui aurait été au cœur d’une histoire de jalousie et de rivalités amoureuses. Donatien Laurent parvient également à recueillir plusieurs témoignages sur elle et Le Ravallec. Peu à peu, il reconstitue le scénario du drame.
Querelle amoureuse
Selon la version populaire, c’est au domicile de la demoiselle, que Louis le Ravallec aurait été frappé après avoir été soupçonné d’avoir essayé d’embrasser la belle. D’après certains témoignages recueillis par Donatien Laurent, cette dernière entretenait plusieurs relations amoureuses, dont quelques rivaux qui seraient parvenus à la demeure. Ensuite, Louis Le Ravallec aurait été frappé et aurait violemment heurté la cheminée et serait parvenus à s’enfuir. Ses assaillants l’auraient alors rattrapé et frappé, sans l’achever à en croire la mémoire populaire. Protégé par les reliques de sainte Barbe, il aurait survécu sous un tas de feuilles où on l’avait jeté à demi-mort. Il aurait ensuite supplié à ses tortionnaires de l’achever. Ces derniers auraient jeté son cadavre dans l’Ellé. Bien entendu, la légende affirme que son fantôme hante depuis le pays et qu’on l’aperçoit parfois, avec sa fiancée, entre Langonnet et Le Faouët. Et l’on continue, en centre Bretagne, à chanter la mort tragique de Louis Le Ravallec.
Pour en savoir plus :
Le passionnant film de Philippe Le Guilloux : https://www.kubweb.media/page/tuer-louis-ravallec-gwerz-donatien-laurent-philippe-guilloux
(Ou en DVD, diffusion Coop Breizh).