Dans les années 1900 et 1910, quelques Bretons ont joué un rôle méconnu dans les débuts de l’industrie cinématographique dont le centre mondial se déplace alors vers un quartier de Los Angeles : Hollywood. Cet été, on peut découvrir l'aventure de ces Bretons (et celles de beaucoup d'autres) dans la très belle exposition de Breizh TransAmerica au château de Tronjoly à Gourin.
Si les Etats-Unis sont aujourd’hui la superpuissance mondiale, c’est grâce à leur poids économique, leur arsenal militaire et, peut-être et surtout, leur soft-power, leur puissance culturelle qui s’est imposée notamment grâce au cinéma. Or, dans les débuts du 7e art, qui allait devenir une véritable industrie au début du XXe siècle, on retrouve des Bretons aux destins étonnants.
La comtesse de Kerstrat
La vie de Marie de Kerstrat, née en 1841 à Briec, a tout d’un roman. Après avoir connu moult coups du sort, et avoir lancé le tourisme en pays bigouden, elle part, à 56 ans, pour l’Amérique du Nord avec son fils Henri qui s’est lié aux frères Lumière afin de faire découvrir leur nouvelle invention : des images animées que l’on projette sur un écran et qu’on commence à nommer le cinématographe. En 1897, après s’être formés, Marie et Henri de Kerstrat débarquent au Canada avec le petit stock de films disponibles alors. Ils font d’abord leurs projections à Montréal, puis dans tout le Québec, bravant les conditions climatiques parfois rudes. Henri commente les films, Marie tient la caisse.
En 1899, ils sont à New York, Boston ou Atlantic city où ils s’adaptent aisément à la clientèle anglophone. En 1904, ils sont à l’exposition universelle de Saint-Louis. Ils gèrent des salles, mais se heurtent au redoutable trust Edison qui impose son monopole au cinéma. Marie et Henri se replient sur la vieille Europe, ouvrent un cinéma à Saint-Malo, mais finissent ruinés. Marie de Kerstrat décède en 1920.
Les débuts d’Hollywood
La légende veut que, pour échapper à Edison qui leur imposait de coûteuses pellicules, les réalisateurs américains aient choisi la lointaine Californie pour tourner. En fait, la diversité des paysages de cet Etat, son ensoleillement et sa diversité ethnique (qui permettait de disposer de figurants de toutes origines) les séduisent avant tout. Au milieu des années 1900, ils commencent à s’implanter dans une bourgade du nord-ouest de Los Angeles : Hollywood, le « bois de houx ».
Les terrains ont été acquis en 1880 ar un couple venu du Kansas. Horace et Daeida Wilcox achète 0,6 km2 de terres entre une petite chaîne de collines et des vergers. Une partie appartenait peut-être à un berger breton, un certain Belego originaire de Ploërmel. Par la suite, Horace Wilcox dessine un plan d’urbanisme dans lequel figure le fameux Hollywood boulevard.
En 1908, on y tourne le premier long métrage du cinéma muet, Le Mari de la squaw. Il s’agit d’un « film d’indiens » qui préfigure les westerns. Dès lors, producteurs, réalisateurs et studios s’installent en masse. En 1910, Hollywood devient un quartier de Los Angeles et compte 5 000 habitants, 250 000 en 1930. Entre temps, le cinéma est devenu une industrie à part entière.
La famille Kerbaol
Au début du XXe siècle, Hollywood attire des milliers de personnes, dont quelques Bretons, parmi lesquels se distinguent les Trebaol qui détiennent toujours le record mondial de membres d’une même famille dans un même film. Pas moins de treize « Trebaol children » figurent toujours au Guinness book pour cet exploit ! Ils sont tous nés à Hollywood où sont venus s’installer leurs parents.
En 1892, Jean-Marie Trébaol, venant de Kermenguy, en Guilers, avait embarqué pour l’Amérique. Sur le bateau, il fait la connaissance de Jeanne de Kersauson (apparenté au célèbre navigateur). Avec sa mère et deux sœurs, elle fuit la Bretagne où son père, Nicolas-Hyppolite de Kersauson, notaire et maire de Guilers, vient de décéder brutalement après avoir fait faillite. Jean-Marie épouse Jeanne-Marie. Ils auront quinze enfants, dont deux mourront en bas âge. Le couple part pour la Californie et s’installe… à Hollywood. Jean-Marie est professeur de français et de latin. Pendant la Première Guerre mondiale, il enseigne des rudiments de la langue de Molière aux GI’s en partance pour le vieux continent. Il s’est aussi lancé dans le journalisme et contribue au Français, un journal éphémère, destiné aux francophones de Californie.
Figuration et seconds rôles
Mais après le décès précoce de Jean-Marie, Jeanne doit subvenir aux besoins de sa famille nombreuse. Elle se tourne vers le cinéma en plein essor pour quelques rôles de figuration. Plusieurs de ses enfants vont en faire de même. Certains d’entre eux vont décrocher quelques jolis seconds rôles dans le cinéma des Années Folles. Jeannette et Hervé sont ainsi au générique de Honest Hutch, une comédie western en 1920, dans laquelle joue l’une des premières stars, Will Rogers.
Né le 20 mai 1905 à Hollywood, Edouard Trebaol est sans doute celui qui a eu la plus belle carrière de la famille. A partir de 1919, il commence à jouer dans Jinx. En 1920, on le retrouve dans l’un des premiers thrillers, The Penalty, avec Lon Chaney. En 1922, il est le « renard » dans Oliver Twist. Après avoir tourné dans six films, il devient électricien de plateau. Mais, le 10 octobre 1935, il fait une chute de 12 mètres dans un studio de Culver city. Il décède quelques jours plus tard. L’un de ses frères, Jean-Marie Junior, fait aussi une carrière de cameraman.
La starlette de Scaër
Louise Riou est née en 1907 à Scaër. Elle n’a pas un an, lorsque sa mère traverse l’Atlantique pour rejoindre son père, qui a trouvé de l’embauche à Milltown, dans l’Etat de New York. Comme nombre de centre Bretons des Montagnes Noires, les Riou ont décidé de tenter leur chance aux Etats-Unis, chez Michelin. Le fabricant de pneus offre de bons salaires et des maisons à ses employés. Les Bretons forment une petite colonie à Milltown où l’on parle breton, anglais et français. En 1915, après la mort de son père, Michelin accorde une maison à sa veuve qui peut louer des chambres afin de subvenir à ses besoins.
A 16 ans, Louise Riou, est employée de bureau après avoir achevé ses études. Elle se marie avec un commercial qui l’emmène dans ses déplacements, dont ceux à Hollywood où elle tente sa chance. On retrouve sa trace comme mannequin et dans quelques petits rôles. Mais comme des milliers d’autres, elle ne parviendra pas à percer dans « l’usine à rêves » des années 1920 et 1930 et disparaît ensuite de l’histoire. Elle demeure un maillon de l’histoire de ces Bretons et Bretonnes qui ont tenté leur chance à Hollywood. Ou leurs descendants. Il y a quelques années, Le Télégramme révélait que Sylvester Stallone avait un grand-père brestois.